3.2.6. La question de la discrimination :
Des éléments objectifs à travers les
discours
Abdel: « Sinon, je vais peut être passer des
concours dans la fonction publique. A oui, aussi j'ai postulé pour un
poste dans une boîte de transport, près de
l'aéroport...là le gars, c'était le patron...il a
été direct avec moi...il m'a dit pour bosser dans les bureaux, y
a pas de problèmes...mais par rapport aux contacts avec la
clientèle, je veux pas trop, il m'a dit...c'est pas pour être
méchant, mais avec les clients, c'est pas facile...parce que je suis
d'origine arabe, alors...mais c'est son choix, au moins, il a été
honnête, il voulait me voir pour me dire ça en face, pas par
courrier ».
27 Les éléments culturels. :S.BEAUD, « 80 % au
Bac... »P 113
Saadia (fille, issue immigration, Hors ZUS) : « Les
entretiens où ça été négatif, pour le nom,
je sais pas...mais pour certains entretiens, ça a joué...j'y
allait en tant que personne. A l'ANPE, j'ai fait une formation `ACCOMPLIR',
j'ai eu un conseillé qui m'aidait à rédiger le CV et les
lettres de motivation. Je postulais à des offres de l'ANPE, ou sur Ouest
Job...le bilan du conseillé, c'est qu'il avait rempli sa mission. Mon
bilan, c'est que mon nom est un frein à ma recherche d'emploi, mais on
ne me l'a pas fait ressentir ».
Selon le CEREQ, près d'un jeune sur huit se
déclare avoir été victime de la discrimination à
l'embauche durant son parcours d'insertion. Pour les hommes, la discrimination
paraît plus souvent liée à leur origine culturelle.
La discrimination et la question du quartier, l'incidence du
groupe de pairs.
Abdel : « J'ai toujours vécu à La
Bottière, mes amis...beaucoup j'étais à la maternelle avec
eux. C'est surtout des gens d'origine étrangère...et au BTS, on
parlait de ça...de l'embauche. Par rapport à la discrimination,
pour certains, ça n'existe pas...c'est parce que...ce sont ceux qui sont
français...ils disent que nous voyons le mal partout...mais bon, chacun
sa position. Ce qui est pas mal, c'est un pays comme l'Angleterre, là on
regarde vraiment les compétences, en France, c'est chaud, en Angleterre,
on joue pas sur les provenances ».
Karim : « J'ai toujours habité à la
Boissière. Dans mon quartier, il y a énormément de gens
qui ont fait le même diplôme, et qui ne trouvent pas...ça ne
vient pas que de moi. Il y a aussi la conjoncture, le chômage, et
ajouté à ça...le secteur géographique, la
discrimination. Plus le manque d'expérience. Il y a de la discrimination
positive, c'est que la discrimination existe. La filière, je l'ai
choisie parce qu'il y a des offres, le Commerce, c'est large, y a quand
même beaucoup d'offres. Mais c'est le manque d'expérience aussi.
La discrimination plus la conjoncture. On est tombé au mauvais moment.
Le problème pour les jeunes, il est général, et si on
descend, si on segmente, c'est encore plus difficile pour ceux qui sont issus
de l'immigration ou qui habitent en quartier. C'est plus la discrimination que
le quartier, par exemple tu peux être `français de souche'...
(j'aime pas trop cette expression) et être dans un quartier ; la
personne, elle trouvera peut être plus facilement. Pour le quartier, tous
ceux qui habitent un quartier, ils veulent partir, tout le monde veut partir,
on veut tous un environnement plus agréable, un meilleur cadre de vie,
mais là aussi, il y a la discrimination au logement. Moi aussi,
j'aimerais partir ».
La question du quartier par rapport à la discrimination
ne joue pas réellement, il s'agit davantage de la question du milieu
populaire et de résider dans un environnement où le taux de
chômage est important,
les ressources économiques faibles, avec des conditions de
vie matérielles dégradées et des profils psychologiques
fragiles28.
La distinction entre les filles et les garçons :
combativité et victimisation, contournement ou « faire avec
»
Abdel : « Sur le CV, j'inscris pas le quartier.
Déjà, ils regardent le nom et après, ils regardent le
quartier. Mais c'est d'abord le nom...moi mon nom, ça va encore, mais
c'est mon prénom. Par contre, je mets toujours une photo. Alors ils
regardent le nom et après la photo ».
Karim : « Sur mon CV, je mets mon nom et ma photo.
Avec tous les entretiens que j'ai passé...en prenant du recul, je pense
qu'on peut être victime de ça. Je cherchais dans le commercial,
puis dans le secteur bancaire, et la Vente-Distribution ; au début je
ciblais...puis je me suis rendu compte que c'était saturé...j'ai
essayé d'élargir pour optimiser me chances ».
La discrimination raciale est davantage évoquée
pour les personnes issues d'une ZUS (pour ceux qui sont issus de
l'immigration). Mais là encore les discours diffèrent quand
à la façon d'aborder la discrimination, certains essaient de la
contourner en mettant en place des stratégies, d'autres ont largement
pris conscience des principes discriminatoires et tentent de construire leur
personnalité et leur parcours professionnel en renversant d'une certaine
manière la situation.
Les filles issues de l'immigration maghrébine qui ont
accéder à un niveau de diplôme dans le supérieur
(Bac+5), insistent sur le fait que le parcours universitaire leur a permis de
rompre avec un environnement, et de découvrir un univers qui leur
était totalement étranger. Les études sont alors un moyen
d'émancipation. Elles se détachent des valeurs familiales, et
au-delà de la logique du quartier.
Malika: « Quand j'ai connu mes amis à la Fac,
je me suis un peu éloignée de la famille et du quartier...il y
avait un décalage, je voyais moins mes amis du quartier...il y a avait
un écart significatif. La troisième phase, j'ai voulu revenir,
maintenant, j'ai repris contact avec des copines...je me retrouve dans des
soirées complètement différentes...je suis à l'aise
avec moi même...sur le plan identitaire. Je ne renie plus mes origines.
Avant, j'osais pas dire que j'habitais Bellevue, la cage d'escaliers
était très crade...et puis j'avais l'image d'une copine qui
était au lycée Guist'Hau. C'était une période
superficielle, la génération ado. En fait, j'ai amorcé ma
trajectoire sur trois routes, l'identité, la trajectoire scolaire et la
trajectoire professionnelle...J'ai pu avancer, et plus j'avançais...les
études...c'était la route centrale pour moi. Quand on vit dans un
quartier où c'est pas facile...il y a une richesse...il y a des choses
positives et il y a des moments difficiles. Et il ne faut pas oublier, ce sont
d'abord les gens du quartier qui subissent les difficultés. La
déchéance, je me disais, je veux pas finir comme ça...et
je veux pas que l'un de mes frères finisse comme ça...je me
disais, j'ai
28 Voir les entretiens au près de la Mission Locale et de
« Challenge Emploi ». P. 49, 53, 54.
intérêt à avoir un taf. Ca m'a permis
d'être moins chochotte, ça a construit une personnalité. Il
faut s'imposer, trouver des modes de communication ».
Il y a un lien entre le parcours scolaire, la rupture avec le
quartier et la famille, et par la suite la construction du projet
professionnel, et la perception de la discrimination.
Les garçons issus de l'immigration résidants en
ZUS sont peu nombreux à avoir un niveau de diplôme
supérieur au Bac+2. Ils sont plus centrés sur le quartier et se
posent davantage comme victime de la discrimination.
L'entretien montrait les difficultés d'accès
à l'emploi lié à la conjoncture. Elle a un bon CV, de
nombreux stages, dont certains à l'étranger. Elle fait preuve
d'une réelle motivation et d'une grande ambition. Par rapport à
son nom de famille, elle pense que ça a pu jouer, mais elle n'insiste
pas sur le fait qu'elle ait des origines arabes, ou sur son nom. Elle ne veut
pas se porter comme victime, au contraire. C'est une jeune femme, avec des
origines arabes, mais elle veut faire preuve de combativité quand
à sa recherche d'emploi. Cela est peut être due à son
éducation, et à son milieu social : classe moyenne sup,
établissements de centre ville, a toujours vécu hors quartier,
elle est autonome, prend la décision de faire un emprunt...Même si
il y a eu des périodes de découragement quand à sa
recherche, elle ne cherche pas les réponses par rapport à son
identité, elle remet au contraire sa personnalité en question,
ses démarches, cherche de nouvelles stratégies...
Les pays étrangers européens vus comme une
solution face à la discrimination pour les garçons issus de
l'immigration.
Abdel : « L'année prochaine, je vais aller
travailler à l'étranger, en Espagne, à Barcelone ; pour
être commercial, la bas...c'est plus facile. Je connais des amis qui sont
arabes ou noirs et qui travaillent la bas, c'est plus facile. J'ai plein d'amis
qui sont parti la bas...on regarde plus les compétences ». «
J'ai toujours vécu à La Bottière, mes amis...beaucoup
j'étais à la maternelle avec eux. C'est surtout des gens
d'origine étrangère...et au BTS, on parlait de ça...de
l'embauche. Par rapport à la discrimination, pour certains, ça
n'existe pas...c'est parce que...ce sont ceux qui sont français...ils
disent que nous voyons le mal partout...mais bon, chacun sa position. Ce qui
est pas mal, c'est un pays comme l'Angleterre, là on regarde vraiment
les compétences, en France, c'est chaud, en Angleterre, on joue pas sur
les provenances. Ca fait que j'ai cherché du travail pendant sept
mois.... A la Bottière, c'est des amis de longue date...mais même
si je pars, je garderais contact, c'est pas une rupture, il y a le
téléphone. En Espagne, il y a moins de discrimination, on ne
regarde pas les origines ou la provenance. C'est sur, on a des handicaps...et
tout ce qui se passe ailleurs, on nous le reproche...ce qui se passe dans le
monde. Déjà quand j'étais petit, les adultes, ils me
disaient de retourner dans mon pays. Mais là, depuis le 11 septembre,
ça s'est renforcé...et puis, faut regarder les dernières
élections...pour moi, ça changera pas...y a pas de solution, et
c'est partout, pas que pour le
travail...les Boîtes de nuit...partout, et les
jeunes aussi. Nos parents, dès qu'ils sont arrivés, ils
étaient victimes du racisme, mais c'était encore caché.
Maintenant, ça devient normal d'être racistes, et la
télé, ça légitime le racisme ».
Karim : « Y a plein de gens qui ont les
compétences, mais y a de la discrimination, j'ai beaucoup d'amis qui
sont issus de l'immigration, ils ont des faciès maghrébins ou
africains...c'est ça...y a beaucoup de cas comme ça. Le manque
d'expérience, parfois, c'est un faux prétexte. On me l'a
déjà dit en entretien...à Auchan, pour un poste de manager
opérationnel, on m'a demandé si le fait de venir d'un autre pays,
ça pouvais poser un problème...je sais plus trop comment ils me
l'ont demandé...ou pour moi, quel problème j'avais
rencontré en étant issu de l'immigration maghrébine. J'ai
d'autres copains qui ont eu les mêmes réflexions...pour être
commercial...'vous avez un faciès qui risque de jouer sur les
résultats'. Ma mère voulait que je fasse une année de
plus. Mon frère, il a arrêté en BEP ; il s'est mis à
son compte. Même moi, parfois j'y pense, me mettre à mon compte,
monter mon entreprise dans les services. Ou sinon, l'autre issue, ce serait de
partir à l'étranger, l'international...soit être
indépendant, soit s'aventurer à l'étranger...dans des pays
qui regardent plus les compétences...l'Angleterre ou le Canada...il y a
beaucoup de Pakistanais là-bas par exemple ».
La discrimination et la logique de distinction sociale
-Manifestement acquise
-Affronter dans de bonnes conditions subjectives la
discrimination
1
-Adhésion au « modèle
français d'intégration »
-1.Intégration -2.Discrimination
85
-Discrimination -Intégration
-Savoir faire avec -Combatif -Stratégies
2
2
1/ On tente d'adopter un « modèle
d'intégration » pour affronter les logiques de discrimination ou
pour les rencontrer le moins possible. On essaye alors de « mettre
à distance (le quartier, la famille), logique de «
désethnicisation », mécanisme d'éloignement et de
distinction, volonté de quitter le quartier et la cellule familiale,
s'armer socialement pour affronter une discrimination.
2/ On utilise la logique de la discrimination en faisant face.
On tente de s'intégrer soit en acceptant la discrimination (« on
fait avec »), soit par la construction de soi (en luttant contre la
discrimination). S'il y a un échec, le mécanisme excuse,
justifie. Réaffirmation de l'origine ethnique, faire face aux
discriminations perçues dans les Institutions, construction de soi dans
les rapports conflictuels avec les autres (entreprises) et les institutions, la
personne essaye de résister, met en place des résistances, se
mobilise.
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