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Le système judiciaire en Haiti et les obstacles qui paralysent son développement

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par Gina BOURGEOT
Universite d'Etat Haiti (Faculte de Droit et des Sciences Economiques de Port-au-Prince) - Licence en Droit 2001
  

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Section II

Les stratégies à mettre en oeuvre pour la réforme du système judiciaire haïtien

Le bien fondé de ces stratégies à mettre en oeuvre dépend de la promotion de la loi qui, à son tour, requiert la diffusion des codes lois pour la vulgarisation de la loi. Aussi, la réussite de ces stratégies concourt-elle à la vraie réforme de notre système judiciaire.

Diffusion des codes de lois

A entendre parler bien des gens, Haïti semble échapper à toute standardisation, à toute règle, à toute rigueur scientifique, lorsque l'on considère l'usage que l'on fait du principe des principes généraux du droit à savoir : « Nemo censetur legem ignorare ».

Un peuple à qui l'accès à l'information et à l'éducation se révèle un luxe ne peut pas subir les rigueurs de la loi sous le fallacieux et inutile prétexte que « Nul n'est censé ignorer la loi » face à l'irresponsabilité collective et cumulative des autorités de son Etat irrespectueuses des droits fondamentaux de l'homme alors que les principes généraux du droit lui octroient cela de par son existence en tant que peuple.

Cependant, si cette disposition a tout son sens dès sa proclamation dans le pays où le processus d'alphabétisation est entaché de sérieuses irrégularités, force est de reconnaître et de constater que les masses haïtiennes sombrent dans l'analphabétisme jour après jour. A ce sujet, aussi cuisant qu'il puisse paraître pour plus d'un, il nous a été donné de constater qu'il n'y avait jamais eu le dépôt d'un seul exemplaire de « Le Moniteur », journal officiel de l'Etat où les lois sont publiées, dans quelques Cabinets d'Avocats de renom du pays, ni dans les petites et rares bibliothèques que possède ce pays, dans le cadre de la promotion de la loi. Dans les Tribunaux de Paix qui sont plus proches de la population, on peut constater qu'il n'y a pas tous les codes de lois à la disposition des Juges de paix qui doivent dire le droit au premier échelon de la pyramide.

Par ailleurs, nous constatons encore avec dégoût et honte l'absence de volonté du Parlement ou à défaut des commissions « Justice et Sécurité » des deux chambres d'utiliser les ondes des radios de l'Etat et privées pour tenir informer la population des dispositions de lois votées et publiées dans « Le Moniteur », journal officiel de l'Etat ou de faire parvenir à chaque Commune et Section communale semestriellement ou annuellement un livret de ces lois publiées dans ledit journal pour lequel le peuple paie des taxes.

De surcroît, dans un pays où la culture du droit est le partage d'une faible minorité avec ses problèmes économiques l'empêchant de se ressourcer intellectuellement, on peut bien se demander ce que vaut cet aphorisme : « Nul n'est censé ignorer la loi ».

A titre d'exemple, nombre de politiciens et intellectuels ignorent même les notions élémentaires de droits fondamentaux de l'homme et du droit administratif voire comprendre la valeur d'un tel aphorisme.

Pour réformer le système judiciaire haïtien et établir un Etat de droit, il faut contribuer à la promotion de la loi par la diffusion des codes de lois ; car tenir les gens dans l'ignorance d'une loi votée, adoptée et promulguée aux fins de les protéger alors qu'elle est faite sans eux et continu à être appliquée à leur insu est encore une plus grave injustice sociale. Voila ce qu'il nous faut avant d'aborder la réforme du système judiciaire haïtien.

Réforme du système judiciaire haïtien

Pour réussir la réforme du système judiciaire haïtien, il faut d'abord penser à la réforme du droit haïtien et, au demeurant, à la réforme de la justice.

La Réforme du droit

Soutient Renaud Denoix de Saint Marc cité par Loïc Cadiet et Laurent Richer :

« A l'origine d'une Réforme, il y a nécessairement une « Chiquenaude initiale », une idée, une volonté. C'est le plus souvent la constatation de l'inadaptation du droit existant à l'évolution des moeurs ou, plus exactement, l'idée que l'on se fait du décalage entre le droit et le comportement qu'on voudrait voir adopter par le corps social... »

De ce point de vue, nous enchaînons avec la thèse que le droit résulte d'une situation de lutte entre individus et groupes, laquelle apparaît en même temps dans les pratiques et discours propres à obtenir un consensus sur l'effet des pratiques et ce consensus se révèle nécessaire, par la raison qu'il permet de passer de la force au droit sur quoi s'appuie l'État pour jouer son rôle régulateur.

Nonobstant ces riches considérations sur les rapports entre droit et société, depuis la chute de la dictature en 1986 à aujourd'hui, l'une des grandes et fondées revendications du peuple haïtien, c'est l'établissement d'un État de droit, un État au service du droit.

Généralement, chez nous, dans la pratique, les rapports entre les individus ne sont pas régis par la loi, mais plutôt par l'injustice, la violence. Ce sont des rapports de domination, de répression, d'un côté, de fuite et d'évitement de l'autre. En effet, même quand il existe un certain formalisme juridique, ce n'est souvent qu'une apparence, un simulacre.

Le Ministère de la justice lui-même dans le rapport de la commission préparatoire à la Réforme du droit et de la justice constate que :

« La justice haïtienne est inaccessible, inefficiente, inadaptée, dilatoire et irrespectueuse des droits fondamentaux et que la société haïtienne est privée de services juridiques ».

A cet effet, d'énormes efforts ont été consentis par la Communauté internationale depuis 1994 pour réformer la justice haïtienne et instaurer un État de droit. A l'étonnement de plus d'un, toutes les instances impliquées dans cette tentative ont conclu à l'échec.

De là, nos deux petites interrogations : Qu'est-ce qui est à la base de cet apparent divorce entre notre société et Droit ? D'où viennent les obstacles à la culture du droit en Haïti ?

En guise de réponse, il faut reconnaître que, par delà tous les problèmes de dysfonctionnement de l'appareil judiciaire comme : défaillance de l'état civil, inaccessibilité de 75% de la population à la justice, une justice qui coûte cher, un système judiciaire répressif, injuste, dépendant et inadéquat, il existe un problème encore plus grave qui constitue un obstacle majeur à la promotion du droit. C'est celui de la dualité du droit en Haïti. A dire vrai, il existe deux systèmes de droit dans le pays : un système de droit formel inspiré du Code Napoléonien (le droit positif) et un système de droit coutumier, informel régi nos us, nos anciennes manières de faire, qui présentent entre eux de sérieuses dichotomies. Cette dualité du droit renvoie à une dualité plus profonde au sein de la société, entre le monde paysan généralement producteur d'analphabètes et le monde urbain.

Ces deux systèmes de droit n'envisagent pas de la même manière les questions :

· D'héritage ;

· De statut matrimonial ;

· De droit de la famille ;

· De propriété foncière, etc.

Au niveau du statut matrimonial, le droit formel reconnaît le mariage, au niveau du droit coutumier, c'est plutôt le « placage » qui est le statut de 65% des couples à l'heure actuelle.

Au niveau de la propriété foncière, selon le système de droit formel, la terre est une valeur d'échange aux mains de l'individu qui est sujet de droit. Pour le système informel, la terre matérialise « l'appartenance à une société de parents» dont elle assure de façon concrète la cohésion sociale. Dans ces conditions, la terre serait inaliénable.

En conséquence, la coexistence de ces deux systèmes parallèles, formel et informel, donne lieu en Haïti à une situation inextricable et malsaine pour la société. D'après l'ex-Ministre de la Justice, Me Jean Joseph EXUMÉ :

« Dans le droit civil, il suffit de considérer le droit de propriété pour constater une situation des plus alarmantes. Actuellement, il est presque impossible de se référer aux dispositions de notre législation en matière de revendication du droit de propriété pour résoudre les conflits terriens. En raison même de leur complexité, ces lois deviennent inopérantes ».

De ces problèmes de dysfonctionnement auxquels est confronté notre système judiciaire dont on avait fait état plus haut, nous identifions, au départ, à la base de la défaillance de l'état civil qui est le premier des obstacles à l'existence d'un État de droit, c'est l'absence d'état civil pour 40% de la population haïtienne. Au cours de ces deux siècles d'existence, l'État haïtien a affiché une indifférence par rapport à l'enregistrement de ses citoyens au niveau de l'état civil. Il n'y a pas eu d'efforts sérieux consentis, ni de moyens adéquats mis en oeuvre pour résoudre ce problème, si bien que jusqu'à aujourd'hui, près de la moitié de la population se trouve exclure de la citoyenneté formelle. Comment va-t-on faire pour jouir de ses droits civil et politique si on n'est pas reconnu légalement par son État ? Toute promotion véritable de l'État de droit doit passer nécessairement par un effort sérieux de la part des responsables de l'État pour résoudre ce problème d'état civil.

En ce qui a trait à l'inaccessibilité de 75% de la population à la justice, dit-on, s'il n'y a pas eu d'effort de la part de l'État pour donner une reconnaissance légale à tous ses citoyens, pas d'effort non plus pour lui apporter la justice. A peine 25% de la population bénéficient des services juridiques. Seulement 189 Tribunaux de Paix pour 565 sections communales. Un Tribunal de Paix pour 300.000 habitants à Cité Soleil. De plus, tous les textes de loi sont écrits en français alors que la population est majoritairement créolophone, unilingue. Tant que les 2/3 de la population n'auront pas un accès facile à la justice formelle, il sera difficile de promouvoir une véritable culture de droit en Haïti. Donc, il faut oeuvrer pour une meilleure couverture juridique de la population.

A la question, « une justice qui coûte cher », il faut avancer que lorsque la justice est disponible, elle n'est pas pour la grande majorité de la population qui vit en deçà du seuil de la pauvreté quasiment absolue. Les tarifs judiciaires illégalement imposés ne sont pas à la portée des économiquement faibles. Il n'y a pas d'assistance légale fiable fournie par l'État. Les juges de paix fixent eux-mêmes le coût des constats. Ils gagnent 3 à 4 fois de leur salaire en faisant des constats. Ce qui les rend plus indisponibles pour entendre les affaires. Pour attirer les citoyens vers la justice formelle, l'État doit réglementer la question des tarifs.

Entre autres, parlant d'un système judiciaire répressif, injuste, dépendant et inadéquat, on peut dire en fait, que jusqu'ici, la finalité du système de justice, ce n'était pas de servir tant la population mais plutôt de réprimer ses infractions à la loi. En 1997, l'USAID a procédé à une évaluation du secteur de la justice en Haïti et le rapport a conclu que le système de justice en Haïti n'a ni protégé les droits de l'homme, ni renforcé le pouvoir de la loi. Bien au contraire, il a toujours constitué un instrument de coercition entre les mains des militaires et du pouvoir exécutif. Le système de justice n'a jamais été juste. Il fut un « système de répression, d'exclusion et d'impunité ». Ceux qui ont de l'argent ou sont proches du pouvoir arrivent à échapper aux rigueurs de la loi. Ceux qui sont pauvres et n'ont pas d'influence croupissent en prison.

En 2010-2011, 80% des prisonniers, soit 3909 sur 5770 étaient en détention provisoire dont 1/3 depuis plus d'un an alors que selon la loi, ils auraient dû comparaître dans les 48 heures après leur arrestation. Certains, pour des délits mineurs, attendent un procès depuis plus de 3 ans.

La Magistrature est très loin d'être indépendante. Elle est sous la tutelle de l'exécutif, des riches, des organisations de la société civile et de pressions internationales. Le juge n'apparaît pas dans la société comme un personnage jouissant d'une autorité réelle et d'un prestige aux yeux de ses concitoyens. Certains le terrorisent à loisir et impunément menacent sa famille. Il ne jouit pas d'une véritable protection de la Police. Il peut être révoqué à tout moment par l'autorité politique.

In fine, nous proposons, si l'on veut développer chez le citoyen haïtien le culte du droit, nous devons harmoniser nos lois et nos pratiques. Un peuple ne peut cultiver deux « droits » à la fois. Tant que cette harmonisation de deux systèmes de droit formel et informel ne se fera pas, la promotion de la culture du droit ne sera pas possible. Le citoyen haïtien doit avoir, sous les yeux, une image plus positive de la justice et des juges de son pays. En conclusion, il n'y aura pas de culture du droit en Haïti sans la reconnaissance par tous les citoyens de leurs droits et sans leur responsabilité par la participation et l'accomplissement de leurs devoirs.

La réforme de la Justice

Aujourd'hui des réflexions sont portées sur la défaillance de la justice haïtienne considérée comme une plaie lente à cicatriser et plus que jamais on se rend compte de la nécessité de la réformer pour permettre aux Haïtiens de vivre dans une société démocratique et juste et à Haïti de rentrer dans le concert des nations dites modernes. N'est-ce pas la justice qui élève une nation ?

Si l'on parle aujourd'hui de réforme, c'est sans doute pour attirer l'attention sur un état déplorable de la justice en Haïti et sur la nécessité pour tous les acteurs impliqués de réfléchir ensemble sur la problématique dans le but de sortir un plan durable de redressement. A ce titre, il faudrait s'entendre sur une méthodologie de cette réforme judicaire, laquelle permettrait de savoir ce qu'il faut faire, comment et avec qui le faire ?

L'hypothèse de recherche formant les postulats de base de la théorie de l'État de droit est qu'une réforme de la justice ne peut se concevoir fondamentalement en dehors de la réforme de l'État, créateur du droit.

Écrit Mirlande MANIGAT, en ce sens :

« La Constitution donne à l'État une légitimité juridique qui renforce sa place et son rôle au sein de la Nation.

· Il est le seul à produire du Droit comme générateur exclusif des normes appliquées dans un pays et imposées à tous ;

· Il est le seul à introduire leur modification ;

· Il est le gardien de leur conservation et le garant de leur application ».1

A dire vrai, la réforme de la justice haïtienne tant prônée ne peut être d'application réelle et réussie sans la réforme de l'État d'Haïti foncièrement de conception occidentale qui n'a rien à voir avec la réalité haïtienne.

En ce sens, soutient Loïc CADIET :

« La réforme de la justice peut difficilement être conçue indépendamment de la réforme de l'État dans ses rapports avec la société politique et la société civile ».2

Fort de tout ce qui précède, la réforme de la justice implique de sérieuses transformations au sein de l'État et de la société.

Une des valeurs fondamentales sur laquelle se fonde la théorie de l'État de droit est le respect de la loi d'abord par toutes les autorités de l'État qui, à leur tour, auront pour responsabilité de la faire appliquer. Il en résulte que cette valeur constitue sans contestation aucune les théories sur lesquelles se fondent le Démocratie et l'État de droit. La réforme de la justice est inconcevable sans l'équilibre entre les pouvoirs qui est le corollaire du principe de séparation des pouvoirs consacré par la Constitution de 1987.

A notre avis, les perspectives de mise en oeuvre d'une réelle réforme du système judiciaire haïtien nécessitent de nouvelles stratégies consistant à renforcer le pouvoir judiciaire afin qu'il prenne son autonomie par rapport au Ministère de la Justice, l'accessibilité de la justice, les institutions en relation avec la justice, mettre la justice à la portée des justiciables, valoriser la fonction des juges, cesser le contrôle et la surveillance du Ministère de la Justice sur le pouvoir judiciaire, sur les Magistrats.

__________________________

1-MANIGAT, Mirlande : Manuel de droit constitutionnel, Uniq, Port-au-Prince, 2004, p.81

2- CADIET, Loïc et RICHER, Laurent : Réforme de la Justice, Réforme de l'État, éd. PUF, Paris, 2003, p. 13

Dans un premier lieu, le renforcement du pouvoir judiciaire réside en son autonomie administrative et budgétaire, la mise en place du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire composé de représentant de l'État et d'une société civile digne fonctionnant selon les normes notamment les représentant des organisations de droits humains, le recrutement sur concours des Juges pour éviter le favoritisme, l'incompétence, la corruption...

De surcroît, ce renforcement réside dans la révision du statut du Ministère public et du rôle du Commissaire du Gouvernement qui aujourd'hui donne l'exequatur pour l'exécution des décisions de justice et la reconnaissance de la Cour de Cassation comme chef du pouvoir judiciaire.

En deuxième lieu, le renforcement de l'accessibilité de la justice et celui des institutions en relation avec la justice impliquent, d'une part : l'établissement d'une carte judiciaire conforme à la distribution de la population : un Tribunal de Paix dans chaque section communale.

D'autre part, l'actualisation des lois par le Pouvoir législatif, la présence policière dans toutes les Communes du pays, l'utilisation de mandats lors des arrestations, le traitement correct lors des arrestations, la sanction des policiers qui enfreignent la loi...

En troisième lieu, la mise de la justice à la portée des justiciables s'explique par la baisse des coûts des frais de justice, l'adaptation de la langue créole et du langage juridique, la transcription des déclarations et réponses dans la langue utilisée.

En dernier lieu, pour ce qui est de la valorisation de la fonction des juges, elle se traduit par le respect de l'inamovibilité des Juges, la garantie de stabilité pour les Juges de Paix, le renforcement de leur capacité en matière d'enquêtes, la soumission de la police au Pouvoir judiciaire... Cependant, pour que toutes ces perspectives deviennent des réalités, il faut consacrer l'indépendance du Pouvoir judiciaire dans les faits et contribuer à la primauté de la Constitution et de la loi sur tous les citoyens pour un État de droit fort.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera