Les conditions d'accès à l'emploi des jeunes diplômés bac plus deux et plus des zones urbaines sensibles de l'agglomération nantaise( Télécharger le fichier original )par Jean-Baptiste DROUET UFR de Sociologie de Nantes - DESS 2005 |
3.2.5. L'environnement familial et l'environnement quartier :Le rapport à la famille : un soutien ou un frein ? L'incidence sur l'autonomie et la mobilité Par exemple, le fait d'habiter chez ses parents permet d'avoir moins d'inquiétudes quant à l'aspect financier, le jeune diplômé n'a peut-être pas besoin de trouver un « job » qui occasionnerait une perte de temps par rapport à sa recherche d'emploi, il ressent peut-être moins la pression du temps, et peut alors davantage affiner sa recherche, se renseigner, faire jouer son réseau, mettre en place des outils plus solides pour trouver un emploi, il a plus de disponibilités grâce à l'absence de contraintes financières. Cela dit, le fait de ne pas pouvoir quitter le milieu familial peut être un frein dans l'accès à l'emploi, notamment au niveau de la mobilité, mais aussi parce que quelque part la personne ne se sent pas prête à couper le cordon familial et à travailler si cela correspond pour elle à un sacrifice. On retrouve davantage ce genre de situation dans les familles mono parentales (une mère et ses enfants), en ZUS, ou le rapport entre mère et fille est très fort. Le lien familial est corrélé à la situation financière, au mode de vie. La personne peut se sentir redevable envers des sacrifices faits pour qu'elle fasse des études. Marina, (fille, issue immigration) : « J'aimerais rester sur le secteur de Nantes, je veux pas me détacher de Nantes, je veux rester avec ma mère et ma soeur. J'aurais du mal à les quitter, on est très lié. Ma mère, elle veut nous avoir à ses côtés. Pour moi, ma mère, c'est un exemple, elle est issue d'un milieu modeste, elle veut que je réussisse à l'école. Souvent, je me lève à sept heures et je commence mes démarches. Je sais que je manque de confiance en moi, j'ai vu un psy, ça va un peu mieux. Pour la recherche de travail, je suis motivée, en entretien, je suis déstabilisée. Je veux tout faire pour rester sur Nantes. C'est grâce à ma mère que je m'en suis sortie, elle n'était pas stricte mais attentionnée, c'est quelqu'un qui a tout fait pour nous, pour moi et ma soeur. Elle ne parle pas bien le français, elle nous a toujours payé des cours de soutien, elle bosse à 5 heures du mat et rentre à 19 heures, on se voit le soir. On a toujours tout eu, c'est pour ça, au niveau du travail, il faut que je trouve J'ai une famille très liée, on parle beaucoup, ça aide de communiquer, on s'est où on met les pieds. Plus tard, j'ai aimerais avoir un bon boulot et pouvoir acheter une maison pour ma mère, pour ma soeur et moi, sur le même terrain, c'est mon rêve ». À l'inverse, si le jeune diplômé prend son autonomie, son propre logement ; il sera alors plus facilement contraint de travailler pour payer son loyer, pressé par le temps, il devra accepter un travail qui ne correspond pas forcément à son diplôme, peut être même un « petit boulot ». La pression financière, le besoin de ressources passe au premier plan au détriment de la valorisation du diplôme, de la recherche d'un travail légitime. On peut aussi considérer que le fait de partir du logement familial et donc de s'éloigner de ses parents est une condition nécessaire pour démarrer sa vie de façon indépendante. Le jeune diplômé peut peutêtre créer plus facilement un réseau de connaissance, de surcroît, à l'extérieur du quartier, il acquiert une expérience, une motivation, et une assurance qu'il n'aurait sans doute pas en restant au sein de la famille. Le besoin financier peut aussi être un déclencheur, un moteur pour se vendre (avec combativité) sur le marché du travail. On peut faire l'hypothèse que le jeune qui a décidé de partir de chez lui, a pris cette décision en même temps que celle de faire valoir son diplôme, de mobiliser le maximum de ressources, et de trouver un travail correspondant à ses compétences. Lilia : « Je suis née en Tunisie, je suis arrivée en France à même pas trois mois...sur le CV, je mets tout. Mes parents, ils me mettent la pression...il faut se lever tôt...ils voudraient que je devienne médecin ou avocat. Ma mère est femme de ménage et mon père a été professeur en France pendant un temps pour enseigner l'arabe, maintenant, il est ouvrier. Je crois que le rôle des parents, c'est important...et ce qu'ils font aussi...si mon père était médecin par exemple, je serais plus entourée...c'est plus tracé pour les riches. Mais à l'école, j'étais une bonne élève, mes parents m'ont toujours poussé à bien travailler. Ce que je veux, c'est être indépendante, je refuse que mes parents financent mon permis ». Constance : (fille, 22ans, issue immigration, ZUS). « Les études ça me prenaient la tête, ça ...je suis une feignasse. Je voulais être indépendante, aussi de mes parents. Pendant que j'étais à la Fac, je vivais à Pin Sec, pendant quelques mois. Il fallait que je parte, on était six avec ma mère. Je partageais ma chambre avec ma soeur. Ca joue sur le mental, faut avoir une sérénité. Chez moi, j'avais pas envie de travailler, au niveau de l'environnement déjà et aussi parce que j'avais pas envie. Au niveau de l'environnement, j'avais des pressions. Au collège, j'étais une tête, c'était génial. Ma mère n'a pas fait d'études, et il fallait que j'aide mes petits frères, et après je me disais, il fallait que je parte de la maison, je suis partie ». La sociabilité et le rapport aux autres (la famille, les amis). Il faut s'intéresser à la relation aux amis et au groupe de pairs. À l'aspect positif ou négatif que constitue le groupe. Le sentiment collectif du dépit, de la rancoeur, de l'amertume face au système institutionnel et au marché de l'emploi, voir aussi le discours sur le parallèle entre l'attachement au « modèle d'intégration français » et la perception de la société française et de son fonctionnement. Le discours du groupe de pairs peut décourager, provoquer ou faire naître des sentiments d'amertume. Si le jeune diplômé ne parvient pas à trouver du travail, il va chercher les explications ou les justifications dans son environnement social. Quelle est la fonction, le rôle, la posture que tient le groupe de pairs ou des amis ? La question du sentiment collectif existe-t-il ? Retrouve t-on les mêmes types de discours selon des situations similaires ? Quel est le rapport aux amis et notamment aux amis du quartier qui n'ont pas fait d'études. Quel type de discours tiennent-ils ? Le groupe de pairs représente-t-il une contrainte, une pression ? Voir les différences hommes et femmes. Ex : les femmes sont peut-être plus nombreuses à fréquenter des personnes habitant hors de la ZUS. Le fait d'être confronté à d'autres milieux sociaux et d'avoir accès à un autre univers de référence crée-t-il un effet déstabilisant ? Abdel : « Les gens que j'ai envie de voir, c'est surtout les gens qui travaillent, c'est eux qui peuvent t'aider. Je veux pas voir les pessimistes, ça sert à rien...après, si je pense à ça...j'avance pas. Je crois que c'est une question de temps. Ca fait que j'ai cherché du travail pendant sept mois...quand j'étais au Mans, c'était surtout des amis du BTS, ou des copains de copains. A la Bottière, c'est des amis de longue date...mais même si je pars, je garderais contact, c'est pas une rupture, il y a le téléphone. Karim : « Je discute beaucoup avec des gens issus de
l'immigration, pour beaucoup, les diplômes, ça meilleur salaire. Beaucoup de gens ont arrêté tôt, et il y a ceux qui sont en Intérim toute l'année, ou qui montent leurs affaires...ils se débrouillent très bien...plus les emplois non déclarés. Si je faisais un retour en arrière, je me serais arrêté après le BTS, j'ai fait ce que je pouvais, ça ne vient plus de moi. J'ai essayé de continuer pour me différencier...mais ça ne sert à rien...enfin si...pour les connaissances...pour la culture générale, ça me sert, c'est enrichissant ». Il faut derrière les données statistiques et les rapports rendants compte de la situation des ZUS et de l'immigration, s'intéresser à la manière dont les destins sociaux sont fabriqués, dont les histoires (familiale, scolaire, résidentielle, etc...) de chaque individu révèle que le champ des possibles scolaires et sociaux est étroitement délimité. -On doit s'intéresser au sentiment collectif et à l'idée d'une trajectoire collective pour ces diplômés issus de l'immigration (notamment par rapport à la démocratisation scolaire). Le « nous » peut parfois être employé par ces jeunes des milieux populaires21. -Il faut faire l'analyse du rapport à la culture et du rapport au quartier. Concernant le quartier, on ne peut pas échapper, ou très difficilement au lieu et à ses affiliations obligées. Les enfants vont à l'école du quartier, au collège du quartier et parfois même au lycée du quartier. Ils fréquentent les mêmes amis du quartier tout au long de leur parcours scolaire. -En accédant aux études supérieures, il s'agit de faire des compromis qui permettent de continuer à être accepté par ceux qui n'ont pas continué leur scolarité, mais sans entrer directement dans leur jeu pour que cela ne nuise pas aux études. Comment et quand couper les liens avec les copains du quartier ? -Il faut faire le parallèle entre les trajectoires et les attitudes scolaires et les formes d'enracinement dans le quartier. Nasser (garçon, issu immigration, ZUS) : « Les amis dans le quartier, c'est pas du tout ça, c'est discours...euh...t'as vu, t'as fait des études et t'es rendu au même point que nous, voilà...à la limite tu t'es cassé la tête, alors que nous on est sorti en BEP et moi je travaille à l'usine, j'ai ma paye, toi t'as fait des études et t'es rendu toujours au même point. C'est dur à entendre, mais en voyant les personnes qui disent ça, je prends du recul quand même, ça rentre par la et ça ressort de l'autre côté, je préfère écouter ma conscience...ils sont un peu foutistes, ouais ils sont un peu foutistes on va dire. Les gens qui ont fait des études ils comprennent en fait, en fait on est sur la même longueur d'ondes, mais sur les gens qui n'ont pas fait d'étude, par rapport à la conjoncture, eux ils voient par rapport au chômage, qu'il n'y a pas de travail ; mais c'est vrai que je suis plus en accord avec des gens qui ont fait des études, on va dire qui ont fait un minimum d'études et qui savent ce que c'est, il faut passer par là, il faut galérer. Ça peut être un sujet de débat mais c'est ce que je leur dis, je leur dis moi j'ai rien perdu, au contraire j'ai tout à gagner en faisant des études, et un jour on verra, je leur donne 21 Voir l'entretien avec Catherine Barbier. Association « Un parrain un emploi ». p 42 comme exemple...on va dire on va rentrer dans une entreprise, on va dire par exemple comme agent de fabrication, après on te donne la possibilité d'évoluer donc entre une personne qui a un diplôme et une personne qui n'en a pas, c'est sûr que la personne qui a un diplôme elle va évoluer, elle va évoluer beaucoup plus vite qu'une personne qui n'a pas de diplôme et les diplômes sont là, donc forcément on a une culture...on a une culture technique et générale et avec les diplômes derrière donc forcément on va évoluer un peu plus. Oui ça crée un enrichissement, sur la culture ». Lilia : « Mes amis, je les vois plutôt en dehors du quartier, et même en dehors de Nantes. Ma meilleure amie, elle est à Montaigu. J'aime pas trop le centre, genre Commerce, j'ai l'impression que tout le monde regarde. Mon amie qui habite à Montaigu, elle est plus aisée...moi ça va ...mais il me faut juste un boulot. Je crois que le rôle des parents, c'est important...et ce qu'ils font aussi...si mon père était médecin par exemple, je serais plus entourée...c'est plus tracé pour les riches. Mais à l'école, j'étais une bonne élève, mes parents m'ont toujours poussé à bien travailler ». Un milieu social familial modeste en ZUS ; le diplôme, la fierté des parents, un moyen de ne pas reproduire le même schéma et de sortir de la précarité. -Qu'en est-il de la mobilité sociale ? Il existe une volonté pour ces jeunes de quitter une position sociale (qui leur à été imposée plus ou moins implicitement) de fait par celle des parents, notamment du père, souvent assigné à un statut peu valorisant, nombreux sont les pères d'enfants issus de l'immigration qui sont ouvriers spécialisés. Abdel: « Mon père est ouvrier et ma mère est sans emploi. Mon père, il a galéré 36ans à l'usine, c'est pour ça, ils voulaient que ces enfants fassent des études pour pas faire le même boulot. Mais de toute façon, on galère quand même...quand ils sont arrivés, ils ont galéré, ça change pas trop. Même à l'usine, il y a de la discrimination, c'est partout. Mes parents, ils sont marocains. Sinon mon frère, il est ingénieur, et mes soeurs, elles sont à Rennes, il y en a une qui est infirmière ». Karim : « Mon père, il pense que les jeunes ne veulent pas travailler assez, c'est l'inverse de mon raisonnement. Pour lui, si il y a un travail, il faut le prendre, moi, je fonctionne à l'inverse. Pour moi maintenant, c'est inconcevable de travailler à l'usine, je vais pas me dévaloriser par rapport à ce que je sais faire. Pour mon père, je comprends qu'il pense ça, ils ont eu un passé plus difficile, son discours est contraint, moi j'ai pu accéder aux études et pas lui. Aujourd'hui, il est sans profession, il approche de la retraite, avant il était ouvrier agricole ». Quelles sont les conditions matérielles d'existence et
les conditions de vie ? On doit s'attacher à familiale et la sphère plus privée liée directement à la personne, la sphère intime. Ces questions sont aussi liées aux questions de précarisation des conditions de vie. Pour le quartier, tous ceux qui habitent un quartier, ils veulent partir, tout le monde veut partir, on veut tous un environnement plus agréable, un meilleur cadre de vie, mais là aussi, il y a la discrimination au logement. Moi aussi, j'aimerais partir. Le profil psychologique et les trajectoires de vie : des profils plus fragiles en ZUS Cécile « En ce moment, je suis en pleine période de remise en question. Plus les jours passent, et plus je suis dans le flou. Je veux savoir ce que les autres pensent. Je doute beaucoup, au niveau de l'assurance, et du caractère, j'ai l'air comme ça, très sociable, souriante et tout...en entretien, j'arrive à avoir un bon contact. Mais à Phone Régi, au mois de mai, c'était terrible, je stressais pour l'entretien. Mais lors de l'entretien, on le voit pas. Sur certaines offres d'emploi, je ne réponds même pas, je ne suis pas sûre de moi, je pense que j'y arriverais pas, que c'est trop pour moi...je sais que je me pénalise dés le départ Je sais pas où je vais, je crois que je ne me connais pas trop en fait ». Il faut derrière les données statistiques et les rapports rendants compte de la situation des ZUS et de l'immigration, s'intéresser à la manière dont les destins sociaux sont fabriqués, dont les histoires (familiale, scolaire, résidentielle, etc....) de chaque individu révèle que le champ des possibles scolaires et sociaux est étroitement délimité. -Afin de comprendre les processus, il faut se pencher sur l'héritage culturel et économique, faire l'analyse du passé et de l'histoire. -« Contre les discours actuels, que l'on entend régulièrement, à la télé ou à la radio, qui célèbrent abstraitement la République et en appellent à un retour à l'autorité, l'analyse des conditions d'existence, des scolarités, du mode d'insertion professionnelle des jeunes de milieu populaire déplace le regard en attirant l'attention sur la manière dont le passé de la « crise » des années 1980-1990 (précarisation des emplois, déqualification des ouvriers, recul du syndicalisme, moindre cohésion sociale et des modes de représentation populaire...) ne cesse de peser sur le présent, on le ressent fortement aujourd'hui. Cela imprègne les comportements de la plupart de ces jeunes de banlieue »22 Qu'est ce que signifie aujourd'hui « avoir grandi dans une cité » durant ces années de « crise » ? Peutêtre la première question à se poser pour réaliser cette étude. On voit aujourd'hui que toutes les formes de discours qui visaient à expliquer les attitudes et à les situer dans un contexte économique et social, il faut le dire, discours plutôt de gauche, ces discours sont de plus en plus assimilés à des « façades » qui serviraient à cacher ou à rendre sourdes les violences urbaines et incivilités. On veut désormais des solutions concrètes, de préférence à court 22 Stéphane Beaud, « 80 % au Bac et après...les enfants de la démocratisation scolaire ». terme, les discours de gauche ne sont plus crédibles, et on croît aux solutions proposées par certains politiques du gouvernement actuel. C'est ici que la Sociologie peut intervenir, en rendant compte de la complexité de la réalité sociale, et aussi, en apportant « un alibi » à la conduite déviante des jeunes, ce qui peut rendre la recherche dans ces quartiers suspecte. Avant de porter des jugements sur les « jeunes de banlieue », il faut insister sur l'hétérogénéité de cette population, entre ceux qui s'en sortent très bien par la réussite scolaire ou par le côté artistique, ceux qui plongent dans la délinquance, trafics, drogue, et ceux qui sont entre les deux. Pour en revenir à qu'est ce qu' « avoir grandi dans une cité », (il ne s'agit pas de mettre tous les aspects positifs du quartier de côté :lien social, groupe d'amis, culture Hip Hop, break, arts comme le graff..., ou dire qu'ils n'existent pas, mais juste peut être de lever une toile de fond), ça veut peut-être dire aussi « connaître des privations matérielles et une angoisse des lendemains, fréquenter des écoles et collèges ZEP qui résistent comme ils peuvent à l'anomie environnante, avoir un horizon géographique qui s'est de plus en plus limité au seul quartier, assister à la déchéance des frères aînés et à la délinquance des plus petits, éprouver le racisme et les diverses formes de discrimination...c'est, en Sociologie, ce qu'on appelle la socialisation ; et quelque part, qu' on le veuille ou non, tous ces éléments font partie de cette socialisation. Il faut bien considérer pour notre étude, que tous ces éléments constituent un handicap de départ considérable dans la compétition scolaire et dans la course à l'emploi stable. On peut aussi parler de l'insécurité économique et de la grande vulnérabilité des familles, de la précarisation des conditions de vie, de la ségrégation spatiale, de l'assombrissement de l'avenir objectif, de la détérioration des services publics, de la crise des organismes de loisirs, de l'enfermement progressif dans le quartier, de la domination et l'attrait pour la « culture de rue », de l'essor de l'économie souterraine, la pression du groupe de pairs, la violence des rapports de sexe, la faiblesse des rapports amoureux et affectifs, l'absence de représentation politique...Tous ces éléments entrent dans la socialisation, socialisation établie à l'échelle d'un quartier, et qui touche aussi la population qui nous concerne pour l'étude. Ces éléments peuvent aussi nous aider à comprendre les échecs de ces jeunes au niveau du supérieur et les difficultés d'accéder à l'emploi. »23 Il faut s'intéresser aux effets de paupérisation du groupe social. Ces effets ne produisent pas que de l'anomie sociale ou de « la désorganisation sociale », moins encore « des bandes de copains, des groupes de jeunes, des organisations aux frontières de la criminalité, des gangs » (La France n'est pas sur le même modèle qu'aux Etats-unis, on ne peut pas parler d'abandon des politiques de la ville, et donc de Ghettos ou de phénomène de Gangs) selon les termes de F. Thrasher24. Ils peuvent aussi 23 BEAUD Stéphane. « 80 % au Bac et après...les enfants de la démocratisation scolaire ». 24 F. Thrasher, the gang, Chicago, university of Chicago press 1936 produire des effets sur la fiscalité ou encore la sécurité sociale. Le processus de marginalisation sociale, que S. Paugam nomme plutôt « disqualification sociale » se déroule en trois phases : la première est celle de la fragilité. Les emplois précaires, occasionnels, les stages d'insertion, le chômage, sont autant d'épreuves douloureuses ; Les personnes qui font ce type d'expérience peuvent se considérer comme déclassées, c'est-à-dire placées dans une situation socialement inférieure. Surtout si elle se répète chez les plus jeunes, elle peut aboutir à la perte d'espoir d'accéder à un « vrai » emploi. Le déclassement professionnel et donc social est vécu comme une épreuve psychiquement humiliante qui incite au repli sur soi. À la fragilité succède» la dépendance », c'est le recouru aux services d'action sociale, donc la personne se voit dans l'obligation d'accepter le statut d'assisté, la troisième phase est la « rupture », qui peut se traduire par l'éloignement de la famille, et même de la société25. Le réseau des amis peut être un aspect négatif ou un aspect positif. Si ces amis sont dans une situation de recherche d'emploi, il peut se mettre en place un sentiment de motivation collective, un esprit d'entraide et de soutien, un réseau se crée autour de l'accès à l'information, aux offres d'emploi, cela signifie aussi un réseau de connaissances plus large et donc plus de possibilités. Il y a aussi un soutien de la part du groupe de pairs dans les situations d'échec, on est moins seul et peut être plus solide. À l'inverse, le groupe de pairs peut renforcer le sentiment de désillusion, de perte de confiance en soi, envers « le système institutionnel » et « le pacte républicain », il peut générer ou catalyser des facteurs qui vont petit à petit marginaliser le jeune diplômé dans son rapport au marché du travail. Du fait notamment des formes de discours qui peuvent le toucher au quotidien. -On doit se demander s'il existe des formes de résistance dues à la déception de ne pas trouver de travail. Il faut faire le parallèle entre l'école et le monde de l'entreprise. L'institution scolaire est perçue comme le moyen d'obtenir des outils et d'être suffisamment armé pour intégrer le marché du travail dans les meilleures conditions. Pourtant, le décalage entre les perceptions que l'on se fait du monde de l'entreprise quand on est étudiant et quand on est à la recherche d'un emploi est parfois grand. Il faut faire l'analyse du regard et des perceptions du jeune diplômé sur le monde du travail et de l'entreprise ; comprendre le jeu entre les logiques de discrimination, le racisme existant et la perception du monde du travail. -On peut rencontrer le cas où la personne est attachée à la culture et à la religion de ses parents, et en amont à son origine sociale. Cette personne est fière de son origine ethnique, de sa culture, elle est revendicatrice. On parle alors de « discrimination structurante », la personne construit son parcours grâce à elle. Elle perçoit ce parcours comme un chemin d'obstacles de la part des institutions. Il y a quelque part l'idée de se battre contre la « discrimination institutionnelle ». La personne se nourrit de la confrontation aux autres et à l'institution. 25 S. Paugam et al.., précarité et risque d'exclusion en France, paris la documentation française, coll ; « Document du CERC » N°109, 1993. -Il faut opérer une distinction entre le jeune diplômé issu de l'immigration, socialisé et scolarisé en France et le jeune travailleur immigré diplômé, arrivé à l'âge adulte qui se rattache davantage à une migration de compétences. -L'image, les perceptions de la discrimination et du racisme sont aussi fonction du rang social. Le rang social déterminerait la perception que l'on a du racisme, il faut prendre en compte la distance sociale. Les logiques racistes et de discrimination ainsi que les discours appuyés sur eux sont selon les cas, des moyens de se mettre à distance, de se distinguer, de s'éloigner d'une appartenance culturelle, d'une origine ethnique, sociale, et culturelle. Pour d'autres, cela constitue un moyen de résister et de mettre en place des mobilisations, de se justifier, d'expliquer des parcours. -Il existe donc deux angles d'approche en fonction du statut social de prime à bord, il faut comprendre et faire l'analyse de la « logique de distinction sociale ». Des personnes veulent être « intégrées » comme elles sont, elles réaffirment leur origine ethnique, à l'inverse, d'autres personnes sont dans une logique de « désethnicisation » et appellent au principe de « l'universalisation ». Il faut s'intéresser à l'aspect positif ou négatif que constitue le groupe. Le sentiment collectif du dépit, de la rancoeur, de l'amertume face au système institutionnel et au marché de l'emploi, et voir aussi le discours sur le parallèle entre l'attachement au « modèle d'intégration français » et la perception de la société française et de son fonctionnement. Le discours du groupe de pairs peut décourager, provoquer ou faire naître des sentiments d'amertume. Si le jeune diplômé ne parvient pas à trouver du travail, il va chercher les explications ou les justifications dans son environnement social. Quelle est la fonction, le rôle, la posture que tient le groupe de pairs ou des amis ? La question du sentiment collectif existe-t-il ? Retrouve t-on les mêmes types de discours selon des situations similaires ? Quel est le rapport aux amis et notamment aux amis du quartier qui n'ont pas fait d'études. Quel type de discours tiennent-ils ? Le groupe de pairs représente-t-il une contrainte, une pression ? Il faut s'intéresser aux spécificités culturelles, sociales et morales et soulever les questions qui pourront mettre en rapport les conditions objectives d'accès à l'emploi avec les spécificités culturelles d'une part, et d'autre part avec les conditions urbaines et sociales. Certains ressentis peuvent constituer des freins : Qu'en est-il de l'estime de soi et de la confiance en soi, ou de la perte de cette estime et de cette confiance ? La perte de confiance dans la société peut expliquer des formes d'évitement, de résistance. Les « enfants de la démocratisation sont le produit d'une histoire sociale particulière marquée, au cours des années 1975-1995, par la dégradation des conditions de vie des classes populaires et plus particulièrement des quartiers d'habitat social. C'est dans cette conjoncture particulière qu'ils se sont lancés dans une course aux diplômes qui a bien souvent pris pour eux la forme d'une fuite en avant. Il faut aussi penser le « décalage générationnel » entre les parents et les enfants. Là où les parents de CSP majoritairement ouvrier avaient une force sociale, des armes symboliques et un esprit de contestation (aujourd'hui déclinantes), ils voient leurs enfants « précarisés », « surexploités », ils semblent atomisés, dispersés, sans force sociale. Ils apparaissent comme terriblement résignés, ne voulant plus reprendre les mots utilisés par leurs parents pour « lutter » ou penser leur condition »26. Concernant cette question de la crise des identités et du repli sur soi il faut aussi s'interroger sur l'intégration des étrangers et les conséquences face aux traductions multiples de la crise : la rupture du lien social, l'exclusion, la désaffiliation, la nouvelle pauvreté, etc... À la crise économique ferait écho une crise des identités. On peut s'interroger sur la sociabilité et la vie sociale, la façon dont les individus sont perçus par les autres. Malika : « les mecs connaissent encore davantage la discrimination...du coup, ils adoptent des comportements auto-défensifs, ils peuvent avoir le regard noir. Le climat est encore pire. En plus de cette connotation, en plus d'avoir des parents qui peuvent moins aider...avant, le statut d'immigré, c'était vu comme une force de travail. Mais maintenant, il y a une connotation religieuse qu'on ressent, on n'est plus immigrés, on est musulmans. Ca a un impact sur le marché du travail, la manière dont c'est illustré...il faut sans cesse se justifier, rassurer l'autre. La socio m'a permis d'avancer sur la facette identitaire. La discrimination, c'est une réalité. A Saumur, j'ai recensé 10 faits discriminatoires. Il faut aussi apprendre à se comporter de telle ou telle manière pour un entretien. J'ai une amie, elle n'est pas à l'aise, elle n'a pas les mots, elle est tout le temps sur la défensive. Moi, j'étais pas sûre de moi, j'étais agressive...la socio m'a permis d'être dans l'empathie. Au quotidien, on te renvoie toujours à ton quartier...par exemple, les pratiques sexuelles dans les quartiers, les violences...le garçon rebeu est vu comme un terroriste,...l'image qu'on donne des jeunes des quartiers...parfois, on les présente comme des barbares. Tu en prends un coup par rapport à l'estime de soi, `tu peux être bien cassé' ». Face à la logique de la démocratisation scolaire et de la volonté des politiques et de l'Education Nationale d'amener « 80 % d'une génération au Bac » en 1985, quelles sont les illusions et les désillusions de ces « enfants de la démocratisation scolaire », engagés dans la voix incertaine des études longues. 26 Cf : Stéphane BEAUD. « 80 % au Bac et après..., Les enfants de la démocratisation scolaire ». La difficulté de la question identitaire (les différents modes d'articulation ; le sentiment d'appartenance...). Ces problématiques sont spatiales et temporelles (la mémoire, l'héritage, les effets de racine...). -Qu'en est-il des éléments d'identité et des crises identitaires ? -Quel est le lien, l'équilibre entre « la participation active à la société nationale d'éléments variés et différents » et la subsistance de spécificités culturelles, sociales, morales ? -Qu'en est-il de la subsistance des spécificités culturelles, sociales, morales ; de la combinaison entre les conditions objectives d'accès à l'emploi et les attributs culturels. Il faut aussi prendre en compte les conditions urbaines et sociales qui déterminent objectivement le processus. Face à un échec, existe-t-il une remise en question des instances à l'origine de la mise en place et d'une volonté du processus d'intégration (les instances qui sont censées donner accès à l'enseignement, le diplôme, la formation, l'emploi...) ? On a de plus en plus de mal à croire aux discours et aux injonctions sur l'intégration par l'effort et le mérite. Existe-t-il une « brèche dans le pacte républicain ? » Concernant la question de l'apprentissage et des identités, le développement et les modes d'articulation sociale : il existe une relation de cause à effet entre le développement social et la « performance économique » ; mais on ne peut pas le démonter. La difficulté de la question identitaire. Les différents modes d'articulation, le sentiment d' appartenance27. cf. : Les indicateurs doivent provenir d'une combinaison entre les conditions objectives (emploi, revenu, mode de vie, logement...) et les attributs culturels. Il faut voir du côté du « culturel » et du « social ». Les choix culturels peuvent être des non-choix qui déterminent et influent sur un parcours. |
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