3.2. L'enquête qualitative au près des
jeunes diplômés
Notre hypothèse englobante est qu'il existe un lien
entre la dynamique culturelle de la famille et du quartier et la
représentation des jeunes, ainsi, les sociologues de l'école de
Chicago disaient ceci : « les bandes ou plus simplement les groupes de
jeunes ne sont qu'un phénomène consacré et ordinaire au
regard des cultures populaires et/ou au regard des cultures de minorités
ethniques. D'une façon générale, leur intégration
s'effectue graduellement par l'éducation des parents et
l'éducation scolaire 18». Cette dynamique culturelle se
traduit d'une part, par une rupture avec le réseau relationnel à
l'extérieur du territoire, en reprenant les termes de la sociologie des
réseaux (Granovetter)». Les liens forts » (familiaux) et
« les liens faibles » (scolaires, amicaux, professionnels) se
combinent pour apporter aux jeunes une plus ou moins bonne connaissance du
marché du travail ». Et d'autre part s'exprime en terme de
dépendance comme le logement (le fait d'habiter chez ses parents),
professionnelle (le chômage, l'emploi précaire...), matrimonial
(célibataire sans enfant).
Ce qui détermine le choix du travail sur les jeunes est
que le facteur territorial ne peut évidemment pas être
isolé des autres caractéristiques de la population
concernée qu'il s'agisse du statut socioprofessionnel des parents, de la
nationalité. Comme le montre l'enquête «
génération 98 » du CEREQ, « le fait d'entrer sur le
marché du travail avec un diplôme de l'enseignement
supérieur reste fortement corrélé à l'origine
sociale. Ainsi, 66 % des jeunes diplômés d'une école de
commerce sont issus d'une famille dont au moins un des parents est cadre contre
6 % pour les jeunes sortant du milieu scolaire sans aucune qualification
». D'un autre coté, l'attitude des intermédiaires (mission
locale, ANPE, associations...) fortement mobilisés par les jeunes qui
disposent moins de capital social, est influencée par l'anticipation
vis-à-vis des critères de recrutement. À ceci s'ajoute
l'attitude des jeunes qui est marqué par l'intériorisation du
fait discriminatoire et la dévalorisation de son capital social.
Autres indicateurs : l'habitat est corrélateur de
l'accès à des sources culturelles ou linguistiques, sociales,
économiques, juridiques...
Les ZUS signifient une « concentration et une
ségrégation » de l'habitat des populations, et de ce fait,
une précarité des ressources et de l'environnement de ces
populations.
18 Extrait de « la crise des banlieues » de J.M STEBE,
PUF 1999
Il existe un paradoxe entre la difficulté de
créer des relations en dehors du quartier, l'environnement des amis, les
réseaux sont plutôt restreints... et l'existence du lien social
à l'intérieur du quartier, les liens de proximité et de
solidarité, les liens communautaires. Est-ce seulement un paradoxe ou
est-ce que l'existence de ces liens à l'intérieur du quartier
limite la création de liens à l'extérieur ? Les jeunes
diplômés qui habitent en ZUS ont peut-être moins de contacts
pour trouver du travail correspondant à leur diplôme. Leur
réseau lié au marché du travail est peut-être plus
restreint.
Il s'agit de mettre en évidence le mécanisme
existant entre ces logiques, la perception des jeunes diplômés et
leur condition d'accès au marché du travail. Pour cela, il faut
dégager des constantes, faire apparaître les différences et
réussir à construire des familles de cas de façon
thématique.
J'ai fait le choix de partir de ce qui se dégageait de
façon globale, pour ensuite mettre en évidence les
spécificités quant aux situations diverses et variées.
Les similitudes dans les discours tenus par les jeunes
diplômés, qu'ils soient issus de l'immigration ou non,
résidants en ZUS ou non, se retrouvent surtout dans leur perception du
marché du travail. Le rapport à établir est celui d'un
jeune diplômé et de son accès à un emploi. La
majorité partage le même discours quand à la situation du
marché du travail, les difficultés liées à la
conjoncture, le manque d'expérience, et également leur regard sur
les dispositifs publics. Je ne pense pas qu'on puisse opérer une
problématique ZUS et Hors ZUS à partir de ces
éléments. Cependant il est important de souligner que les formes
de discours sont similaires quand à la vision du marché du
travail.
Par ailleurs, il me semble judicieux de partir de ces
thèmes (conjoncture, marché, difficulté à
l'embauche), pour comprendre ce qui se cache derrière. Si à
partir de ces thèmes, les perceptions sont similaires, il en va
autrement dans la façon d'aborder les difficultés, de mettre en
place les stratégies pour trouver un emploi. La question du
marché du travail est ramifiée à une multitude de
questions, qui font apparaître les distinctions dans le rapport à
l'emploi entre le fait d'être en quartier ou non, d'être issu de
l'immigration ou non, d'être une fille ou un garçon...Le principe
de l'entretien est d'ailleurs posé comme tel, partir de la situation du
diplômé et de sa recherche d'emploi pour aborder des questions
plus personnelles, des trajectoires de vie, des évènements
marquants, et faire apparaître des profils parfois fragiles, mais aussi
pour comprendre ce qui fait levier et ce qui fait frein.
3.2.1. Capital social, logiques de distinction et
d'identités, logiques de la discrimination et de l'employabilité
:
Les hypothèses sur la question des jeunes
diplômés et de leurs conditions d'accéder au marché
de l'emploi doivent également reposer sur une analyse et un travail qui
s'attachent à comprendre les ressentis, les comportements, les logiques
de réception, les attitudes face à leur situation et à
l'accès au marché du travail.
Pour cela, nous nous sommes appuyés sur un certain
nombre de questions élaborées à partir des
hypothèses soulevées. Pour que le travail d'entretiens soit le
plus significatif possible, afin de rendre compte de la diversité des
situations, et comprendre les processus entre les jeunes et leur rapport
à l'emploi, les hypothèses sont élaborées à
partir de trois pôles centraux et des jeux d'interaction entre ces
pôles.
Il faut s'intéresser à la sphère du
capital social, c'est-à-dire la mobilisation des ressources qui peuvent
faciliter l'accès au marché du travail ; la sphère des
logiques de distinction et d'identités ; et enfin la sphère
même des logiques de la discrimination et de l'employabilité.
Il s'agit de comprendre le mécanisme entre ces 3
pôles, les mécanismes d'interaction entre les sphères. Par
exemple, les situations d'attente, les stratégies, les
résistances.
Une seule et même hypothèse n'est pas
attachée à un seul et même pôle, elle se construit
à partir de l'interaction entre les trois pôles.
En ce qui concerne les questions de la grille d'entretiens, on va
s'intéresser à développer chaque thème (amis,
famille, quartier, entreprise, services publics...) du point de vue de chaque
pôle.
Les hypothèses les plus concrètes et les
questions les plus factuelles sont attachées au pôle du capital
social et au pôle de la logique de la discrimination et de
l'employabilité. Le troisième pôle, celui de la question de
l'identité joue un mécanisme ou processus d'interaction entre les
deux premiers pôles. Il est en quelque sorte la clef de voûte pour
comprendre la relation entre le capital social et l'accès à
l'emploi, c'est par lui que s'élaborent les types de discours, les
sentiments, les façons d'être, ...une production
d'éléments qui peuvent nous aider à comprendre une
situation donnée dans les difficultés à accéder
à l'emploi.
Du fait du jeu des interactions entre les sphères,
certains éléments peuvent constituer un frein ou un moteur selon
la manière dont ils sont vécus, perçus et parfois utiliser
en terme de capital, de revendication, ou de stratégie.
Bien sûr, il faut faire attention aux prises de
décisions et aux choix qui peuvent être faits de façon
consciente ou non consciente. Les hypothèses soulevées comme la
proposition des « pôles » ne fonctionnent pas
indépendamment les unes des autres. Une hypothèse peut se
vérifier dans un cas et s'infirmer dans l'autre, les processus ne
peuvent se comprendre qu'à travers l'analyse des différents
éléments, liés entre eux. Un changement de situation par
rapport à la famille pourra entraîner un changement dans le
rapport aux amis, au quartier et peut être dans la façon de
concevoir le monde du travail.
C'est l'ensemble des réponses données par le
jeune qui nous permettront de dégager une cohérence au travers de
la trajectoire, du discours, du comportement, et donc d'expliquer telle ou
telle situation quant à l'accès à l'emploi.
Il existe une corrélation et un rapport de cause
à effet entre le fait de quitter la cellule familiale, avoir moins de
relations avec les amis du quartier, et davantage avec l'extérieur,
d'une mobilisation plus importante des outils et des services d'informations
quant à l'accès au travail, d'un dynamisme et d'une motivation
plus soutenus, de discours et de perceptions abordés avec plus de
quiétude quant au marché du travail...
L'application d'un de ces éléments
n'entraîne pas l'application des autres de manière
systématique ; le jeune diplômé peut avoir son propre
logement, ses amis dans le quartier et vivre de petits boulots...mais la
jonction entre ces éléments, la prise de décisions dans ce
sens, font preuve d'une certaine cohérence et font naître une
situation qui semble plus appropriée et plus profitable à la
recherche d'un emploi.
Reste à savoir si un de ces éléments a plus
d'impact sur les autres, et s'il peut exister « un effet boule de neige
», lequel de ces éléments serait alors « prioritaire
» ?
Pôle logique de discrimination : la question de
l'employabilité.
-Les patrons, les entreprises
-Les calculs faits par un patron, les injonctions -La
discrimination raciale
-La valeur du diplôme et de la formation sur le
marché du travail
Pôle logique identitaire, (les effets de distinction).
-Discours tenus sur le quartier.
-Discours tenus sur l'avenir, la société, le monde
de l'entreprise, la discrimination, l'intégration.
-Le rapport aux amis et les discours tenus par les amis. -Le
rapport à la famille, à la tradition, à la religion.
-La question des ressentis, des sentiments quant à la
recherche d'un emploi, lors d'un entretien d'embauche.
Interaction
Pôle logique du capital social : les ressources et les
mobilisations.
-La famille
-Le quartier
-Les amis
-Les ressources financières
-Les conditions matérielles de vie -Les trajectoires
-Les contrats de travail
Interaction
Il s'agit de comprendre le mécanisme entre ces 3
pôles, les mécanismes d'interaction entre les sphères. Par
exemple, les situations d'attente, les stratégies, les
résistances.
Aucune
participation à la vie du quartier
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Relations hors quartier
Eloigné de la
famille
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