Quatrième partie ; retranscription
d'entretiens
Entretien Vincent. Source : « Education Nationale
». 24 ans. BTS Productique Bois, option B. Bellevue.
Cet entretien est révélateur de la logique du
quartier comme il a été dit plus haut, non pas par rapport
à la discrimination, mais parce qu'il induit un certains nombres de
déterminants sociaux qui sont des freins en tant que tels dans le
parcours scolaire et la recherche d'emploi. L'entretien met en évidence
l'importance de la filière par rapport à la trajectoire d'un
garçon non issu de l'immigration et habitant en quartier.
« J'ai fait un BTS Bois et ameublement ; puis j'ai fait
l'école supérieure du Bois, avec une Licence pro, c'était
à l'IUT de Bordeaux. Au collège, je n'avais pas d'idée
fixe ».
« Mon père est artisan menuisier, il y a un
bureau, un atelier chez mes parents, j'avais l'habitude de travailler le bois
avec lui. Naturellement, je me suis dirigé vers le bois. Mais ce qui
m'intéressait, c'était plutôt la gestion des ateliers, la
production, pas trop la productique. À l'IUT de Bordeaux, j'ai fait des
stages et à la suite d'un stage, je suis rentré dans un cabinet
d'études qui travaille sur la charpente, il y a un atelier de 25
personnes et un bureau de 5, 6 personnes, c'est chez GUILLET, en Vendée,
pas loin de Montaigu ».
« Je suis originaire des Sables d'Olonne, mes parents
sont arrivés à Nantes il y a dix ans. Je suis arrivé,
j'étais en sixième, c'était à Notre Dame de
l'Abbaye. J'ai redoublé ma seconde. Ensuite, j'ai fait une seconde STI
au lycée Monge. J'ai passé un Bac STI, géni
Mécanique, j'ai obtenu le Bac STI à Monge. Les profs disaient que
je n'avais pas les capacités d'aller en BTS, ils pensaient que je
n'aurais pas le Bac...Et je l'ai eu avec mention. Pour le choix de
l'orientation, ils étaient défavorables pour le BTS
».
« Mais le BTS, ça s'est très bien
passé, ça été le déclic, je m'entendais
très bien. Il y avait une super ambiance de classe, on faisait des
visites d'entreprises. Ca été vraiment le déclic. J'ai
aussi eu mon BTS avec mention. Après, j'ai fait une Licence, j'ai eu une
mention Bien ; je voulais un Bac+3, pour l'homogénéisation des
diplômes. J'avais hésité avec l'école
d'ingénieurs quand j'étais en deuxième année de
BTS...J'ai vraiment hésité de passer l'école
d'ingé, finalement j'ai fait la Licence à Bordeaux, à
l'Université, c'était des cours magistraux, des cours qui
correspondaient à la fois à la deuxième année
d'école d'ingé et des cours de Master ».
« Les profs au BTS, ils s'investissaient beaucoup
plus...Au lycée, les profs, ils étaient juste là pour
faire leurs heures...C'était totalement différent, au BTS, ils
nous donnaient des conseils, des informations, des documents ; même
maintenant, les profs m'envoient toujours des offres. On était en
relation avec les élèves des années
précédentes, les anciennes promos. Les profs, ils avaient
déjà eu des expériences professionnelles, ils
connaissaient le monde de l'entreprise, et en plus il y avait des consultants
qui étaient des professionnels, certains étaient chercheurs. Dans
ma promo, on était 12, il n'y a pas beaucoup de promo en France, les
profs qui venaient nous donner des cours nous donnaient aussi des projets
».
« On avait six mois de cours, et six mois de stage.
J'ai fait six mois de stage dans un cabinet d'études, et à la
suite du stage, j'ai été embauché. La Licence, ça
m'a permis de découvrir la vie active. Mon formateur, c'était un
chercheur réputé, j'avais le choix de partir dans d'autres villes
ou de rester à Nantes, ce que j'ai fait ».
« Les entretiens pour les stages, c `était pas
toujours de bonnes expériences...J'ai eu à faire à pas mal
de patrons l'année dernière. Le stage le plus difficile,
c'était la première année de BTS, je n'avais pas beaucoup
d'expérience donc, j'ai trouvé un stage par piston, par mon
père...Par rapport à ce qu'on me proposait comme travail, les
gens de l'entreprise, les tâches à effectuer, c'était du
travail d'opérateur, c'est pas ce que je voulais. Ensuite, j'ai fait pas
mal de recherche, j'ai fait un stage dans un bureau d'études, Jeannot',
c'est un fabricant de bateaux. En deuxième année de BTS, j'avais
fait un stage en menuiserie. Trois stages, c'est important ».
« Moi, ça me plaît complètement,
ça va faire un an que je suis dans l'entreprise, je suis toujours en
relation avec des amis qui sont un peu partout en France. Mon désir, se
serait de partir à l'étranger, c'est ma première
motivation, pour apprendre une langue étrangère ».
« Je sais que les patrons regardent les stages. En
Licence, j'ai eu un patron qui connaissait mon ancien patron...Tout le monde se
connaissait. Les cours et les entreprises...C'était lié ; les
profs s'investissaient. Là, dans ma branche, il y a pas mal de
départ ne retraite, oui...Beaucoup de personnes qui partent en
retraite...Et
on trouve personne. Il y a plus de demandes que
d'offres...Alors que j'ai des amis dans le Commerce qui trouvent pas. Mes amis
de BTS ou de Licence, ils ont tous trouvé du travail. En BTS, on avait
fait des portes ouvertes sur notre filière, mais ça attire peu de
monde...Peut-être qu'il y a un manque d'informations ».
« Au lycée, au départ, je n'envisageais
même pas d'avoir mon Bac. En Terminal, ça ne m'intéressait
pas, j'avais des notes pas terribles...Mais ça m'a laissé de
bonnes bases. J'ai révisé pendant deux semaines, et j'ai eu 12 de
moyenne, y a une part de chance aussi ».
« Je suis retourné voir les profs de BTS au
mois de juin, je suis invité à manger chez l'un de mes profs,
avec toute la promo...Je les revois le mois prochain. En BTS, on a eu 100 % de
réussite, c'est tous des amis. Déjà en BTS, on discutait
du professionnel, ça pas toujours été ce qu'on voulait
faire par la suite...J'ai un ami, à Saint Etienne, il a fait une
école d'ingénieur, il s'est planté...Là...Il est au
chômage, c'est pas bon sur le CV un échec...C'est pas uniquement
le diplôme qui compte ».
« Avec les patrons, ça s'est toujours
très bien passé, à la fin du stage, ils étaient
contents de mon travail. Y a pas longtemps, j'ai un patron que j'avais eu en
stage, il m'a envoyé une offre, ils cherchaient un gars pour un poste
».
« Dans ma filière, c'est hallucinant...Tous
les jobs qu'il y a !...Par contre, les employeurs sont un peu radins. Mon
choix, c'est pas par rapport au salaire, mais c'est plus géographique,
je veux rester dans la région de Nantes ».
« Le stage, en troisième année, je
m'étais investi. J'ai été embauché et par la suite,
j'ai intégré le bureau d'études. Au départ, il ne
faut pas s'attendre à avoir un poste en or...Ce que je constate, c'est
que les stagiaires veulent directement travailler, alors qu'il faut en passer
par le manuel, faut d'abord faire les chantiers, les ateliers, faut
apprendre...On va pas les mettre direct au bureau, c'est pas possible...Faut
pas hésiter à rentrer dedans. Il y a 1 mois, on a eu un stagiaire
qui connaissait pas grand-chose, et il voulait aller directement au bureau,
c'est impossible. Moi, j'ai travaillé sur tous les postes, ateliers,
chantiers, pendant deux ou trois mois...Le soir, j'avais pas d'heures...Je
finissais des fois à 19h00, des fois à 22h00...Et ensuite le
bureau. J'en ai vraiment bavé avant de rentrer au bureau, ils ne me
faisaient pas de cadeaux...Je n'avais pas le droit à l'erreur,
c'était des chantiers importants, j'ai des responsabilités qui
sont arrivées rapidement. Mon travail, c'est la planification, la
construction, les calculs par rapport au bois...Il y a des sommes importantes.
Ils me donnaient des dossiers parfois, je ne savais pas si j'étais
capable...Moralement, j'avais peur de pas savoir gérer. De rester ou
pas, ça m'était égal, je savais que je pouvais trouver
ailleurs, c'était plus par passion. Ils m'ont bien exploité quand
même...20 % Du SMIG.
« Les ressources, ça été le plus
dur, c'est pour ça que j'ai arrêté en Licence. À la
fin de mon stage, mon maître a reçu une lettre de l'école,
il fallait qu'il signe pour valider le stage, l'appréciation, à
ce moment, il m'a parlé d'embauche. Au niveau financier, les
années d'études ont été dures. Mon père qui
est artisan, il ne gagne pas beaucoup, et ma mère, elle est au
chômage. Mon unique apport, c'était les jobs d'été,
j'avais jamais de vacances, je bossais avec mon père...Sinon, j'ai
travaillé dans une boucherie, j'ai fait chauffeur livreur, j'ai
travaillé dans la fonderie...Il fallait que je finance mes
études...Les études, ça s'achète avant tout.
J'avais le droit à une bourse, ça m'a permis d'avoir une petite
voiture à Bordeaux, c'est un investissement important. Mes parents, ils
avaient déjà du mal...Mon petit frère aussi fait des
études, il habite chez mes parents, il est en BTS.
En Licence, à Bordeaux, j'étais en
collocation, mais c'était beaucoup de frais, ça été
dur. Mes parents, ils sont près de Bellevue boulevard Jean Moulin, mais
avant, ils étaient à Bellevue, j'ai vécu à Bellevue
de la sixième à la fin BTS ».
« Bellevue, je m'y suis très bien senti.
C'était une bonne expérience...Ça m'a appris à me
démerder dans la vie de tous les jours. J'avais pas de ressources,
ça m'a donné encore plus de gnak. Quand je suis arrivé en
Licence, j'étais avec des gens qui étaient plus aisés,
mais ça...J'avais pas de barrière. La vie à Bellevue,
c'était pas tous les jours facile, en BTS, c'est assez sélectif.
J'ai eu pas mal de relations qui sont aujourd'hui en prison. Moi, je
gérais mon truc de mon côté, et sinon, je les
fréquentais dans la vie de tous les jours. Quand je fais le bilan, c'est
une fierté...j'aurais pu mal virer, mais j'avais mon père sur le
dos, j'avais pas de bonnes fréquentations ».
« Ce qui m'a permis e m'épanouir, c'est de
rencontrer de nouvelles personnes hors de Bellevue, de me faire de nouvelles
relations. Au lycée, tu te fais influencer. Déjà, quand
j'étais petit, j'étais un bon élève, mais
j'étais pas toujours sérieux. Des fois, ça allait loin,
genre les voitures...Je traînais pas mal dans mon quartier...Mais y a pas
que des malfrats. On avait tous les mêmes fréquentations, j'avais
aussi des amis dans le centre ville. J'avais tendance à pas
dévoiler mes amitiés, je voulais pas mélanger mes amis, je
les voyais séparément ».
« Ca été ma force de m'insérer
dans tous les milieux. C'est aussi grâce à mon père que
j'ai réussi à aller au BTS...Il connaissait les gens que je
fréquentais, il savait pas quels individus ils étaient, y en a,
c'est de très bons amis...Même actuellement, ils connaissent mes
parents, mon frère. Avec d'autres, j'ai coupé les ponts...On
avait plus rien en commun. L'endroit où tu vis, ça influe sur ta
façon d'être ».
« Même par rapport aux patrons, j'avais un
côté rebelle, j'en faisais qu'à ma tête...Mais j'ai
mis de l'eau dans mon vin, j'essayais d'être le plus simple possible. Les
premiers entretiens, c'était sur le physique, j'avais une tendance...J'y
allais en survêtement, style `caëra' ».
« Aujourd'hui, je me dis, heureusement que j'ai eu
mes parents. Mon père, il m'appelle régulièrement, il
influe dans ma vie de tous les jours...Il suffit de trouver le truc. Je
comprends que des gens s'en sortent pas. J'ai une copine, elle a fait le choix
école de Commerce, elle se demande toujours comment elle va gérer
sa vie professionnelle. J'ai croisé un ami que j'avais pas vu depuis
trois ans, il en revenait pas ».
« J'ai toujours des amis blacks ou rebeux...Ils ont
beaucoup de difficultés à trouver du boulot. Genre là
où je travaille, à Montaigu, c'est ingérable...Ces mecs,
c'est des gros fachos, les seules relations qu'on a, c'est pour le boulot.
À ma boîte, ils regardent la couleur, l'origine, une fois, il y
avait un chinois, il est resté une aprèsmidi, il s'en est pris
plein la tête. Parfois, ils refusent des formations au dernier moment,
quand ils voient que la personne est black. J'ai gardé contact avec
Bellevue, j'ai des amis zaïrois, portugais, grecs... »
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