Historique.
Le 1er juin 2006 est une date à marquer d'une pierre
blanche : c'est, ce jour-là, en effet que le premier pétrolier a
accosté dans le nouveau complexe portuaire de Doraleh, situé
à une dizaine de kilomètres de la capitale et géré
par la société Horizon Terminal Ltd. Lancé avec le soutien
de Dubaï, cet investissement de 250 millions de dollars constitue l'un des
plus importants projets d'infrastructure jamais réalisé en
Afrique de l'Est. Plus sûr, car localisé à la
périphérie de la ville, loin des zones résidentielles, il
dispose d'une capacité de stockage de 240 000 m2, qui sera portée
à 360 000 m2 dans sa configuration finale. L'armée
américaine, qui dispose d'une base à Djibouti et
bénéficie de facilités de mouillage pour ses
bâtiments de guerre, a fait construire un site spécifique pour le
ravitaillement de ses navires à Doraleh. Il est opérationnel
depuis septembre 2005. Et c'est en juillet 2006, normalement, que la
construction du nouveau terminal à conteneurs, appelé à
remplacer celui du Port autonome de Djibouti (le PAD), le port historique de la
capitale, proche de la saturation, devrait commencer. Prévus pour durer
deux ans, ces travaux nécessiteront un investissement d'environ 300
millions de dollars. Enfin, dernier étage de la fusée, la zone
franche industrielle et commerciale, la Djibouti Free Zone, devrait voir le
jour à l'horizon 2010. Le projet visant à faire de Doraleh une
des plaques tournantes des échanges régionaux entre l'Asie, le
Moyen-Orient et l'Afrique de l'Est, et de Djibouti une sorte de Dubaï en
miniature, est donc bien avancé. Il doit transformer radicalement le
visage de l'économie du pays et de la sous région. La
promotion du secteur portuaire constituait une des promesses du candidat
Ismaïl Omar Guelleh pendant la campagne en 1999. Doté d'un solide
réseau relationnel dans les pays du Golfe, et notamment à
Dubaï, le futur président djiboutien avait noué
amitié avec Sultan Ahmed Bin Sulayem, le tout-puissant patron de
l'autorité des ports de Dubaï. Et savait que les stratèges
de l'émirat souhaitaient déjà sortir de leurs bases,
où ils avaient connu une éclatante réussite, et se lancer
dans la gestion d'autres sites. Un homme d'affaires djiboutien, Abdourahman
Mohamed Boreh, bien introduit dans les deux pays, et propriétaire, entre
autres, d'une entreprise de travaux publics qui a décroché
l'essentiel des contrats de Doraleh, a servi d'intermédiaire. Djibouti
possédait quelques atouts, mais le pari pouvait sembler risqué.
La ville avait été construite par les Français à la
fin du XIXe siècle sur le site d'un mouillage très connu des
marins arabes. Son port avait connu un développement fulgurant et avait
longtemps été le troisième plus important de la
communauté française, après ceux du Havre et de Marseille,
mais devant Bordeaux ou Dunkerque. Marginalisé par la crise du
début des années 1990, ainsi que par un certain laisser-aller
dans la gestion de ses infrastructures et de son personnel, le Port autonome de
Djibouti (PAD) avait retrouvé son tonus après l'éclatement
du conflit armé entre l'Éthiopie et l'Érythrée, en
1997. En 2001, les autorités en ont délégué la
gestion à la Dubaï Port Authority, afin de la rationaliser, avant
de se lancer dans le chantier titanesque de Doraleh. « Au sortir de la
crise des années 1990, nous voulions redynamiser notre économie,
explique Zeïnab Kamil Ali, directrice de l'Autorité des ports et
des zones franches. La priorité était le port, qui avait bien
redémarré. Le trafic de marchandises vers l'Éthiopie avait
été multiplié par trois, mais c'était conjoncturel.
Nous voulions pérenniser nos positions, en nous dotant d'un outil
compétitif. Nous avions tous les atouts pour devenir le port naturel de
l'Éthiopie. Ce grand pays frère de 77 millions d'habitants,
enclavé, a d'énormes besoins, notamment
énergétiques. La construction d'un terminal pétrolier de
stockage avait sa pertinence. En même temps, la tendance était
à l'accroissement du commerce maritime mondial. Il nous semblait
envisageable de capter une part significative du trafic entre l'Europe, le
Moyen-Orient, l'Asie et l'Afrique en créant un grand port de
transbordement, sur le modèle de Dubaï, destiné à la
réexportation de marchandises. Tout cela supposait néanmoins des
investissements massifs, car le contexte régional devenait de plus en
plus concurrentiel, avec les ports d'Aden (Yémen), de Djeddah (Arabie
Saoudite), de Salaalah (Oman), ainsi que celui de Berbera (Somalie). Le
partenariat avec Dubaï a rendu possible cette entreprise. » Le
PAID étant proche de la saturation, la décision a
été prise de construire un terminal à conteneurs
entièrement nouveau et hypermoderne, afin de creuser l'écart avec
la concurrence. Le port actuel, qui sera reconverti en port vraquier (pour les
marchandises en vrac, les minerais ou les denrées alimentaires), tourne
à 85 % de ses capacités. Les quatre portiques qu'il
possède permettent de décharger 25 conteneurs par heure, mais la
longueur insuffisante de son quai (400 mètres) provoque ensuite un
engorgement. Et l'espace manque pour développer l'ensemble. Le port de
Doraleh offrira une longueur de quai de 2 000 mètres et un tirant d'eau
de 18 mètres (contre 12 pour le PAD). Il sera ainsi susceptible
d'accueillir les navires les plus imposants. Il sera géré par une
société d'économie mixte, Doraleh Container Terminal
(DCT), consortium formé par DP World (Dubaï Port World) et le Port
autonome de Djibouti, entreprise publique représentant l'État
djiboutien. Les détails du montage financier sont en cours de
finalisation, mais l'État djiboutien, dont l'apport en capital sera
matérialisé par les portiques de quai, des cessions de terrain et
une part en numéraire, devrait posséder entre 30 % et 40 % de la
structure. « Nous avons lancé l'idée de DCT en
février 2006, précise Zeïnab Kamil Ali, et elle a
?été acceptée par nos partenaires. Grâce à
cette formule juridique, l'État est à la fois concédant et
concessionnaire, et il garde donc une forme de contrôle régalien
sur ce projet de développement. »
La stratégie d'internationalisation de Dubaï,
dont le port approche lui aussi de la saturation, suscite cependant beaucoup
d'interrogations. DP World vient de prendre le contrôle du port d'Aden,
concurrent direct de celui de Djibouti, mais réputé « moins
sûr ». Que va-t-il en faire ? Un de ces deux sites deviendra le
principal port d'éclatement de la région. Reste à savoir
lequel. Une question encore sans réponse. La manne émirat est une
bénédiction pour Djibouti, dont les moyens limités
n'auraient jamais permis de financer les travaux de Doraleh. Mais des voix
dénoncent la mainmise croissante de Dubaï sur le pays. Outre les
ports, et le Kempinski Palace Hôtel, les Emirats ont également
hérité de la gestion de l'aéroport d'Ambouli. Le total de
leurs investissements équivaut désormais peu ou prou au PIB
djiboutien. Une véritable OPA aux dires de certains. Un partenariat
mutuellement bénéfique, rétorque-t-on du côté
de DP World.
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