5.2.2.3 La théorie de la
régulation et celle des jeux
Selon Reynaud, la régulation fait de la
réalité sociale ou de toute autre organisation comme les
structures d'appui ou bien les coopératives et les associations, une
interaction sociale réglée. Ce qui suppose un accord minimal
entre les différents acteurs sur ces règles. C'est leur
caractère collectif à l'origine de l'action collective qui en
garantit le respect par tous. La régulation révèle
l'exercice conscient et délibéré des membres individuels
ou collectifs du groupe ou de la société sur les règles et
normes en vigueur '(Reynaud 1997). La théorie de la régulation
permet de savoir comment les critères de choix des
bénéficiaires actuels ont été
élaborés et mis en oeuvre. Et quelles sont les réactions
qu'elles ont suscitées ? Comment les communautés
bénéficiaires des projets exercent-elles la pression sur ces
critères de sélection ?
Les critères de choix des bénéficiaires,
eu égard aux réactions qu'elles suscitent, ne sont pas le produit
d'une action collective entre initiateurs des projets (bailleurs de
fonds/structures d'appui) et les bénéficiaires, très
souvent, malgré le recours à l'approche participative et
communautaire dans la mise en oeuvre des programmes. Des stratégies sont
donc développées en fonction des visées propres de chaque
acteur soit pour faire partie des sélectionnés, soit pour
respecter l'enveloppe budgétaire du projet. Les bailleurs de fonds par
exemple, développent des stratégies (critères de
financement des projets, échéanciers des financements...) pour
contraindre les Organisations Non Gouvernementales et autres structures
intermédiaires au respect des règles formelles établies
qui reposent sur le modèle du ciblage cadrant avec leur domaine
d'intervention. Face aux exigences temporelles et aux contraintes liées
au savoir des communautés à la base, les structures d'appui
rendent flexibles ces règles, ce qui dilue les critères de
sélection des bénéficiaires. Partant, la régulation
contribue au travers des jeux des acteurs, à la fois au maintien souple
des politiques de ciblage et à leur adaptation.
Du coup, la théorie des jeux peut être un cadre
d'analyse des politiques de ciblage dans les projets de lutte contre la
pauvreté. Cette théorie des jeux suppose que les acteurs prennent
des décisions en fonction de certaines règles du jeu. Or la
modification des règles fait partie des stratégies des acteurs
pour qui consentir à une règle, c'est consentir à une
obligation (Reynaud op. cit).
Cette modification survient généralement lorsque
cette règle n'est pas le produit d'un effort collectif. L'approche de
l'analyse des jeux permet d'identifier les stratégies et les moyens
déployés soit par les structures d'appui ; soit par les
communautés bénéficiaires des projets pour la modification
des règles établies. L'enjeu étant tout naturellement de
contrôler les centres de régulation des politiques de ciblage.
La rigueur des critères de choix et leur application
immédiate peuvent conduire les organismes de soutien à la lutte
contre la pauvreté ou les bénéficiaires à se
détourner des dits critères et à organiser des circuits ou
critères parallèles. C'est ce qui fait que certaines structures,
comme CARE, font appel à des cabinets d'experts dans le cadre de la
sélection des bénéficiaires des projets qu'elles ont en
charge alors que cette opération devait se faire avec les
communautés à la base.
En somme, l'analyse sociocritique, l'analyse
stratégique et les théories de la régulation et des jeux
constituent le cadre théorique d'analyse utilisé pour
l'éclairage des politiques de ciblage dans les projets de lutte contre
la pauvreté. Elles nous ont permis de saisir la réalité
sociale en matière de ciblage dans les projets de réduction de la
pauvreté, les stratégies déployées par les acteurs,
leurs contraintes et les stratégies de contournement des contraintes.
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