Chapitre III
Problématique du système judiciaire
haïtien
Ce n'est pas les pétitions qui devraient forcer les
portes de la justice. Le fonctionnement doit être régulier,
normal, sans besoin de référence, ni d'interférence. La
justice doit être saine pour un pays harmonieux, mais quand la politique
s'infiltre, sans bornes, même dans les tribunaux, c'est à la loi
d'en sortir.
Si l'on parle de réforme, c'est que la conscience est
claire que nos institutions sont dysfonctionnelles, ou même la plupart
inadéquates. Pourquoi d'après vous les gens restent aujourd'hui
dans les prisons sans jugement ? Le fonctionnement du système
judiciaire est mauvais joint à la confusion des pouvoirs, et elle
perverti et par elle perturbé. Il n'y a pas à dire,
l'enquête se poursuit
A travers cette analyse, nous nous rendons compte que le
problème de l'indépendance du corps judiciaire est loin
d'être résolu. Les pouvoirs publics n'ont pas étudié
la question à la base pour y apporter des réponses
satisfaisantes. Ce problème pourra déboucher sur beaucoup
d'autres si des mesures appropriées ne sont pas prises. Nos
législateurs doivent mettre accent sur cette crise que traverse la
justice haïtienne. Nul ne peut nier le rôle primordial que jouent
les magistrats dans la distribution de la justice. Ils sont les principaux
acteurs. L'Exécutif est une institution indépendante, le
Parlement ne l'est pas moins, mais s'agit-il du Judiciaire, il semble
être une émanation des deux autres. La réforme de la
justice telle qu'elle est prônée à l'heure actuelle par nos
dirigeants et réclamée par le public victime du fléau,
doit tenir compte de cette main-mise de l'Exécutif sur le Judiciaire.
Les membres de ce pouvoir sont trop assujettis à ceux de
l'Exécutif. Leur nomination et leur révocation doivent faire
l'objet d'une étude particulière dans le cadre d'une
véritable réforme de la justice.
Section I
Les maux de la justice
La mainmise du Ministère de la
Justice
La justice, en réprimant les atteintes aux lois, assume
par son organisation des fonctions sociales multiples et tient du même
coup dans l'État une place éminente où les lois
garantissent et protègent les libertés publiques. Mais les
pouvoirs publics, dans la tradition constitutionnelle demeurent associés
à l'oeuvre judiciaire, et la constitution de 1987 maintient cette
tradition.
Cependant la mainmise de l'Exécutif comme plus d'un
sont enclins à le croire, garantit de moins en moins
l'indépendance de la Magistrature.
A la fois autorité politique et chef d'un organe
administratif, le Ministre de la justice est la courroie de transmission du
gouvernement dans l'institution et le chef du service public de la justice. A
ce titre, il nomme les Magistrats du siège et du parquet et veille
à leur promotion. Il est investi également d'un pouvoir
réglementaire lui permettant d'assainir le fonctionnement de
l'institution en se basant sur le principe hiérarchique et d'intervenir
dans la formation des Magistrats. Dans les périodes de trouble il se
considère comme le véritable chef de la justice1.
De ce fait, ne peut-on dégager la mainmise possible du
Ministère de la justice sur l'institution judiciaire ?
Le Ministère de la justice est une survivance de
l'histoire. A la vérité, la justice peut être rendue
équitablement dans un Pays malgré l'existence d'un
Ministère de la Justice. L'essentiel est de confier à celui-ci
des attributions qui ne seront pas de nature à troubler l'administration
d'une bonne justice.
_________________________
1- Boure R et Mignard J : La crise de
l'institution judiciaire, Paris, Nuova Stampardi Mondadori Cles, 1977,
pp.62-63
La justice est trop souvent, partante de l'affirmation,
soumise au pouvoir politique. Comment parler d'une indépendance de la
Magistrature quand le pouvoir de nomination est confié à une
autre partie ? L'Exécutif choisira rarement un Magistrat de
siège ne partageant pas ses idéologies politiques ou qui ne lui
soit pas facile de manipuler sans parler de soumission.
Ceci est d'autant plus vrai que le Conseil de la Magistrature
en France qui doit donner son avis sur la nomination des Magistrats est
lui-même nommé par le même personnage. L'on peut dire que la
nomination du Conseil Supérieur de la magistrature par le
Président de la République place l'autorité judiciaire
sous le contrôle du chef de l'État.
C'est ainsi qu'en France les juges organisés en
syndicat font de la nomination leur cheval de bataille. « Il faut la
retirer à l'autorité politique pour la confier à un
Conseil Supérieur de la Magistrature élargi ou carrément
à l'élection non par le suffrage universel mais par les juges
eux-mêmes »1.
Ce procédé d'organisation de la Magistrature
(qui incarnera vraiment l'indépendance des juges) s'inscrit dans la
constitution et connaît des limites avec les procédures de
nomination et d'avancement des Magistrats de siège.
Or, l'avancement des juges reste et demeure toujours une
affaire de choix et non d'ancienneté. En France, c'est en fonction d'une
liste d'aptitude et d'un tableau d'avancement ordinaire ou spécial sur
lesquels s'inscrit la carrière du juge qu'une commission d'avancement
formée de représentants de l'État fait son choix en
fonction des notes du Magistrat 2.
N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur ces nominations ?
Ces représentants de l'État vont-ils choisir quelqu'un ne
partageant pas la sensibilité politique du régime en
place ? L'on peut
__________________________
1-Lariviere Daniel Soulez : Les juges dans la
balance, Saint-Amant, imp. Bussière, 1990 p. 301
2- De Coustine Christian : La justice,
collection tout savoir sur, Paris, imp. Brodard et Taupin, 1974, p. 28
également affirmer que les nominations dans la
magistrature reflètent les options politiques de l'Exécutif et la
gestion du personnel va dans le sens du régime en place.
Manque de moyens humains, financiers et
matériels
Evaluation des ressources du système
judiciaire
Du point de vue institutionnel, la justice haïtienne fait
face à de nombreux problèmes. Les plus cruciaux sont : la
carence qualitative et quantitative en ressources humaines, le manque de
ressources financières, l'état de dénuement des
bâtiments logeant la plupart des Cours et Tribunaux de la
République. Ces problèmes constituent autant d'obstacles au bon
fonctionnement du système judiciaire haïtien.
Il est courant, dans le cadre de l'élaboration d'un
projet de réforme institutionnelle, de procéder à une
évaluation du système existant en vue d'identifier aussi bien ses
forces et faiblesses que les obstacles éventuels à sa bonne
marche. C'est ce qui, en sciences physiques et naturelles, prend le nom de
diagnostic. Notre mémoire emprunte cette terminologie dans son effort
d'identification du mal qui affecte le système judiciaire haïtien.
Certes, seul un bon diagnostic du système judiciaire haïtien pourra
permettre d'identifier ses faiblesses ainsi que les obstacles qui entravent son
fonctionnement.
A vue d'oeil, la situation actuelle du système
judiciaire haïtien peut être comparée à celle d'un
malade en pieux état, manifestant malgré toute une grande
volonté de survie. La pénurie des moyens matériels dont
souffre le système judiciaire haïtien affecte le fonctionnement de
ses rouages les plus nécessaires, en l'occurrence les Cours et
Tribunaux. Cependant, deux maux essentiels semblent être à la base
de son disfonctionnement. Il s'agit, premièrement, de la trop grande
dépendance du pouvoir judiciaire à l'égard du pouvoir
exécutif. Deuxièmement, le rejet du droit coutumier qui
régit et conditionne les relations entretenues par la majorité de
la population rurale haïtienne ainsi que celle des zones urbaines
marginales. Il est donc indispensable de s'attaquer aux racines du mal,
à ses causes et non à ses effets.
Ressources humaines
Le grand problème qui affecte le système
judiciaire haïtien est sans conteste le manque de ressources humaines,
aussi bien qualitatif que quantitatif. Sur le plan qualitatif, la version
préliminaire du rapport publié en janvier 1994 par la Mission
Civile ONU/OEA1 sur l'état du système judiciaire
haïtien, relatait un niveau de qualification très faible de la
grande majorité des Juges de Paix titulaires et suppléants
affectés dans les 180 tribunaux de paix répartis à travers
les dix-huit juridictions de la République. La plupart ont à
peine complété le niveau de certificat d'études primaires.
Certes, la différence dans le niveau de qualification varie d'un
tribunal de paix à l'autre à l'intérieur d'une même
juridiction et d'une juridiction à l'autre.
Cependant, au niveau des Tribunaux de Première
Instance, des Cours d'Appel et de la Cour de Cassation, le problème de
qualification des juges ne se pose pas avec autant d'acuité que ceux
décrits précédemment. Ces juges détiennent pour la
plupart une licence en droit ou une expérience pratique
équivalente. Le problème se situe plutôt au niveau de
l'actualisation des connaissances acquises dans une discipline qui
évolue au rythme des relations sociales, elles-mêmes en constante
mutation.
Le problème de la qualification des juges
résulte, en partie, de leurs modes de sélection et de recrutement
qui, souvent, laissent beaucoup à désirer. Par exemple, la
majorité des juges de paix en activité de service sont
nommés par le Ministère de la Justice et de la
Sécurité Publique. En générale, ces recrutements
sont effectués en violation flagrante des dispositions
constitutionnelles. Or, la Constitution de 1987 recommande le choix des juges
de paix sur des listes préparés par les
assemblées communales. Pourtant vingt quatre ans
après la promulgation de la Constitution, les
____________________________
1- Mission Civile OEA-ONU: Rapport
préliminaire sur le système judiciaire haïtien, mimeo,
Haïti, Janvier 1994, p. 7
assemblées communales n'ont toujours pas
été constituées.
Sur le plan quantitatif, le manque de Juges en nombre
suffisant pour animer les institutions du système judiciaire
haïtien est patent. Pour une population estimée à plus de
huit (8) millions1, le pays ne dispose que six cent (600) Juges de
Paix environ, répartis dans environ 190 tribunaux ; de dix-huit
(18) Doyens à la tête des dix-huit Tribunaux de Première
Instance de la République, assistés de quarante deux (42) Juges
d'instruction environ pour les dix-huit juridictions judiciaires, de cinq (5)
Cours d'Appel dirigés par cinq (5) Juges-Présidents
assistés d'environ quinze (15) Juges au total ; de douze (12) Juges
affectés à la Cour de Cassation de la République
2.
Au total, sept (700) Juges environ sont disponibles, à
tous les échelons de la hiérarchie judiciaire, pour dire le droit
et rendre la justice dans les dix (10) départements géographiques
du pays. Ces juges sont secondés dans l'accomplissement de leur mission
par des greffiers et des huissiers. A l'exception des tribunaux de paix, un
fonctionnaire du gouvernement est délégué comme
commissaire auprès des Cours et Tribunaux de la République. Ces
représentants du ministère public forment la magistrature debout,
car ils se lèvent pour porter la parole. Certains de ces Commissaires du
gouvernement et leurs Substituts, comme on les désigne, animent les
Parquets près les Tribunaux de Première Instance. Leur rôle
consiste principalement à promouvoir l'action publique destinée
à assurer la répression des infractions.
Ressources physiques et naturelles
Sur le plan physique et matériel, un rapport
d'évaluation préparé par le Service de Programmation du
Ministère de la Justice en avril 1993 et distribué comme
document de support au colloque organisé en juin 1995 sur l'avenir de la
réforme judiciaire, décrivait comme suit l'état de
délabrement des locaux abritant la plupart des cours et tribunaux du
pays :
« Les visites d'inspection effectuées
dans les quinze (15) juridictions d'alors de la République
__________________________________________
1- IHSI : Tendances et Perspectives de la
population d'Haïti, 2000-2010, p. 35
2- Jumelle, (M.C.) : La géographie
judiciaire d'Haïti, mimeo, 1995, p.1
permettraient de constater que bon nombre de locaux de
justice (tribunaux de paix, tribunaux civils et parquets) étaient des
constructions précaires, présentant un état de
vétusté chronique et
ne respectant pas les normes élémentaires
des constructions à usage public : murs lézardés,
toiture trouée et défectueuse, répartition de l'espace
inadaptée aux besoins réels des utilisateurs, absence de
toilettes et/ou de fosse d'aisance,... »1
Pour compléter ce sinistre tableau, ajoutons que sur
314 locaux de justice recensés à travers le pays, l'Etat
haïtien ne possédait que 32 bâtiments. Donc. 90% environ de
locaux logeant les tribunaux, le plus souvent sans eau potable, sans
électricité, l'étaient à la faveur d'un bail
à loyer. Il est important aussi de mentionner les conséquences de
la précarité des infrastructures physiques sur le fonctionnement
général du système judiciaire haïtien.
Cette description du sombre tableau de ressources physiques et
matérielles affectées au système judiciaire serait
incomplète si l'on n'ajoutait pas l'état défectueux du
mobilier qui s'y trouve. Il suffit de visiter certains tribunaux de paix
établis dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince pour se
faire une idée de l'état réel du matériel et
mobilier (bureau, armoire, machine à écrire) dont ils sont
dotés. Jouissant des faveurs de la localisation, ces tribunaux sont
quand même privilégiés, comparés à
l'état de ceux établis en province. Il manque dans certains
tribunaux de paix jusqu'à la simple feuille de papier nécessaire
aux juges pour rédiger un acte judiciaire. L'on ne pouvait s'attendre,
dans de telles circonstances, à ce qu'un tribunal de paix dispose de
moyens logistiques lui permettant d'effectuer des constats, par exemple. Que
dire alors des moyens de communication !
Ressources financières
Sur le plan financier, une analyse comparée des
dotations budgétaires annuelles au secteur justice montre combien est
dérisoire le niveau des ressources allouées, au cours des
années 1989-1995 par rapport aux années 2009-2011. Les dotations
budgétaires à la justice s'amenuisent en termes réels
d'année en année. A titre illustratif, mentionnons qu'au
cours de l'année fiscale
____________________________________
1- Ministère de la Justice : Les Infrastructures
Physiques, Rapport préparé par le Service de Programmation,
Haïti, Avril 1993, p. 2
1989-1990, une valeur de 24.110.840 gourdes,
représentant seulement 1.66% du budget national, étaient
affectées au fonctionnement des Cours et Tribunaux du pays. Pour
l'année fiscale 1990-1991, sur un budget total de 1.350.000.000 de
gourdes, une valeur de 36.000.000 de gourdes, représentant 2% du budget
national, étaient allouées à la justice. De ce montant,
2.130.000 gourdes étaient affectées à la Cour de Cassation
et 19.895.000 gourdes au fonctionnement des Cours et Tribunaux. Plus tard, au
cours de l'année fiscale 1994-1995, sur un budget total de 3.454.500.000
gourdes, un montant de 76.899.182 gourdes (2.2%) était alloué au
Ministère de la Justice. De ce montant, 5.000.000 gourdes (0.1%)
étaient allouées à la Cour de Cassation de la
République et 33.823.917 gourdes (0,9%) étaient affectées
au fonctionnement des Cours et Tribunaux de la République. Au cours de
l'année fiscale 2009-2010, sur un budget total de 88.942.900.943 gourdes
un montant de 717.301.786 gourdes (0.81%) était alloué au
pouvoir judiciaire. Cette analyse nous montre clairement au lieu d'augmenter le
budget du Pouvoir Judiciaire afin de lui permettre de bien fonctionner on le
diminue, d'où la volonté du Pourvoir Exécutif de tenir le
Pouvoir Judiciaire en état. Il faut souligner que ce budget a
été reconduit pour l'année fiscale 2010-2011.
Trois remarques s'imposent. La première, c'est le
Ministère de la Justice, organe de l'Exécutif qui prépare
le budget pour un pouvoir judiciaire supposé indépendant. La
deuxième qui est une conséquence de la précédente,
le montant alloué à la Cour de Cassation se trouve
inséré au budget du Ministère de la Justice.
Troisièmement, les dotations budgétaires ne reflètent
nullement la priorité accordée à la justice.
Sur le plan strictement financier, à coté de la
parcimonie de son budget, la Cour de Cassation est traitée comme faisant
partie intégrante de ce Ministère. Il est donc légitime de
s'interroger sur l'indépendance des pouvoirs proclamés par la
Constitution en vigueur.
Parallèlement, le système judiciaire
haïtien génère aussi de modestes ressources
financières. Celles-ci proviennent à la fois des frais
perçus par les greffes des Cours et Tribunaux pour les services rendus
aux justiciables et des amendes. Cependant, il n'existait dans les tribunaux de
paix que nous avons eu l'occasion de visiter aucun registre permettant de
retracer ces recettes, encore moins l'utilisation qui en était faite.
L'État de la documentation
juridique
Sur le plan de la documentation, il n'est point besoin
d'épiloguer sur l'obsolescence des codes et de certains textes de lois
haïtiens. Le Moniteur, Journal officiel de la République dans
lequel sont publiés les Lois, Décrets-lois et Décrets, en
un mot tous les documents officiels à caractère juridique, ne
dispose même pas d'un index législatif, sorte d'inventaire des
textes publiés à date. Ce qui faciliterait la mise à jour
des lois haïtiennes en y incorporant dans un seul et même recueil
les modifications subies par une loi suite à
des amendements successifs. De plus, la publication du
Bulletin des Arrêts de la Cour de la Cassation est en retard de plus de
dix ans. Par ailleurs, la Constitution de 1987, dans son article 276-2, fait
entrer sous certaines conditions les Traités ou Accords Internationaux
dans la législation nationale. Mais il n'existe, à notre
connaissance, aucun recueil à jour des Traités, Accords ou
Conventions signés et ratifiés par la République
d'Haïti.
Sur ce plan, la situation est tout aussi lamentable.
Jusqu'à une époque très récente, ils étaient
rares les tribunaux qui disposaient complet de tous les codes de lois, de tous
les codes de procédure édités dans le pays au cours de ces
trente dernières années. Or, de tels documents demeurent
indispensables à leur bon fonctionnement. Les tribunaux haïtiens ne
disposent même pas de mobiliers adéquats pour conserver leurs
archives ; que dire d'un embryon de bibliothèque regroupant les
documents d'usage courant ? L'on se demande comment, dans ces conditions,
un juge peut valablement dire le droit quand il est dépourvu du support
documentaire que représente un code ou un manuel de procédure.
Le problème d'accès à la
justice
Il se pose, toutefois, le problème fondamental
d'accès à la justice. La justice étant un service public,
son accès doit être garanti à tous sans distinction. Cet
accès se mesure en termes de distribution spatiale des tribunaux, de la
distance à parcourir pour les atteindre, du coût des services
disponibles ainsi que de la langue dans laquelle sont rendues les
décisions de justice. Le nombre de citoyens qui peuvent aujourd'hui
accéder à la justice est très réduit quand on tient
compte de la distribution spatiale des tribunaux à travers le pays. Il
suffit pour s'en convaincre de se référer à la
répartition actuelle des tribunaux sur tout le territoire et du nombre
de juges actuellement en fonction par tête d'habitants.
Distribution spatiale des tribunaux
S'il est un facteur qui limite l'accès des citoyens
à la justice, c'est bien celui de la localisation des tribunaux. Cette
limitation s'exprime en termes de distance à parcourir pour un tribunal,
de nombre de tribunaux par habitants, de l'état des voies de
communication et de la disponibilité de moyens de transport
adéquats. Tout ceci nous amène à étudier la
distribution spatiale des Cours et tribunaux dans les différents
départements géographiques du pays.
La notion de « Géographie
judiciaire », empruntée à Me Michèle
César Jumelle, se réfère à la distribution spatiale
des Cours et Tribunaux à travers le territoire national. Du point de vue
de la géographie physique et politique, la République
d'Haïti est divisée en dix (10) départements, quarante deux
(42) arrondissements, cent quarante deux (142) communes et cinq cent soixante
cinq (565) sections communales.
Du point de vue judiciaire, le pays est divisé en
dix-huit juridictions réparties comme suit : Port-au-Prince,
Croix-des-Bouquets, Cap-Haïtien, Les Cayes, Côteaux,
Fort-Liberté, Saint-Marc, Gonaïves, Port-de-Paix,
Grande-Rivière du Nord, Hinche, Mirebalais, Petit-Gôave,
Miragôane, Anse-à-Veau, Aquin, Jérémie, Jacmel.
Il n'est un secret pour personne que la population totale
haïtienne est à dominance rurale. De même, tous ceux
impliqués dans le fonctionnement du système judiciaire savent que
les tribunaux de paix sont dans leur quasi-totalité établis dans
les communes, donc en milieu relativement urbanisé. Or, personne
n'ignore l'état défectueux des routes reliant les communes entre
elles, d'une part et aux différentes sections communales, d'autre part.
Donc, il n'est point besoin d'avoir une expertise spéciale pour
constater l'inadéquation entre le nombre d'habitants et celui des
tribunaux, ainsi que la disparité dans leur répartition spatiale.
D'ailleurs, le manque de moyens de locomotion isole les tribunaux des
communautés qu'ils prétendent desservir.
Le langage judiciaire
La langue constitue l'un des facteurs limitant l'accès
de la population à la Justice. Dans un
pays à dominance créolophone et à
majorité analphabète, tous les textes de lois sont
rédigés en français. Toues les décisions de justice
sont rendues en cette langue qui n'est parlée et comprise que par une
infime partie de la population. Cette dualité linguistique ne fait
qu'accentuer la division du pays en un pays national à dominance rurale,
créolophone, vaudouisante, analphabète et régi par le
droit coutumier ; et, un pays officiel à dominance urbaine,
francophone, catholique, éduquée et régi par le droit
formel.
Le coût de la justice
Gratuite en théorie, la justice reste très
onéreuse en Haïti. Le coût des services judiciaires
réduit considérablement l'accès de la justice à la
majorité de la population des campagnes et des zones urbaines marginales
du pays, dont le revenu annuel avoisine moins de deux mille cinq cent gourdes.
Les honoraires des avocats sont tellement élevés, en comparaison
du niveau des revenus par tête d'habitants, que la justice est
perçue comme étant au service des possédants et au
détriment des démunis.
La corruption1
La corruption est apparemment un phénomène vieux
comme le monde, mais elle n'avait pas été une
préoccupation dominante de l'État. Ce phénomène est
devenu, depuis près d'une décennie, un thème important
dans les débats politiques, socio-économiques et juridiques tant
au niveau national qu'au niveau international et prend une dimension
médiatique intense. Si la corruption n'est pas un
phénomène nouveau, par contre, la nature, le degré et
l'ampleur des mesures pour la saisir et en venir à bout sont à
inventer.
________________________________________
1- www.jeansenatfleury.com
a) Phénomène de la corruption en
Haïti
La corruption est un phénomène qui se rencontre
aujourd'hui dans tous les secteurs de la vie civile en Haïti. Cependant,
c'est au niveau de la justice que le phénomène est beaucoup plus
perceptible et que les conséquences sont beaucoup plus ressenties.
Le thème justice et corruption est un thème
très sensible qui interpelle au delà de la seule justice, la
société dans son ensemble. Les problèmes liés
à la corruption sont multiples et se rencontrent au niveau de
différents axes.
b) L'environnement des Magistrats
Le magistrat est un être humain avec ses
sensibilités. Placé dans un environnement politique, social,
culturel et économique dans un pays en crise identitaire où tout
se fonde sur la richesse matérielle, le magistrat placé dans un
tel contexte social est beaucoup plus enclin à tirer les avantages de
ses charges en accédant au cercle vicieux de la corruption. Pour
Haïti, une étape préliminaire en vue de diminuer l'ampleur
de la corruption dans le fonctionnement de la justice sera de traiter avec les
avocats et les juges dont certains insistent pour le maintien des
méthodes corrompues et informelles de pratique et d'application des lois
dont ils profitent. Les règles et les pénalités
sévères, ainsi que des critères de qualification doivent
être appliquées à ce groupe d'acteurs importants.
L'élaboration de lois appropriées dans tous les domaines:
commercial, civil, droit pénal, immigration et autres et leur mise en
vigueur constitueront une partie de la première étape. S'il
existe un domaine ou un groupe de professionnels aura besoin de courage,
d'intégrité, de qualification et de compétence, d'un
sentiment de devoirs nationaux et d'humilité pour le
développement et la mise en vigueur de normes légales, c'est bien
dans le secteur de la justice en Haïti.
La mentalité des citoyens en Haïti est de
considérer que dès lors qu'on se trouve en face d'une
autorité, il est de bonne coutume de laisser un cadeau en guise de
respect. Certains avocats utilisent parfois la même stratégie dans
le système judiciaire haïtien : «donner une enveloppe au juge
pour avoir sa faveur dans un jugement.» La corruption n'est pas seulement
due à un fait économique. Elle résulte de l'absence de
probité morale. La décadence morale est à l'origine de la
corruption. Les revenus des juges haïtiens sont modestes, il faut en
convenir. Mais cette faiblesse ne saurait à elle seule expliquer
l'ampleur du phénomène de la corruption qui est en train de
gangrener la justice haïtienne et de lui faire perdre ses valeurs
essentielles.
c) Réprimer la corruption
La corruption est un fléau qui touche tous les secteurs
d'activités. Au niveau de la justice, elle prend des proportions
exponentielles et constitue une menace grave contre l'instauration d'un Etat
démocratique soucieux du respect des droits fondamentaux de la personne
humaine. Aussi, les corrupteurs et les corrompus doivent être
réprimés sans ménagement. Au besoin, les textes relatifs
à la corruption doivent être revus et adaptés aux exigences
actuelles. La bataille contre la corruption a été l'un des
thèmes clés dans le discours du 18 mai 2007 prononcé par
le Président de la République René Garcia Préval
à l'occasion de la fête du drapeau. Devant la tribune de l'ONU
lors de la 62ème assemblée nationale des Nations Unies tenue
à New York, le président René Préval dans son
discours de circonstance du 26 septembre 2007 a repris presque dans les
mêmes thèmes la détermination de l'actuel gouvernement
à combattre le fléau : « Nous construisons les
moyens, en Haïti, pour faire face à la corruption et nous avons
commencé à travailler à consolider les structures de
l'État et à envisager les réformes légales et
réglementaires à mettre en place pour que le mal endémique
disparaisse de nos pratiques institutionnelles, en politique comme en
affaire.» Aussi, s'avère-t-il nécessaire pour
l'université, les sociologues, les dirigeants, les juristes, les
politologues et les parlementaires en particulier, à se pencher sur la
question. Au Parlement, des textes relatifs à la corruption doivent
être revus et adaptés aux exigences actuelles.
Il faudrait arriver à un changement de mentalité
et faire comprendre aux populations que celui qui corrompt ne rend pas service
au magistrat et à son pays. Une mauvaise justice ne profite à
personne; elle ouvre la voie à des situations de conflit et de
vengeance. Sur le plan économique, le fléau de la corruption
représente un frein au développement et à la
stabilité du pays. Globalement, elle touche les fonds qui devaient
être utilisés pour l'enseignement, l'investissement, les
infrastructures publiques et qui sont souvent détournés à
des fins privées. En d'autres termes, elle empêche les pays en
développement dont Haïti d'attirer les investissements
étrangers et crée des distorsions dans la répartition des
capitaux. En outre, elle est préjudiciable à la
société, en particulier au plus vulnérable, les pauvres.
S'érigeant en système, elle décourage l'investissement
étranger direct et crée une instabilité politique criante
qui a des répercussions graves sur la crédibilité de
l'État vis-à-vis de la communauté internationale.
Dans le domaine juridique, la corruption menace
l'indépendance du pouvoir judiciaire dans son impartialité et son
équité, sape la démocratie et l'État de droit, qui
sont les principaux préalables à la croissance économique
et à la réduction de la pauvreté. Celle-ci constitue un
blocage à l'aboutissement d'un procès équitable, encourage
l'impunité, et porte atteinte à la légitimité des
pouvoirs publics, la bonne gouvernance. Etant à la base d'une mauvaise
justice, elle engendre des situations de conflit et de vengeance au sein de la
société.
Relevant du domaine public, la corruption est une
dérogation à la loi pénale, elle est prévue et
punie aux articles 137,138, 139,140, 141, 142, 143, 144 et suivants du code
pénal haïtien. L'article 137 punit la corruption en ces termes :
«Tout fonctionnaire public de l'ordre administratif, judiciaire ou
militaire, tout agent ou préposé d'une administration publique
qui aura agréé des offres ou promesses pour faire un acte de sa
fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire,
sera punie de la dégradation civique et condamné à une
amende double de la valeur de la promesse agréée ou des choses
reçues sans que ladite amende puisse être inférieure
à cinquante piastres.»
Haïti a ratifié le 19 décembre 2000 la
convention interaméricaine contre la corruption, publiée dans le
moniteur du 18 juillet 2002. Cette convention fait depuis, partie
intégrante de notre législation.
Le gouvernement de transition Boniface Alexandre a
créé par arrêté en date du 8 septembre 2004 une
Unité dénommée « Unité de lutte contre la
corruption (ULCC) « appelée à combattre la corruption et ses
manifestations sous toutes ses formes au sein de l'administration publique
haïtienne. Aussi, toutes les lois étant là, il revient
simplement à mettre en place les structures pour l'application de ces
mesures.
La Mise en place d'un observatoire national de lutte
contre la corruption.- L'idée de créer un observatoire
national de lutte contre la corruption procède, d'abord d'une prise de
conscience de la corruption dont les effets pervers sont durement ressentis par
tous les citoyens. Ensuite, de la quasi inopérationnalité du
Conseil Supérieur de la Magistrature qui, à quelques exceptions
près, n'a jamais eu à prendre de sanctions à l'encontre
des Magistrats véreux et corrompus.
Ce comportement du Conseil s'explique aisément dans la
mesure où il est constitué de Magistrats. Or, l'on ne saurait
être juge et parti. La solidarité agissante favorise
l'impunité. L'observatoire trouve donc sa justification de cette
assertion. Pour garder sa neutralité, il doit être
constitué de membres de la société civile dont la mission
serait de recueillir toutes informations sur les faits de corruption et d'en
référer à l'autorité compétente pour prise
de sanction si le cas y échait. Cette structure pourra exister à
l'échelon local, régional et national.
L'observatoire de lutte contre la corruption dont la
création est devenue aujourd'hui un impératif, doit être
perçu comme un instrument efficace, qui utilisé à bon
escient par les citoyens, peut simplement leur permettre de s'affranchir de la
tutelle des agents publics aux conduites indécentes.
L'introduction d'un système de contrôle
populaire de l'appareil judiciaire.- Ce système de
contrôle populaire consiste à publier et à commenter des
décisions de justice par certains spécialistes.
Pour que la population soit confiante de la volonté ou
de la capacité de l'État de sanctionner des abus, il est
important que les autorités rendent publics les résultats des
enquêtes. Par des communiqués de presse, on devait signaler les
suspensions, révocations bref, les sanctions prises contre les
fonctionnaires de justice sans distinction. Cette méthode permettra au
public de s'édifier des abus qui ont été
sanctionnés et quant aux auteurs, de prendre conscience de leurs actes.
Ainsi, la population sera confiante de la volonté et de la
capacité de l'État à réprimer des cas de violations
commises par des acteurs du corps judiciaire. Des abus pourraient être
dénoncés et l'opinion publique serait suffisamment
informée de la pratique des acteurs du corps judiciaire. Un mandat
précis pourrait être donné à ces spécialistes
pour qu'ils aient accès aux pièces des dossiers devant les
différentes juridictions.
d) Faire une vaste campagne
médiatique
La campagne médiatique doit s'effectuer sur l'ensemble
du territoire national. Les O.N.G. doivent s'impliquer activement dans ce
processus. L'éducation, la formation, la sensibilisation et
l'information des populations sont des préalables nécessaires en
vue de l'éradication de la corruption au sein de la justice. Ce travail
est ardu et nécessite l'implication de tous en vue d'un changement de
comportement.
e) Respect des règles de
déontologie
Les normes édictées par les règles de
déontologie doivent être scrupuleusement respectées et cela
passe par une moralisation du corps judiciaire. Il faudrait faire appel au sens
moral et civique des agents chargés de la distribution de la justice
principalement le Magistrat.
Le juge est dépositaire de pouvoirs énormes.
Cela doit l'inciter à être juste. Rendre une saine justice devient
alors pour lui une obligation de sa charge. Dans ses prises de décision,
il ne doit obéir qu'à sa conscience et selon son intime
conviction. Il ne doit céder à aucune pression extérieure
d'où qu'elle vient. En effet, il est difficile de juger son semblable et
la mission du juge est tout simplement un sacerdoce qu'il faut cependant
assurer et assumer en toute conscience et connaissance de cause. Sa
décision doit en toute hypothèse porter le sceau de la
sincérité, de la rigueur, de l'intégrité et ne
devant laisser transpirer le moindre signe de parti pris.
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