3.2.4. La filière d'étude structure le jeune
diplômé :
Le choix du parcours universitaire comme moyen
d'émancipation pour les filles issue de l'immigration
Malika : « Je suis contente d'avoir fait ce parcours
long...la Fac n'était pas une contrainte, je n'avais pas de pression,
pas d'objectifs à atteindre. Cela m'a permis de me construire...quand on
est issu de l'immigration, et qu'on habite dans un quartier populaire...y a un
facteur économique qui joue, les revenus sont assez bas. Il y a un
décalage économique avec les amis au lycée ou à la
Fac...Moi, je pouvais pas avoir d'argent de poche...et je dis merci à
mes parents, ça m'a amené à travailler très
tôt, à me débrouiller par moi même. Si j'avais pas
fait le parcours universitaire, je serais peut être mariée avec
trois gosses à l'heure qu'il est. J'ai des amies et aussi des cousines
rebeu, beaucoup se sont mariées. Pour moi y plusieurs croisements, y a
aussi la notion de classes sociales...Pour une nana aussi, si elle n'a aucune
perspective professionnelle, plus à côté de ça la
dimension économique et plus la dimension culturelle, ben elle va
trouver son salut ou sa légitimité à travers le mariage. A
un moment, après 25 ans, ça craint de pas être
mariée, ça c'est ce que je pensais quand j'étais
à
Bellevue. Mais j'avais pas de pression familiale, c'est
aussi la question sociale de pas être mariée à 25 ans. Pour
moi, la Socio, c'est aussi l'apport d'une grande liberté, ça m'a
permis de casser avec les jugements de valeurs. Moi, j'ai vraiment connu la
contrainte économique, mes parents valorisaient les
études...Quand j'ai connu mes amis à la Fac, je me suis un peu
éloignée de la famille et du quartier...il y avait un
décalage, je voyais moins mes amis du quartier...il y a avait un
écart significatif. La troisième phase, j'ai voulu revenir,
maintenant, j'ai repris contact avec des copines...je me retrouve dans des
soirées complètement différentes...je suis à l'aise
avec moi même...sur le plan identitaire. Je ne renie plus mes origines.
Avant, j'osais pas dire que j'habitais Bellevue, la cage d'escaliers
était très crade...et puis j'avais l'image d'une copine qui
était au lycée Guist'Hau. C'était une période
superficielle, la génération ado. En fait, j'ai amorcé ma
trajectoire sur trois routes, l'identité, la trajectoire scolaire et la
trajectoire professionnelle...J'ai pu avancer, et plus j'avançais...les
études...c'était la route centrale pour moi. La Sociologie,
ça m'a armé dans la vie, je ne suis plus dans un e
démarche sociologique, je me suis réconcilié avec mon
environnement ».
La trajectoire de Malika doit se comprendre à travers
sa famille, son quartier et son milieu social. Elle est née au Maroc,
est venue en France avec ses parents pour habiter à Bellevue. Elle vient
d'un milieu modeste, ses parents n'ont pas beaucoup d'argent et ont six
enfants, leur mode de vie est plutôt celui d'une famille traditionnelle
maghrébine.
Malgré son début de parcours scolaire moyen,
elle a un véritable désir de regagner la filière
générale, et de poursuivre ses études. Il y a une sorte de
complexe d'appartenir à une famille modeste, avec six frères et
soeurs, elle comprend rapidement que c'est par l'école qu'elle va
pouvoir se construire personnellement. Plus qu'un complexe, elle dit avoir eu
moitié honte d'avoir six frères et soeurs. Cumulé à
la situation familiale, il y avait aussi la peur d'appartenir au quartier
Bellevue, qu'elle voyait `crade' et qui constitue un facteur de `la
déchéance'.
Arrivée à la Fac, la transition avec les
études supérieures ne se fait pas aussi facilement, le
décalage existe, elle commence à se faire des amis, mais reste
deux ans sans avoir le DEUG. Puis, l'intérêt qu `elle porte
à la Sociologie se traduit par une réussite aux examens. Le
fossé se creuse avec ses amis du quartier, la famille...d'une part parce
qu'elle fréquente de plus en plus des gens de l'Université, et
d'autre part, la Sociologie en tant que discipline scientifique l'a fait
réfléchir sur sa condition de fille habitant à Bellevue
dans une famille maghrébine.
Le choix de la filière universitaire n'a pas
été fait par rapport à un choix professionnel qui n'est
pas encore bien dessiné, même à la fin de
l'université, mais davantage pour lui permettre de connaître autre
chose, de se construire, moins par rapport à une pression familiale (il
n'y a pas de pression familiale) que pour comprendre les décalages
économiques et culturels qu'elle a connus pendant sa trajectoire. Comme
elle le dit, la Sociologie lui a `donné des armes', les études,
c'était `sa route centrale'.
Le projet professionnel s'est fait tardivement, parce qu'il
n'était pas réalisable avant. Il fallait qu'elle comprenne dans
un premier temps sa condition, son milieu, l'accepter, et accepter le
décalage, mais également comprendre qu'il fallait rompre avec le
quartier qui est perçu comme un danger... Il faut pour se construire
rompre avec la famille et le quartier. Une fois cette étape franchie,
elle s'est construite professionnellement.
Hadia (fille, issue immigration, ZUS) : « Avec les
autres du quartier, on n'a pas gardé contact, il y a un fossé et
un décalage qui se créent. T'as une personne qui part pour la Fac
et parallèlement une personne qui part pour l'usine ou qui va se marier.
Par rapport au cercle d'amis que j'avais au lycée, le jour où on
part...Il y a un fossé qui s'est creusé...Ça diminue comme
la peau de chagrin. Après, j'avais plutôt des amis de la Fac.
C'est un choix que j'ai pu faire, les échanges sont plus
intéressants, même si les personnes ne connaissent pas ton
domaine, elles s'intéressent. J'ai un ami qui était en
études d'ingénieur, j'y connais rien, mais je m'intéresse.
Ce contact-là, j'en ai besoin...Car outre ma famille, c'est les seules
personnes avec qui j'ai gardé contact...C'est un lien fort, essentiel.
Quand on vient d'un milieu populaire, quand on a accès aux études
supérieures, on est partagé entre deux mondes : un monde
où la culture intellectuelle est valorisée et un monde où
cette culture n'es pas connue. On se rapproche des personnes qui viennent du
même milieu et qui en sont au même point. En Sociologie, j'ai pu
rencontrer des personnes qui venaient du même milieu social que le mien,
et même des personnes qui étaient en école de Commerce.
J'avais envie de réussir, j'avais envie d'évoluer,
après...par quel chemin... ? C'était au coup par coup
».
On voit qu'elle a eu un parcours actif. Elle n'est jamais
restée sans rien faire. Il y avait une réelle motivation de faire
des études. Comme pour Malika, les deux points forts sont de nouveaux la
famille et le quartier. Il semble très difficile de jongler entre deux
milieux, la position d'entre deux est délicate...le décalage et
le fossé se creusent inévitablement. Non seulement, le
fossé se creuse avec les anciens amis qui n'ont pas fait
d'étude...mais également avec la famille. Le décalage est
aussi culturel, `moi, je fais des études et mon ancienne amie travaille
à l'usine ou est mariée', elle insiste sur la faible alternative
qu'offre le quartier pour les jeunes issus immigration si ils ne partent pas.
Encore une fois, il y a un désir de partir, presque de s'évader,
rencontrer d'autres personnes, et petit à petit, une envie de
découvrir un milieu plus cultivé et plus intellectuel, (sans
prétention)...ce qui renforce et accentue la distance avec la famille et
le quartier. Mais cela lui permet aussi de se construire, d'affiner son projet
professionnel, qui là aussi, comme pour Naima, a été
tardif. Il faut encore une fois construire un autre parcours, différent
que celui qui est implicitement imposé par le quartier, la famille,
décider de rompre et accepter que la distance se mette en place pour
pouvoir enfin se construire dans le relationnel, le culturel et le
professionnel. Il y a une idée forte de s'émanciper, de
découvrir, de partager...
Le choix des études, la distinction entre le BTS et
l'université
La socialisation induit une incorporation de normes et de
valeurs collectives, mais c'est aussi la façon dont les individus sont
perçus par les autres. Ceci peut procéder d'acteurs collectifs et
institutionnels avec des contraintes plus ou moins fortes. On peut
s'intéresser à la fréquence des contacts comme indicateurs
: (avec l'école, les lieux de travail, les structures sportives, la vie
associative, les services éducatifs et sociaux, les services
municipaux...).
La confrontation à l'autre induit une pluralité
hiérarchisée de normes ; Dans l'analyse des discours des
structures, du système éducatif et des groupes de pairs. D'un
côté, il existe une socialisation, mais il existe également
des discours qui se leurrent et qui leurrent en poussant par exemple à
une scolarisation longue, « une démocratisation scolaire
ségrégative ».
On doit faire le parallèle entre la socialisation
grâce au système éducatif et les conséquences de la
politique de démocratisation du Bac sur les discours tenus par les
instances, les acteurs collectifs et les conséquences sur les jeunes.
Pour faire valoir son « capital social, culturel ou symbolique », la
personne doit se trouver dans un environnement qui permette
l'épanouissement de ses capitaux. Sinon il n'y a pas
d'intérêt à cultiver les différentes formes de
capitaux. (Avoir des diplômes mais ne pas trouver de travail).
Cécile : « Au lycée, j'étais
à Blanche de Castille, c'est pas loin de La Beaujoire, vers La
Halluchère. Je voulais faire des études courtes, j'avais envie
que ça se termine. C'était un choix personnel. Le BTS,
c'était un peu le hasard, j'avais pas d'idées précises, je
me disais que j'aurais le choix de me spécialiser par la suite. Je
voulais faire le BTS parce que pour moi, c'était le diplôme le
plus facile d'accès et qui permettait d'arriver sur le marché du
travail ».
Certains des jeunes rencontrés mettent l'accent sur les
difficultés qu'ils ont rencontrées lorsqu'ils sont arrivés
à un niveau d'études supérieures, c'est notamment le cas
pour les jeunes issus des ZUS qui sont se sont inscrits à
l'Université et qui se retrouvent rapidement dans une situation
d'échec. Cet échec est du en partie au manque de repères
et à l'absence de lien social que représente l'Université
pour ces jeunes.
Constance (fille, 22ans,issue immigration,ZUS) : «
J'ai été déçue par les étudiants, je sais
pas comment c'est après, mais en première année, ils
trichent beaucoup. Ma deuxième Licence, c'était en 2004 et 2005.
Je sais que je déteste le piston ; j'avais 13 matières à
passer, et j'ai été absente à une matière,
ça m'empêchait d'avoir l'année, c'était une absence
que j'avais pas justifiée, mais sinon, j'ai tout eu, sauf une pour mon
absence. Ils ont rien voulu entendre. D'autres l'ont eu alors qu'ils avaient de
moins bonnes notes. La prof pouvait me reprendre la note du premier semestre,
j'avais eu
9, ce serait passé. Je crois qu'il y a du piston,
les profs relèvent les notes de certains, un petit peu, pour que
ça passe. Moi, y avait rein à faire. Il y a l'environnement
familial qui joue, au niveau financier, j'avais peut être pas les
mêmes aides que d'autres. Je n'avais pas confiance en les études,
je me disais ça sert à quoi ? Sortie du BTS, j'avais beaucoup de
déceptions, qui m'avaient cassées, amoureuse, financière,
familiale, c'était pas la peine, et puis je me disais, j'ai pas envie
d'arrêter maintenant. Le BTS, ça me permettait de me cadrer, si tu
me laisses trop faire, je fais plus rien. A la Fac, le niveau n'était
pas trop élevé, du coup je bossais pas trop, mais en licence,
j'ai eu une claque, j'arrivais pas à m'intégrer...les profs, les
étudiants. J'avais des choses à repasser du DEUG 2, au bout d'un
mois, avec les exams de deuxième année, je pouvais pas allier les
deux. Il n'y avait pas de coordination, j'ai été obligée
de changer d'orientation, en Commerce international. A la Fac, les profs ont
leurs têtes. Il faut des amis, je n'avais pas beaucoup d'amis ; je me
suis fait une amie ou deux, mais elles avaient leur groupe, j'avais deux trois
connaissances. Au BTS, on était beaucoup moins nombreux, c'est plus
facile de se faire des amis ».
-Si on observe les quartiers HLM, on remarque une coupure
croissante des habitants avec l'extérieur ; une puissance de contrainte
du groupe local, une division sexuelle de l'espace, un enfermement dans
l'espace local qui constitue à la fois une ressource et un
piège.
-Entrer à l'Université et entrer sur le
marché du travail signifie affronter des situations sociales qui sont
hors de leur contexte. Les ZUS ou quartiers HLM représentent une forte
densité de relations sociales, l'Université et le marché
du travail induisent des difficultés à faire le deuil de cette
vie sociale riche.
Il y a un lien entre le fait d'habiter en quartier, le choix
de la filière universitaire et la volonté de rentrer sur le
marché du travail, les personnes qui ont vécu en ZUS et qui ont
fait l'expérience de l'université ont deux types de discours :
Soit l'Université est vue comme un
épanouissement, un moyen de rompre avec leur univers, ces personnes ont
alors une réalité objective du marché du travail et une
conscience des difficultés à y entrer19.
Soit la personne n'a pas pu trouver ses repères à
l'Université, s'est sentie perdue, elle est alors incertaine dans son
discours vis-à-vis de l'emploi.
L'employabilité, la valeur et l'utilisation du
diplôme
La détention de diplômes ne semble pas
prémunir contre le chômage ; faute de réseaux sociaux sur
lesquels s'appuyer pour la recherche d'emplois qualifiés.
De l'autre côté, cela produit une
impossibilité d'un projet de vie reproduisant le modèle des
parents.
19 Voir l'entretien avec Malika. P 90.
Qu'en est-il des situations d'entre deux, incertaines. Les
personnes qui ont moins de repères, qui connaissent les situations
conflictuelles, les conflits de génération mais aussi le
décalage dans les attentes, dans les perceptions entre le père
ouvrier et le fils d'ouvrier diplômé.
Aussi, l'insertion professionnelle est un moyen pour les
femmes de quitter le quartier et la cellule familiale ; non seulement une
possibilité d'échapper à un rôle traditionnel mais
aussi souvent à un milieu social déstructuré et
marqué par le chômage des hommes.
Il faut s'intéresser aux conditions d'accès au
travail et à la stigmatisation des individus qui sont proches de ceux
qui se sentent menacés et qui s'inscrivent dans un processus de
légitimation et d'institutionnalisation.
La stigmatisation prend appui sur une instabilité des
relations sociales et sur « une utilisation des problèmes
personnels » d'autrui.
Les mécanismes de sélection sont fondés sur
l'acquisition de normes sociales.
Les jeunes issus de l'immigration rechercheraient plus souvent un
emploi par le biais de relations personnelles car les « filières de
recrutement anonyme » font jouer la sélection à leur
détriment.
Plus souvent, les jeunes issus de l'immigration ont des
attitudes différenciées vis-à-vis des tâches
inhérentes à chaque emploi. Par rapport à l'ambiance de
travail, à la qualité des relations. Il s'agit aussi
d'éviter les situations dévalorisantes. Ces exigences
entraînent des comportements d'attente.
Il faut faire le parallèle avec la situation de leur
père souvent défavorable qui ne leur fournit pas de
références positives, et les incite, peut être, à
une certaine méfiance. (Notamment vis-à-vis de l'institution).
L'inactivité des jeunes est une source de tensions
à l'intérieur des familles. Les familles peuvent être
marquées par l'urgence, ou par les évènements marquants de
leurs trajectoires personnelles (souvent touchées par le chômage,
la maladie, ou le décès d'un des parents par exemple).
Les jeunes issus de l'immigration algérienne ont des
parcours très chaotiques et la plupart de ceux qui ont un emploi stable
ont connu plusieurs statuts intermédiaires avant d'y parvenir.
Les femmes connaîtraient pour la plupart une longue
période d'inactivité à l'issu de leurs études.
Il faut s'intéresser aux types de contrats, il peut par
exemple y avoir un fort pourcentage de CDD, des mesures d'aide à
l'emploi, des contrats d'intérim...
Quel type de travail trouvent-ils ? Correspond-t-il au
diplôme ?
Pour les jeunes diplômés du supérieur
issus de l'immigration, les emplois les plus courants seraient ceux de
formateurs, d'éducateurs spécialisés et pour les femmes,
la santé et le secrétariat. Il y a un déclassement
vis-à-vis de la population des jeunes diplômés.
Abdel: « Là sur mon parcours scolaire, je suis
déçu quand même, des fois je me dis que j'aurais mieux fait
de faire un BEP...plutôt que de se prendre la tête avec les
diplômes...ça sert pas forcément. Là, si j'ai repris
les études avec la licence, c'est surtout pour les langues, pour
améliorer le niveau en langues. Sinon, je vais faire ma vie...j'ai des
amis, ils ont Bac+2 ou +3 et ils font de l'Intérim ».
Un moyen de rompre avec la logique du quartier et la
stigmatisation (famille, groupe de pairs, et crise identitaire).
Derrière ces éléments, c'est
l'élément de territorialité et d'appartenance au quartier
qui prédomine, avec tout ce qu'il implique, et tout ce que cela peut
créer comme freins. Les éléments d'hypothèses
cités ci-dessus trouvent leur cohérence entre eux parce qu'ils
sont déterminés et définis dans un espace
géographique déterminé. C'est pour cela qu'on ne peut pas
séparer la famille, les amis, les aides à l'emploi, les services
publics ou plutôt leurs annexes, le système de réseau et de
connaissances...on le voit tous les jours, quand on parle des
incivilités urbaines, des violences à l'école, des
problèmes de chômage, de précarité des
familles20. Ces maux sont avant tout les conséquences d'une
logique territoriale qui stigmatise un espace donné.
À propos de la « discrimination positive
socio-économique » cela privilégie le principe de
l'équité ; des traitements différenciés sont
fondés sur des critères socio-économiques. Cela existe
déjà : les ZEP, mises en place en 1981, les zones franches...
Le problème est que cette logique est fondée sur
un ciblage territorial, elle repose uniquement sur le quartier et risque de
renforcer les stigmates du quartier, et continuer ainsi à nourrir le
mécanisme de l'enfermement.
On continue à vouloir apporter des solutions
fondées sur la logique spatiale, géographique, alors que des
solutions ne pourraient fonctionner que si on rompt avec cet espace
déterminé, socialement et économiquement.
Il faut s'intéresser aux conséquences de cette
discrimination positive, à l'impact sur les personnes, et aux
réceptions des habitants sur ces mesures ? Cela concrétise
l'idée du mal-être, de la dépendance sociale et
économique, et la vulnérabilité (la leur et celle du
quartier).
Du fait du déficit des services publics dans les quartiers
sensibles, faut-il conclure à une implantation systématique
d'équipements de proximité comme remède aux maux des
banlieues ?
La proximité n'est pas perçue de manière
univoque par les habitants d'un même quartier. Certains veulent
affirmer une volonté de distinction vis-à-vis de ce quartier dans
lequel ils ne se reconnaissent pas. L'utilisation des services de
proximité est alors vécue comme stigmatisante. On chercherait
moins
20 Se référer à la partie sur « les
caractéristiques des ZUS ».
a proximité qu'une certaine normalité qui
permettrait de se distinguer de ceux du quartier à qui sont
destinés les services spécifiques.
Il existerait deux mouvements simultanés sur le territoire
du quartier :
-Le maintien d'un certain brassage social.
-La différenciation sociale par la fuite des
ménages les plus stables et les plus solvables.
Bien entendu, quand on est diplômé du
supérieur, les possibilités de s'extraire de cette logique sont
plus grandes mais loin d'être évidentes. Tout d'abord parce que
les freins ou les handicaps que suscite le fait d'habiter dans un quartier sont
généralement vécus comme non conscients. Le jeune qui
décide de quitter le quartier a généralement pris
conscience d'un processus qui s'est mis en place lentement avec le temps.
En effet, ces freins sont difficilement
révélés ou révélables par les jeunes,
puisqu'ils font partie de leur socialisation, ils existent dans le rapport aux
autres depuis longtemps, ils sont de l'ordre d'un certain « habitus
». Comment qualifier comme handicapants des éléments qui
sont à la base de la construction sociale de la personne ? C'est quelque
part accepter que l'on ait soi même un handicap en habitant un quartier.
C'est aussi « dénoncer » ce qui a constitué son
apprentissage, son acculturation (la famille, les amis...).
C'est aussi pour cela, que le quartier représente une
contrainte forte. Il existe quelque chose qui est de l'ordre de l'inconscient
et de la construction de soi avec lequel il faut rompre.
Dans quel cas de figure se situent ces jeunes par rapport
à ces questions d'attachement, de fuite, d'identification, au quartier.
S'inscrivent-ils de manière active dans le quartier (en participant
à la vie du quartier...) ? Ou font-ils tout pour être le moins
possible dans le quartier, font-ils des choses pour mettre le quartier à
distance ?
Est ce que ces jeunes font jouer leurs réseaux (amis,
connaissance), ce réseau est-il à l'intérieur ou à
l'extérieur du quartier ?
Qu'en est-il des formes de résistances, ont-ils un
réseau, mais refusent-ils de le faire fonctionner pensant que la
détention du diplôme doit leur permettre de passer par une voix
plus institutionnelle ? (On s'interdirait « le piston » plus
qu'ailleurs quand on est diplômé dans un quartier). Il y a
l'idée de légitimer son parcours et de croire à la
réussite par le mérite, au-delà d'une réussite
scolaire, une réussite « en société ».
Quelles sont les aspirations professionnelles et les exigences
?
-Le fait de vouloir rester attaché au quartier et
d'avoir un réseau dans le quartier peut être un
moyen d'accéder à une connaissance des logiques de
discrimination et de mettre en place des
stratégies d'évitement. La personne fait marcher son
réseau (les amis), il choisit par exemple de ne pas postuler
pour tel ou tel emploi car il faut donner son CV ou son nom.
Dans ce cas, trouver un travail est fortement corrélé au cercle
des amis, au groupe de pairs. Le champ du travail est restreint du fait de ces
stratégies d'évitement.
-La personne peut s'être fixé comme objectif de
quitter le foyer familial et l'univers social du quartier. L'institution
scolaire représente alors un moyen d'atteindre cet objectif, le regard
sur la scolarité est alors très positif, elle peut apporter les
outils qui lui permettront de quitter son milieu social. La personne souhaite
réussir un « parcours d'intégration » sans faute, elle
veut être considérée comme « intégrée
», voir « désethnicisée ».
Vincent (garçon, ZUS). « Mais le BTS,
ça s'est très bien passé, ça été le
déclic, je m'entendais très bien. Il y avait une super ambiance
de classe, on faisait des visites d'entreprises. Ca été vraiment
le déclic. J'ai aussi eu mon BTS avec mention. Après, j'ai fait
une Licence, j'ai eu une mention Bien ; je voulais un Bac+3, pour
l'homogénéisation des diplômes. J'avais
hésité avec l'école d'ingénieurs quand
j'étais en deuxième année de BTS...J'ai vraiment
hésité de passer l'école d'ingé, finalement j'ai
fait la Licence à Bordeaux, à l'Université, c'était
des cours magistraux, des cours qui correspondaient à la fois à
la deuxième année d'école d'ingé et des cours de
Master. Je sais que les patrons regardent les stages. En Licence, j'ai eu un
patron qui connaissait mon ancien patron...Tout le monde se connaissait. Les
cours et les entreprises...C'était lié ; les profs
s'investissaient. Là, dans ma branche, il y a pas mal de départ
ne retraite, oui...Beaucoup de personnes qui partent en retraite...Et on trouve
personne. Il y a plus de demandes que d'offres...Alors que j'ai des amis dans
le Commerce qui trouvent pas. Mes amis de BTS ou de Licence, ils ont tous
trouvé du travail. En BTS, on avait fait des portes ouvertes sur notre
filière, mais ça attire peu de monde...Peut-être qu'il y a
un manque d'informations. Au lycée, au départ, je n'envisageais
même pas d'avoir mon Bac. En Terminal, ça ne m'intéressait
pas, j'avais des notes pas terribles...Mais ça m'a laissé de
bonnes bases. J'ai révisé pendant deux semaines, et j'ai eu 12 de
moyenne, y a une part de chance aussi. Je suis retourné voir les profs
de BTS au mois de juin, je suis invité à manger chez l'un de mes
profs, avec toute la promo...Je les revois le mois prochain. En BTS, on a eu
100 % de réussite, c'est tous des amis. Déjà en BTS, on
discutait du professionnel, ça pas toujours été ce qu'on
voulait faire par la suite...J'ai un ami, à Saint Etienne, il a fait une
école d'ingénieur, il s'est planté...Là...Il est au
chômage, c'est pas bon sur le CV un échec...C'est pas uniquement
le diplôme qui compte. Avec les patrons, ça s'est toujours
très bien passé, à la fin du stage, ils étaient
contents de mon travail. Y a pas longtemps, j'ai un patron que j'avais eu en
stage, il m'a envoyé une offre, ils cherchaient un gars pour un poste.
Dans ma filière, c'est hallucinant...Tous les jobs qu'il y a !...Par
contre, les employeurs sont un peu radins. Mon choix, c'est pas par rapport au
salaire, mais c'est plus géographique, je veux rester dans la
région de Nantes. Bellevue, je m'y suis très bien senti.
C'était une bonne expérience...Ça m'a appris à me
démerder dans la vie de tous les jours. J'avais pas de ressources,
ça m'a donné encore plus de gnak. Quand je suis arrivé en
Licence, j'étais avec des gens qui étaient plus
aisés, mais ça...Je n'avais pas de
barrière. La vie à Bellevue, c'était pas tous les jours
facile, en BTS, c'est assez sélectif. J'ai eu pas mal de relations qui
sont aujourd'hui en prison. Moi, je gérais mon truc de mon
côté, et sinon, je les fréquentais dans la vie de tous les
jours. Quand je fais le bilan, c'est une fierté...j'aurais pu mal virer,
mais j'avais mon père sur le dos, j'avais pas de bonnes
fréquentations. Ce qui m'a permis de m'épanouir, c'est de
rencontrer de nouvelles personnes hors de Bellevue, de me faire de nouvelles
relations. Au lycée, tu te fais influencer. Déjà, quand
j'étais petit, j'étais un bon élève, mais
j'étais pas toujours sérieux. Des fois, ça allait loin,
genre les voitures...Je traînais pas mal dans mon quartier...Mais y a pas
que des malfrats. On avait tous les mêmes fréquentations, j'avais
aussi des amis dans le centre ville. J'avais tendance à pas
dévoiler mes amitiés, je voulais pas mélanger mes amis, je
les voyais séparément. Ca été ma force de
m'insérer dans tous les milieux. C'est aussi grâce à mon
père que j'ai réussi à aller au BTS...Il connaissait les
gens que je fréquentais, il savait pas quels individus ils
étaient, y en a, c'est de très bons amis...Même
actuellement, ils connaissent mes parents, mon frère. Avec d'autres,
j'ai coupé les ponts...On avait plus rien en commun. L'endroit où
tu vis, ça influe sur ta façon d'être. Même par
rapport aux patrons, j'avais un côté rebelle, j'en faisais
qu'à ma tête...Mais j'ai mis de l'eau dans mon vin, j'essayais
d'être le plus simple possible. Les premiers entretiens, c'était
sur le physique, j'avais une tendance...J'y allais en survêtement, style
`caëra'. Aujourd'hui, je me dis, heureusement que j'ai eu mes parents. Mon
père, il m'appelle régulièrement, il influe dans ma vie de
tous les jours...Il suffit de trouver le truc. Je comprends que des gens s'en
sortent pas. J'ai une copine, elle a fait le choix école de Commerce,
elle se demande toujours comment elle va gérer sa vie professionnelle.
J'ai croisé un ami que j'avais pas vu depuis trois ans, il en revenait
pas ».
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