Le facteur culturel dans la coopération sino-camerounaise:le cas de l'implantation de l'institut Confucius a l'institut des relations internationales du Cameroun(IRIC)( Télécharger le fichier original )par Jean Cottin Gelin KOUMA Universite de Yaounde II-Soa - Master II en Relations Internationales option Diplomatie 2010 |
PARAGRAPHE II : LA PLACE DU CONFUCIANISME DANS LA CIVILISATION CHINOISEIl sera question ici de mettre en exergue l'influence de la philosophie confucéenne parmi les autres civilisations qui ont marqué la société chinoise. Il s'agira donc, d'une part, de décrypter la prégnance du confucianisme dans la civilisation chinoise (A) ; et d'autre part, de dégager la contribution du confucianisme pour l'émergence de la Chine actuelle (B). A) La prégnance du confucianisme dans la civilisation chinoise Contrairement à la pensée occidentale, les chinois ne sont jamais engagés sur le terrain des spéculations abstraites. Ils ne conçoivent pas la philosophie séparément des préoccupations d'ordre moral et politique69(*). Néanmoins, la société chinoise repose sur une synthèse de civilisations à savoir le confucianisme, le bouddhisme70(*) et le taôisme71(*), lesquelles y ont exercé une influence assez considérable. Si le confucianisme justifie la hiérarchie sociale, les devoirs de l'empereur, il s'oppose au taôisme qui, selon Eric Nguyen, insiste sur « l'individualisme et sur la liberté de l'homme »72(*). Taôisme et confucianisme fonctionnent donc comme deux pôles antagonistes et complémentaires de la pensée chinoise et des pratiques qu'elle génère. Le bouddhisme quant à lui, est indispensable à une gouvernance sacralisée. Ce qui amène Eric Nguyen à dire : « en Chine(...), de nombreuses familles associent le bouddhisme au confucianisme, honorent Bouddha tout en respectant le culte des ancêtres »73(*). Ainsi, aucun chinois n'adhère totalement à l'une exclusive de ces trois philosophies. Il effectue plutôt un mélange de croyances issues des trois différentes pensées relevant de son aptitude particulière à faire cohabiter ensemble plusieurs doctrines74(*). C'est donc dire que les valeurs confucéennes n'ont pas été balayées du revers de la main et sont bel et bien pratiquées dans la société chinoise. Cette omniprésence confucéenne dans la vie courante des chinois, malgré l'influence des valeurs occidentales, trouve son fondement dans le fait que Confucius cohabite avec Marx75(*). D'ailleurs, l'érection du monument de Confucius devant le portrait de Mao marque la fin d'une séparation idéologique claire entre l'histoire impériale et l'histoire moderne. Fort de ce qui précède, l'on constate que « les dirigeants chinois (...) célèbrent le confucianisme comme fondement du progrès chinois (...). Dans les années quatre-vingt, le gouvernement chinois a commencé à soutenir l'intérêt pour le confucianisme, à propos duquel certains responsables du Parti communiste ont déclaré qu'il représentait le « fond » de la culture chinoise »76(*). La Chine a connu une influence considérable du confucianisme. Si la société chinoise est hiérarchisée aujourd'hui, c'est tout simplement parce que le confucianisme a amené le souverain ou le dirigeant à se montrer exemplaire. Il doit être capable de s'attirer des talents et de s'entourer des sages conseillers pour gouverner. Ce qui fait dire à Stéphane Bessière que : « les chinois conçoivent le gouvernement comme un gouvernement paternel ou de gentlemen supposés prendre soin des intérêts du peuple de la même manière qu'un père prend soin de ceux de ses enfants »77(*). La société chinoise est également inégalitaire, on note une mauvaise répartition des fruits de la croissance. Une autre influence considérable du confucianisme réside dans l'ardeur au travail observée dans la société. La richesse des ressources humaines se trouve essentiellement dans le caractère et la mentalité des chinois, peuple laborieux, très attaché aux philosophies traditionnelles. Stéphane Bessière pense à cet effet que : « le confucianisme prône discipline et motivation au labeur. Cela constitue une excellente base pour l'avancée vers le capitalisme à la chinoise qui implique certains sacrifices de la part de la population »78(*). B) La contribution du confucianisme à l'émergence de la Chine actuelle « Confucius domine dans sa stature toute l'histoire de l'Extrême-Orient. Au bord lointain de l'horizon se dresse, dans l'attitude que les rites prescrivent, le colosse qui de ses fortes mains a pétri les plus nombreuses des agglomérations humaines. Il a vu s'écrouler des empires, et les dynasties les uns après les autres lui rendirent hommage ; des peuples divers, Annamites, Japonais, Coréens et Mandchous, sont venus tour à tour se soumettre à sa règle... »79(*). (Voir Annexe 2). L'émergence de la Chine s'appuie sur « les valeurs confucéennes du goût de l'effort et de la réussite matérielle, du sens de la famille et du respect de l'expérience, du savoir et de la discipline collective »80(*). Le principe d'une « société harmonieuse »81(*) est ainsi évoqué pour justifier un rôle plus important de la Chine sur la scène internationale. Au lendemain de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne qui a été le leitmotiv de l'ère Mao, la Chine se trouve dans une situation catastrophique. L'économie est ruinée, la succession de Mao sombre dans l'impasse, la Chine n'a aucun contact avec le monde extérieur et les intellectuels sont terrorisés par la persécution dont ils ont été victime. C'est dans ce contexte qu'émerge un nouveau leadership conduit par Deng Xiaoping. Pour sortir la Chine de ses décombres, Deng Xiaoping initie à la fin des années 70 la célèbre politique d'ouverture de la Chine au monde extérieur. Cette ouverture a eu une influence sur la vie politique intérieure. D'une part, le Parti, à l'origine de la libéralisation économique, voulait maintenir un pouvoir sur tout et sur tous82(*). Cependant, la Chine a donc fait l'objet de contradictions tant internes qu'externes. Sur le plan interne, les chinois ont une sérieuse difficulté à surmonter : aussi bien la contradiction politique entre un système communiste et totalitaire et les aspirations des intellectuels et des classes moyennes, que la contradiction économique entre un choix ultralibéral et le maintien de sociétés d'Etat contrôlées par une administration corrompue. Au niveau externe, malgré ses efforts, la Chine n'est pas encore en mesure d'imposer partout ses vues, même dans son environ immédiat. Jean Jolly pense à propos que, « réaliste, le gouvernement chinois s'efforce de ménager les partenaires commerciaux de son pays, mais les nationalistes, aveuglés par les succès économiques, ont effectué des surenchères qui ont compromis non seulement les relations de bon voisinage mais également des rapports avec les Etats-Unis »83(*). Ainsi, les revendications territoriales en mer de Chine et les problèmes sociaux à surmonter, ont conduit le gouvernement chinois à réorienter sa politique. Ce qui fait que les autorités maintiennent le pays dans une dictature nationaliste84(*) et un régime totalitaire dont la principale ambition est d'imposer un capitalisme d'Etat et de maintenir la stabilité. A cet effet, ni les modernistes, ni les citadins, ni même ceux qui ont tiré de grands profits de la libéralisation économique ne souhaitent un retour à un néo-maoïsme d'inspiration populiste et égalitaire. Confucius semble donc inspirer l'autoritarisme du gouvernement chinois. Le Parti Communiste Chinois (PCC) contrôle tout, y compris la carrière des individus. Sous Mao, l'action du Parti s'est traduite par des échecs économiques (dont des famines) et des répressions sanglantes (notamment la révolution culturelle). Face à cette méfiance dont la Chine est victime sur le plan externe, ajoutés à des problèmes sociaux internes ; la position du Président Hu Jintao, depuis 2005, prenait les allures d'une contradiction avec les doctrines de Mao, du moins pour ce qui concernait l'idéologie confucéenne. A ce sujet, Yuan Tengfei, professeur d'histoire d'un lycée de Pékin, qui, dans ses cours enregistrés et diffusés sur internet, a qualifié Mao, « de tyran sanguinaire et de tyran n°1 »85(*). Le retour au maoïsme, de ce point de vue, serait pour la Chine une catastrophe nationale et internationale. C'est dans cette logique que le président chinois Hu Jintao rappelait aux cadres du Parti que dans la ligne de l'harmonie, préconisée par Confucius, il fallait tendre vers la construction d'une société harmonieuse et promouvoir les valeurs d'honnêteté et d'unité. A l'extérieur du pays, l'appel à l'harmonie et à la paix tendait à apaiser les craintes que faisait naître le développement de la Chine. Dans sa première directive de 2010, Hu Jintao, en tant que Président de la puissante commission militaire centrale, a exhorté les généraux à intensifier la lutte contre la corruption qui a pris des proportions alarmantes au sein de l'institution en sauvegardant la justice sociale. Dans le même ordre d'idées, lors du sommet des médias qui s'est tenu à Pékin en 2009, il n'a pas manqué l'occasion de lancer un appel au respect mutuel entre les médias du monde, a contrario, à l'édification d'un monde harmonieux et à promouvoir la paix et le développement. Si donc le domaine politique a constitué un champ d'application important de la sagesse confucéenne, certains analystes ont également tenté de déduire les implications économiques de l'éthique confucéenne qui a joué un rôle primordial dans ce phénomène historique qui aujourd'hui fait de la Chine une puissance économique considérable86(*). L'une des grandes ambitions de M. Weber était de comprendre comment les croyances religieuses ont pu influencer l'attitude économique des hommes. Selon son analyse, l'économie capitaliste n'a pu se développer en Asie en raison, notamment, du manque de compatibilité entre l'esprit capitaliste et celui de l'éthique confucéenne87(*). Cette dernière ne pouvait pas constituer un élément favorable à l'appropriation du capitalisme. Certaines valeurs du confucianisme, comme la recherche de l'adaptation au monde, constituent aujourd'hui un élément du succès économique de la Chine. A cet effet, le commerce international occupe, selon Chen Huan-Chang88(*), une place particulière dans la doctrine de Confucius. Selon lui, la générosité invite à prodiguer aux étrangers un traitement indulgent, de les escorter à leur départ, de les accueillir à leur arrivée, etc. Le commerce international sert donc à répondre aux besoins respectifs des étrangers et des autochtones, leur profitant mutuellement. La Chine figure parmi les premiers partenaires commerciaux de nombreux pays, sous la base du principe « gagnant-gagnant »89(*). Dans ce contexte, la nouvelle politique africaine de la Chine élaborée en 2006, a posé les bases d'une coopération « mutuellement bénéfique », érigée sur la non-ingérence comme principe directeur. Et à cet effet, le Livre blanc publié par le gouvernement chinois stipule que : « La Chine oeuvre à établir et à développer-avec l'Afrique-un nouveau type de partenariat stratégique marqué par l'égalité souveraine et la confiance mutuelle sur le plan politique, la coopération dans un esprit « gagnant-gagnant » sur le plan économique »90(*). * 69 C.Harbulot (dir), « La culture : vecteur de la stratégie de puissance de la Chine en Afrique ? », Publié sur : www.infoguerre.fr/documents/essec_chine_culture.pdf, (consulté le 05/06/2011). * 70 Le bouddhisme, venant de l'Inde, est arrivé en Chine, au IIIe siècle alors que le confucianisme et le taoïsme étaient déjà bien ancrés dans la culture et les mentalités. Pratiqué depuis plus de 2500 ans, la voie préconisée par Bouddha est vaste et invite l'homme à reconnaitre sa souffrance pour la surmonter et accéder à la disposition de celle-ci. S. Bessière, op. cit., p.72. * 71 Idem. : Le taoïsme est considéré comme la seule vraie religion chinoise, le confucianisme étant plutôt une philosophie et le bouddhisme étant importé de l'inde. Il est fondé par Lao Tseu, un personnage énigmatique contemporain de Confucius. Lao Tseu était un mystère qui prônait un monde des hommes en harmonie avec le Cosmos. Le taoïsme est un mélange du culte des esprits, de la nature et des ancêtres, une quête mystique des lois qui gouvernent notre vie, une sorte de quête d'immoralité. Cette pensée cherche à libérer l'homme du monde dans lequel il vit afin de le faire accéder à l'harmonie parfaite. * 72 E. Nguyen, op. cit., p.19. * 73 Idem. * 74 S. Bessière, op. cit., p.71. * 75 J. Jolly, Les chinois à la conquête de l'Afrique, Paris, Pygmalion, 2011, p.28. * 76 S. P. Huntington, op. cit., p.149. * 77 S. Bessière, op. cit., p.77. * 78 Ibid., p.169. * 79 C. Graziella, Histoire des idées et politiques de populations, Paris, INED, 2006, p.6. Publié sur : www.books.google.com, (consulté le 30/03/2011). * 80 E. Nyahoho et P-P. Proulx, Le commerce international: théories, politiques et perspectives industrielles, Québec, PUQ, 2006, p.571. * 81 B. Courmont, op. cit., p.53. * 82 Y. Huanyin, loc. cit., p.165. * 83 J. Jolly, op. cit., p.20. * 84 Ibid., p.283. * 85 Y. Huanyin, loc. cit., p. 184. * 86 F. Delaune, Entreprises familiales chinoises en Malaisie, p.84., publié sur www.books.google.com, (consulté le 31/05/2011). * 87 Ibid., p.85. * 88 Cité par J-C Lambelet, in « Le confucianisme, fondement culturel du repli de la Chine sur lui-même », HEC Lausanne, 1er mai 2010, pp. 1-11. Publié sur : www.hec.unil.ch , (consulté le 10/10/2009). * 89 La coopération « gagnant-gagnant » signifie pour la Chine, « des prestations de qualité réalisées en Afrique pour des prix bien inférieurs à ceux que pratiquent les entreprises occidentales, sans volonté d'ingérence dans les affaires politiques africaines, en laissant aux Etats leur pleine souveraineté (voir : Colin Nkoa, « La coopération Chine-Afrique : un partenariat gagnant-gagnant ? », Enjeux, N°30, janvier-mars 2007, p.39.) * 90 idem., |
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