L'héritage leibnizien dans la cosmologie d'A.N. Whitehead( Télécharger le fichier original )par Siham EL Fettahi Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master de Philosophie 2011 |
1.3 La philosophie organique : une monadologie ?1.3.1 le mentalisme (panpsychisme et panexperientialisme)Nous avons vu précédemment dans ce mémoire que Whitehead rejette le dualisme cartésien car il a permit la bifurcation matière-esprit et le triomphe du matérialisme en science. Or, selon Whitehead, l'explication de l'organisation de la matière ne suffit plus à expliquer le mental et les événements psychiques. Whitehead veut corriger cela et replacer l'homme au sein de la nature avec toute son intégralité, matérielle et mentale. Il propose donc d'envisager d'appréhender le monde en supposant que tout est expérience. Le réel n'est constitué que d'occasions d'expériences, c'est le panexpérientialisme. « Il n y a rien dans le monde réel qui soit purement et simplement un fait inerte. Toute réalité se trouve là pour le sentir : elle suscite le sentir et elle est sentie. »36(*) Dès lors, il n y a plus rupture entre la matière et l'esprit mais il y a continuité, la matière est psychique et le psychisme est matière. D'ailleurs, J. Wahl explique que Whitehead veut construire une nouvelle science, la « physiologie psychologique » car l'activité énergétique considérée en physique et l'intensité émotionnelle éprouvée dans la vie humaine sont de même structure. La nature a un pôle physique et mental. La pleine revendication de la présence de la conscience, du psychisme au sein du monde physique vient de Leibniz, Whitehead dit clairement: « Il est évident que la tendance à fonder la philosophie sur la présupposition de l'organisme remonte à Leibniz. »37(*). Effectivement, les monades ont des perceptions, elles perçoivent de manière consciente ou inconsciente le monde, ce sont des êtres psychiques. La monadologie de Leibniz est un panpsychisme puisque les monades sont des représentations, des perceptions mentales de l'univers. C'est un idéalisme mécanisé. De plus, Michel Weber38(*) déclare que c'est bien Leibniz dans les Nouveaux Essais sur l'Entendement humain et dans les principes de le Nature et de la Grâce fondés en raison qui par la distinction entre « petites perceptions » (confuses et inconscientes) et « l'aperception » (claire et consciente), a le premier théorisé le concept d'inconscient. Il suffit de citer un passage de la monadologie de Leibniz pour confirmer cette assertion : « Car nous expérimentons en nous-mêmes un Etat ou nous [ne] souvenons de rien et n'avons aucune perception distinguée ; comme lorsque nous tombons en défaillance, ou que nous sommes accablés d'un profond sommeil sans aucun songe. Dans cet état l'âme ne diffère point d'une simple monade ; mais comme cet état n'est point durable, et qu'elle s'en tire, elle est quelque chose de plus. »39(*) L'état inconscient est décrit comme un étourdissement avec des petites perceptions confuses, c'est les prémisses d'une conception de l'inconscient. Puis vinrent Myers, James et Bergson qui développèrent ce concept et influencèrent Whitehead. La nature n'est plus purement physique, elle est douée de conscience, elle est psychique. Whitehead reprend cette notion dans sa philosophie de l'organisme lorsqu'il considère que les entités actuelles ou occasions d'expériences qui sont les réalités ultimes du monde appréhende l'univers de manière consciente ou inconsciente selon leur degré d'achèvement : « La philosophie de l'organisme abolit la séparation de l'esprit. L'activité mentale est l'un des modes du sentir, qui dans une certaine mesure, appartiennent à toutes les entités actuelles, mais ne se haussent au niveau de l'intellect conscient que dans quelques-unes. »40(*) Comme Leibniz, Whitehead va introduire une hiérarchie au sein du vivant et attribuer la conscience et l'intelligence à des êtres achevés. Tout est société chez Whitehead, c'est-à-dire pour utiliser un terme technique, tout est « nexus » : une agglomération d'événements. Tout ce qui existe s'agglomère pour former un être ensemble et passer à un stade supérieur. Cela signifie que le monde est une société d'organismes, de sentirs en relation permanente. Concrètement, il y a les événements, entités actuelles qui sont des gouttes d'expériences spatio-temporelles comme les quantas et qui vont se regrouper en sociétés de particules puis en sociétés d'atomes puis en sociétés de molécules puis en sociétés de cellules (hommes, animal, pierre, végétal) puis en société d'hommes etc... FIGURE 1 Sociétés de cellules sociétés molécules sociétés atomes sociétés particules Objets eternels + entités actuelles Les occasions d'expériences (entités actuelles) et les objets éternels (que nous expliciterons plus loin) constitue le schème de pensée, la réalité sous jacente de tout événement physique social du plus simple au plus complexe. « L'univers peut réaliser ses valeurs parce qu'il est coordonné en sociétés de sociétés, et en sociétés de sociétés de sociétés. Ainsi, une armée est une société de régiments, et les régiments sont des sociétés d'hommes, et les hommes sont des sociétés de cellules, de sang, d'os unies sous la dominance d'une société d'expérience humaine personnelle ; et les cellules sont des sociétés d'entités physiques plus petites, telles que les protons, et ainsi de suite. »41(*) Cela dit, l'intelligence et la conscience ne sont attribuées qu'aux organismes évolués et aboutis, les sociétés de particules, d'atomes, de cellules préhendent le monde mais de manière inconsciente. « L'organisme inférieur est simplement la somme des formes d'énergies qui l'investissent en la multiplicité de leurs détails. Il reçoit et il transmet mais il ne parvient pas à un système intelligent. »42(*) Cette conception hiérarchique est très proche de celle de Leibniz qui considère que plus une monade a de perceptions claires, plus elle est active et parfaite. Il y a une hiérarchie des monades qui rend compte de ce que le monde contient : les monades nues qui ont peu de perceptions et peu de désirs représentent les objets et les plantes ; les monades âmes qui ont perception et mémoire, sentiment et attention, représentent les animaux et enfin les monades esprits (immortelles) qui possèdent l'aperception c'est-à-dire conscience et raison représentent les hommes, les génies et les anges (Discours métaphysique, article 34 à 36 et monadologie 30). Whitehead reprend à Leibniz, l'idée que parmi les êtres vivants, il y a des êtres qui possèdent la conscience et d'autre non. Autrement dit, il y a des degrés au sein du vivant et certains sont plus perfectionnés que d'autres mais tout ce qui existe est psychique. Comme chez Leibniz, il y a continuité dans la nature au sein des organismes. Notons que le mentalisme est la pierre angulaire qui fait que Whitehead est le successeur de Leibniz. * 36 P.481, Procès et Réalité, Whitehead (cf bibliographie) * 37 P.183, La science et le monde moderne, Whitehead (cf bibliographie) * 38 P.170, article Individu et société selon Whitehead, M.Weber (cf bibliographie) * 39 £20 Monadologie de Leibniz, p.224 (cf réf bibliographie) * 40 P. 123, Procès et réalité, Whitehead.(cf bibliographie) * 41 P.269, Aventure d'idées, Whitehead. (cf bibliographie) * 42 P.404 P.R (procès et réalité), Whitehead (cf bibliographie) |
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