Chapitre IV
Pour la Réforme du Système
Judiciaire Haïtien
Eu égard aux dérives des systèmes
politiques et judiciaire d'Haïti, la lutte pour l'établissement
d'un Etat de droit se révèle très difficile de
réussir sans la réforme du système judiciaire
haïtien. La démarche première vers la création d'un
Etat de droit passe par la mise en oeuvre des stratégies pour la
réforme du droit et de la justice.
Section I
Indépendance effective du système
judiciaire haïtien
L'indépendance dans la carrière du
juge
L'article 59 de la constitution de 1987 consacre le principe
de la séparation des pouvoirs. « Article 59 : Les
Citoyens délèguent l'exercice de la souveraineté à
trois (3) pouvoirs :
Le pouvoir Législatif
Le pouvoir Exécutif
Le pouvoir Judiciaire »
L'ensemble de ces pouvoirs constitue le fondement essentiel de
l'organisation de l'Etat qui est civil « rapporte l'article
59.1 ». Chaque pouvoir est indépendant des deux autres dans
ses attributions qu'il exerce séparément stipule l'article 60 de
notre Charte fondamentale. Aucun de ces pouvoirs ne peut, sans aucun motif
déléguer ses attributions en tout ou en partie, ni sortir des
limites qui lui sont fixées par la loi et la constitution nous dit
l'article 60-1. La responsabilité entière est attachée aux
actes de chacun des trois, ajoute l'article 60 - 2.
Nous constatons théoriquement que la constitution a
établi clairement l'indépendance des pouvoirs. En ce qui concerne
le pouvoir judiciaire il ne revient aux deux autres de consacrer son
indépendance.
Une fois que la constitution établisse les conditions
d'indépendance, il est impératif à ce que les responsables
se réfèrent à la loi et font respecter les principes y
afférents. Puisque les lois existent il nous faut d'ores et
déjà des hommes et des femmes courageux qui soient capables de
les faire appliquer.
L'accession à la fonction du juge
Pour que le pouvoir judiciaire soit absolument
indépendant, il faut, que le magistrat de l'ordre judiciaire n'obtienne
sa juridiction ni du législatif, ni de l'exécutif. Le pouvoir
doit être dévolu au pouvoir judiciaire au même titre que le
pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Les juges doivent
être issus d'un concours aux fins d'exercer leurs fonctions en dehors de
toute influence émanant du pouvoir politique. Et pourquoi ne pas penser
a élire une partie des juges suffrage universel, de la même
façon que les Sénateurs et les Députés, le
Président de la République ou les conseillers municipaux, ce qui
serait d'ailleurs en conformité avec la Constitution de 1987 qui dispose
que les citoyens délèguent l'exercice de la Souveraineté
Nationale à trois pouvoirs (exécutif, législatif et
judiciaire). C'est l'ensemble de ces pouvoirs qui constituent le fondement
essentiel de l'organisation de l'Etat d'Haïti (art. 59 et 59-1 de la
Constitution).
Ce ne serait pas un acte anticonstitutionnel que
d'élire les juges, comme cela se fait aux Etats-Unis où le
système de juges élus est appliqué et très
développé, non sur le plan fédéral mais au niveau
des Etats. Depuis l'élection de Jackson à la présidence en
1826, quarante États des Etats-Unis ont adopté le système
de l'élection des juges au suffrage universel.
Il est évident que ce système n'a pas toujours
donné de bon résultat. D'abord, il ne donne aucune garantie de
compétence juridique. Ensuite, les candidats aux fonctions
juridictionnelles ont dû faire des alliances avec les partis politiques.
Donc, outre la garantie de compétence, la garantie d'impartialité
n'est pas forcément assurée par ce système.
Par contre, en Haïti, on pourrait partir sous un angle
avec bien sûr certaines corrections qui permettraient aux juges
élus d'exercer librement leurs fonctions sans aucune forme de redevance
politique. Les critères à retenir seront : la non
appartenance à un parti politique, être membre d'une association
de juristes reconnue par l'Etat, l'approbation préliminaire de cette
association. Alors le candidat pourra se présenter auprès de
l'électorat qui aura seul le dernier mot.
Ces élections, toutefois, se réaliseront au
niveau de certains juges mais, à l'instar de celles des autres pouvoirs,
au suffrage universel. Les juges élus seront ceux de la Cour de
Cassation et ceux des Cours d'Appel. Ils formeront alors entre eux une
commission qui aurait pour mission de choisir les juges des tribunaux
intermédiaires selon la pyramide judiciaire haïtienne, à
partir d'un système de recrutement par concours qui permettra de les
classer d'après le résultat des épreuves. Il serait
indiqué alors que les dites épreuves soient assurées par
des examinateurs indépendants (universitaires, anciens magistrats
etc....)
Ainsi, non seulement les critères de compétence
seront garantis mais l'impartialité et l'indépendance des
magistrats seront assurées.
La promotion et le transfert dans la carrière
du juge
L'indépendance de la Magistrature est garantie par
l'Etat et trouve son fondement dans la constitution et les lois existantes. De
ce fait, il est impératif que cette indépendance soit
respectée par toutes les institutions de l'Etat.
Le législateur-constituant a pris soin de
protéger les Magistrats contre les éventuels abus du pouvoir
Exécutif, et de définir leur statut pour leur permettre de bien
remplir leur mission. C'est ainsi que l'article 177 de la constitution de 1987
stipule : les juges une fois nommés ne peuvent être l'objet
d'aucune affectation nouvelle sans leur consentement même en cas de
Promotion. Ces mêmes dispositions sont reprises par l'article 9
alinéa 2 du décret du 22 août 1995 tout en précisant
que les Magistrats de siège sont inamovibles. Ce qui nous permettra
d'étudier dans les lignes qui suivent le principe de
l'inamovibilité des juges.
Le principe de l'inamovibilité des
juges
Le principe de l'inamovibilité n'est autre qu'une
garantie solennelle. Elle constitue de surcroît la particularité
fondamentale qui distingue le Magistrat du fonctionnaire.
Or, l'histoire de l'inamovibilité est celle des
atteintes successives qui lui furent portées : éclipses et
vicissitudes qui permirent des « épurations »
successives.
Le principe de l'inamovibilité est actuellement
édicté par l'article 177 de la constitution de mars 1987
déclarant : Les juges de la Cour de Cassation sont inamovibles. Ils
ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement
prononcée ou suspendus qu'à la suite d'une inculpation. Il ne
peut être mis fin à leur service durant leur mandat qu'en cas
d'incapacité physique ou mentale permanente dûment
constatée tout en écartant les juges de paix. Ces mêmes
dispositions sont reprises par l'article 9 du décret du 22 août
1995, modifiant la loi relative à l'organisation judiciaire de 1985.
L'article 20 de ce même décret précisant
que les juges des cours et des tribunaux pourront être mis à la
retraite à l'âge de 60 ans, paraît s'opposer aux
dispositions de l'article 177 de la constitution.
L'article 177 de la constitution confirme qu'en
conséquence les Magistrats du siège ne peuvent recevoir sans son
consentement aucune affectation nouvelle, même en cas de promotion. Cela
implique que le Magistrat du siège sauf les juges de paix, ne peut
être révoqué, ni suspendu, ni mis à la retraite, ni
déplacé par la volonté arbitraire du gouvernement. Il n'en
demeure pas moins que l'inamovibilité est nécessaire à
l'indépendance des Magistrats. Celle-ci, tant à l'égard
des citoyens qu'à celui des autres juges et la puissance publique n'est
destinée à assurer le confort des Magistrats mais à
garantir aux justiciables une justice impartiale.
L'indépendance dans l'exercice de la fonction
du juge
La justice ne peut être qualifiée telle, dans un
état démocratique, que si elle est rendue d'une manière
indépendante par ceux qui sont investis de la charge de la rendre. Le
principe est proclamé par tous mais se présente d'une
façon infiniment complexe qu'on ne l'imagine parfois. On pense
immédiatement lorsqu'on évoque l'indépendance de la
justice aux moyens qui permettent de garantir la Magistrature contre
l'ingérence du pouvoir politique. Mais il faut avoir bien présent
à l'esprit qu'il importe aussi de protéger chaque juridiction
contre l'empiètement des autres, les Magistrats contre les justiciables,
enfin l'institution contre les pressions et critiques abusives des autres
institutions de l'Etat.
L'indépendance dans le travail du
juge
Dans un régime démocratique, le Magistrat n'est
autre qu'un serviteur de la loi. Il revient au juge de rechercher dans un cadre
légal les aspirations de son époque pour harmoniser ses
décisions avec les réalités de son temps.
L'indépendance de la Magistrature est une condition de l'exercice de
cette fonction.
L'indépendance du Magistrat se manifeste par le
principe qui veut que ni le gouvernement, ni à plus forte raison les
autorités administratives qui lui sont subordonnées, ne puissent
lui intimer un ordre pour l'inciter à statuer dans un sens
déterminé : le juge statue selon sa conscience et dans le
respect de la loi. Tel est le principe fondamental sans lequel la justice ne
serait plus qu'un vain mot. L'idée de justice est liée à
l'indépendance du juge. Elle seule est de nature à assurer
l'égalité des citoyens devant la loi, à garantir que la
décision de justice rendue ne soit dictée ni par le pouvoir, ni
par la hiérarchie judiciaire, ni inspirée par les sentiments
personnels.
Les Cours et tribunaux sont indépendants les uns des
autres lit-on à l'article 59 du décret du 22 août 1995.
Donc, les juges n'ont pas à recevoir des injonctions de la
hiérarchie judiciaire de quelque nature que ce soit. Autrement dit,
l'indépendance de la Magistrature est garantie d'un tribunal à
l'autre. Quand un magistrat statue sur un cas d'espèce à lui
soumis, il ne dépend que de sa conscience et de la loi. Sa
décision est susceptible d'appel ou de pourvoi en Cassation.
L'indépendance des Magistrats à
l'égard des autorités politiques
Elle est affirmée dans les textes tant nationaux
qu'internationaux. La convention européenne des droits de l'homme
dispose en effet dans son article 6-1 que « toute personne a droit
à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et
dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et
impartial ». Le gouvernement ne peut donc pas juridiquement donner
des ordres aux Magistrats ni quant à leur attitude
générale ni quant à la façon de conduire une
affaire précise. Sur le terrain des principes, l'indépendance des
juges est, en permanence, douteuse dans l'esprit du public qui pense toujours
plus ou moins qu'à défaut de pouvoir en droit donner des ordres
aux Magistrats, le pouvoir politique peut, en fait, exercer sur eux des
pressions vu que les juges sont nommés par le pouvoir Exécutif
soit par arrêté soit par commission du Président de la
République. Cette situation est de nature à favoriser la main
mise du pouvoir Exécutif sur le judiciaire. L'indépendance de la
Magistrature paraît donc hypothéquée vu que les juges sont
nommés par le pouvoir politique.
L'indépendance des Magistrats à
l'égard des justiciables et des avocats.
L'office du juge, est de par nature même, susceptible de
valoir à celui qui l'exerce le mécontentement d'au moins une
personne chaque fois qu'il se livre à un acte de sa fonction. Il est
donc nécessaire de le protéger contre le ressentiment
exprimé par le plaideur. Mais à l'inverse, et comme en
matière statutaire, il est bien évident que l'office du juge ne
doit pas être une licence pour faire n'importe quoi. Il est donc
nécessaire d'accorder aux justiciables certains moyens pour le cas
où les Magistrats pourraient être suspectés de ne pas
être impartiaux ou même auraient fait preuve manifeste de
partialité.
Le premier moyen de protection des juges est une protection
sur le plan civil s'exerçant dans le cas d'accomplissement normal de ses
fonctions. Elle consiste à assurer les Magistrats que leur
responsabilité ne pourra être engagée au résultat
des décisions prises dans le cadre de l'exercice correct de leur
fonction. Hors le cas de faits particuliers, les Magistrats ne sont pas, en
effet, responsables de leurs actes régulièrement accomplis,
même dans l'hypothèse où ceux-ci porteraient
préjudice à quelqu'un.
La deuxième sorte de protection normale des Magistrats
se situe sur le plan pénal. Il existe en effet, toute une série
de dispositions de la loi pénale qui punissent ceux qui adressent
à des Magistrats des outrages et des menaces, ou qui exercent des
violences sur leurs personnes.
Face au corps des avocats, la Magistrature est tout à
fait indépendante parce que le juge ne dépend que de la loi et de
sa conscience.
Somme toute, le problème de l'indépendance de la
Magistrature dans notre droit et dans les traditions haïtiennes est bien
réel.
Dans cette étude, nous avons essayé de faire
une esquisse du problème, il s'agira d'arriver à un
mécanisme qui permettra de résoudre des conflits inhérents
au système monté par la constitution. Point n'est besoin de poser
le principe d'égalité entre les différents pouvoirs de
l'Etat : Exécutif-Judiciaire. Car, ils sont indépendants
l'un de l'autre (art. 59), mais ils ont également des attributions
différentes et la solution réside dans la délimitation
simple et claire des compétences de chacun de ces Pouvoirs.
Ce qui nous permettra d'aborder à la deuxième
section : Les stratégies à mettre en oeuvre pour la
réforme du système judiciaire haïtien.
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