L'héritage leibnizien dans la cosmologie d'A.N. Whitehead( Télécharger le fichier original )par Siham EL Fettahi Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master de Philosophie 2011 |
2.2.2 Le tempsLe temps pour Whitehead est aussi relatif. Il n y a pas un temps absolu mais il y'a différents temps, des séries temporelles discordantes. De plus, le temps est réel, il possède une épaisseur temporelle, c'est-à-dire que le temps est atomique, il est fait de plaques de durées. Whitehead parle de durées époquales, ce sont de véritables tranches de durée qui sont toutes distinctes les unes des autres. « Eu égard au temps, cette atomisation prend la forme spécifique de la théorie époquale. »74(*) Le temps concret pour Whitehead, c'est la durée. Whitehead s'oppose à la conception classique d'un temps considéré comme succession. Par là même, il s'éloigne de Leibniz et de sa théorie du temps. Effectivement, pour Leibniz, le temps comme l'espace n'est qu'un phénomène, c'est un ordre de succession. « Toute ce qui existe du temps et de la duration, périt continuellement. Et comment une chose pourrait-elle exister éternellement, qui à parler exactement n'existe jamais ? (...) Du temps n'existe jamais que des instants, et l'instant n'est pas même une partie du temps. Quiconque considérera ces observations comprendra bien que le temps ne saurait être qu'une chose idéale. »75(*) Pour Leibniz, le temps est l'ordre de succession des choses qui donne l'impression que quelque chose s'écoule et dure selon une partition : passé, présent et futur. Prenons l'exemple d'une pellicule de film, c'est une simple succession d'images distinctes sur un plan fixe, or une fois la bobine de film en déroulement, le spectateur perçoit le temps dans cette succession d'images qui défilent devant lui c'est à dire le passé, le présent et le futur. Or, le temps en soi n'est rien, c'est juste la suite d'un enchaînement, en dehors de la succession d'image de la pellicule, il n y a rien, pas de temps réel. La durée est donc un simple phénomène, une imagination de l'esprit. « L'espace et l'ordre des coexistences et le temps est l'ordre des existences successives : ce sont des choses véritables mais idéales comme les Nombres. »76(*) Whitehead refuse d'intégrer cette conception dans sa philosophie, le temps n'est pas une succession, le temps a une densité, une réalité, l'événement s'inscrit au sein d'une trajectoire historique plus ou moins brève (par exemple l'électron a une durée plus ou moins brève.). Whitehead s'appuie sur l'expérience de la durée qui lui fournit sa théorie sur le temps. De plus, Il intègre les événements dans le temps pour que l'univers ait une trajectoire historique. L'univers cosmologique de Whitehead entend correspondre à la description de la physique moderne d'un univers infini, en extension dans l'espace-temps. Whitehead ne souhaite pas enfermer sa philosophie dans un idéalisme subjectif, il veut la rendre applicable et la conformer au réalisme scientifique, c'est pour cela qu'il prend ses distances avec certaines thèses leibniziennes. D'autant plus que l'on peut se demander si la tentative leibnizienne d'éliminer le temps n'est pas contradictoire et infructueuse. Il paraît difficile de soutenir avec Leibniz que le monde est dynamique, qu'il se développe et donc qu'il croît s'il ne s'inscrit pas dans le temps. L'accroissement étant synonyme de mouvement et donc de simultanéité, on peut penser que Leibniz se contredit. Reprenons l'exemple de la pellicule de film, c'est lorsque l'on porte notre regard sur telle et telle image et que l'on commence à découper la bobine en parties distinctes, que nous ressentons ce sentiment de succession et de simultanéité, or la bobine est une, elle contient toutes ces images de manière monolithique. C'est ce qu'avance Leibniz. Or, c'est parce que tel image a été prise à un instant t, qu'elle se trouve éternellement et en un seul bloc dans la bobine. C'est seulement parce que le prédicat est à un moment donné dans le sujet qu'il le reste à jamais. Par exemple, c'est parce que Alexandre a vaincu Darius à un instant t que la notion d'Alexandre contient éternellement le prédicat « a vaincu Darius ». On ne peut pas dire Alexandre contient éternellement le prédicat « a vaincu Darius » puisque cela revient à ne rien dire du tout au final. Il y a une antériorité du temps. De plus, il est nécessaire de poser un temps extérieur aux monades puisque lorsqu'elles s'accordent ou qu'elles passent d'un état à un autre, il y a une simultanéité. Le temps a bien donc une réalité, il n'est pas interne ou illusoire. CONCLUSION : L'espace et le temps chez Leibniz sont considérés comme des phénomènes, ce sont les effets de la perception. L'espace et le temps n'ont pas de réalité tangible, ce sont des imaginations de l'esprit. Dès lors, il n y a que les monades, le vinculum substantiale et Dieu qui existe chez Leibniz, hors de cela rien d'autre. Whitehead en reconnaissant la réalité de l'espace-temps et en y insérant ses entités va rompre avec la conception qui rapporte certains aspects de la réalité au système cognitif du sujet, il adopte un réalisme scientifique, à savoir que les phénomènes étudiés en science sont bel et bien réel, ce ne sont pas des constructions de l'esprit. De plus, Whitehead en insérant le monde dans l'espace-temps, va être conduit à décrire un univers ouvert, en construction, imprévisible, spontané, très lointain du monde préformé de Leibniz.
* 74 P.140, P.R., Whitehead (cf bibliographie) * 75 P. 146, Correspondance Clarke-Leibniz, IXbis MI-août 1716, 5ème écrit de Leibniz (cf bibliographie) * 76 P.42, Correspondance Clarke-Leibniz, lettre 6 Décembre 1715, Leibniz à Conti (cf bibliographie) |
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