Chapitre I
Les Organes Juridictionnels
Le terme de « juridiction » est
générique. Les juridictions sont appelées, le plus
souvent, au premier degré de juridiction,
« tribunal » (tribunal de première instance) et aux
échelons supérieurs « cour » (cour d'appel).
Ces différentes terminologies ont leur prolongement dans le nom
porté par les actes juridictionnels. Les Tribunaux rendent des
« jugements » et les Cours des
« arrêts ».
Pour rendre compte des Organes juridictionnels de
l'Organisation judiciaire haïtienne, nous étudierons successivement
les Juridictions de droit commun (Section I) et les Juridictions
spécialisées (Section II).
Section I
Les Juridictions de Droit Commun
Ancienne colonie française, Haïti, même
après l'indépendance conquise en 1804, est restée
profondément attachée à la France. Le nouvel État a
gardé non seulement la langue mais aussi la culture juridique de
l'ancienne Métropole. Le Législateur haïtien a repris le
principe de la double juridiction. Ainsi les tribunaux sont-ils
organisés en deux degrés de juridictions. Les tribunaux qui
rendent des jugements, obligatoirement saisis en première instance,
forment les juridictions du premier degré. Les instances qui rendent des
arrêts, après avoir procédé à un nouvel
examen du litige ayant fait l'objet d'un jugement au premier degré,
comme les Cours d'Appel, forment les juridictions du second degré.
Les juridictions du premier degré
Elles se composent des juridictions civiles et des
juridictions pénales.
Les juridictions civiles
L'expression « Juridictions civiles » est
très compréhensible, dans la mesure où elle englobe tous
les Tribunaux qui reçoivent compétence pour examiner et
régler les différends intéressant une personne
privée (physique ou morale), qu'il s'agisse de la défense de son
statut familial, de la défense de son patrimoine ou de ses droits moraux
ou patrimoniaux : on peut donner comme exemple les procès relatifs
à la séparation de corps ou au divorce, à la vente ou au
bail d'un immeuble, au règlement d'une succession, aux
difficultés résultant d'un contrat de travail. Ce sont les
juridictions de la société civile qui reçoivent des
attributions en matière de droit privé, le droit public relevant
des juridictions de l'ordre administratif.1
_______________________
1- Jean Vincent et Alii, « Les
institutions judiciaires », Paris, Dalloz, 5e
édition, 1999, p. 307
Les juridictions civiles haïtiennes sont formées
par les Tribunaux de paix et les Tribunaux de première instance.
Les Tribunaux de Paix
A la base de l'organisation judiciaire haïtienne, on
retrouve les Tribunaux de paix. Il y en a au moins un dans presque chaque
commune de la République. Le juge de paix est avant tout un juge
conciliateur dont la mission essentielle serait d'amener les parties qui
comparaissent devant lui à trouver un arrangement pour éteindre
le conflit qui les oppose.
Jean Vincent nous renseigne sur la mission conciliatrice qui a
toujours été la sienne assigné à la justice de
paix :
« On avait fondé de grands espoirs, au
moment de la Révolution (française), sur la place que devait
tenir une tentative de conciliation, avant l'ouverture d'un procès. On
avait donc institué un préliminaire de conciliation obligatoire
pour les affaires relevant au fond du juge de paix et du tribunal civil ;
dans les deux cas, c'était le juge de paix qui avait reçu la
mission de concilier les plaideurs. »1
Les articles 81 à 91 du décret du 22 août
1995 modifiant la loi du 18 septembre 1985 relative à l'Organisation
judiciaire déterminent la compétence de ces Tribunaux.
En matière civile ou commerciale, les Juges de paix
connaissent, en dernier ressort, de toutes actions personnelles ou
immobilières jusqu'à la valeur de cinq mille gourdes et, à
charge d'appel, de toutes celles ne dépassant vingt-cinq mille
gourdes.
Ils reçoivent également les
délibérations des conseils de famille, le serment des tuteurs,
subrogés tuteurs, curateurs et arbitres. Ils procèdent à
l'apposition des scellés dans les cas prévus
_______________________
1- Jean Vincent et Alii, Ibid p. 329
par la loi. Ils dressent tous procès-verbaux ayant pour
but de constater la perte, l'avarie des marchandises ou de tous autres faits
résultant de force majeur.
A charge d'appel, ils connaissent :
a) des déplacements de bornes, des entreprises sur les
cours d'eau commises dans l'année, des complaintes et autres
actions possessoires fondées sur les faits également commis dans
l'année ;
b) des congés ;
c) des demandes en résiliation de baux fondées
soit sur le défaut de paiement des loyers et fermages, soit sur
l'insuffisance des meubles garnissant la maison ou des bestiaux et ustensiles
nécessaires à l'exploitation ;
d) des expulsions des lieux en matière de
loyers ;
e) des demandes en validité et en nullité ou
main levée de saisies.
Les Tribunaux de Première Instance
Il existe dix huit Tribunaux de première instance
répartis à travers les dix départements de la
République. Ils fonctionnent dans les villes suivantes :
Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Cayes, Gonaïves, Jacmel, Saint-Marc,
Petit-Goâve, Jérémie, Anse-à-Veau, Aquin,
Fort-Liberté, Hinche, Mirebalais, Grande-Rivière du Nord,
Port-de-Paix, Côteaux, Croix-des-Bouquets et Miragoâne.
Ces Tribunaux de droit commun connaissent de tous les
procès qui n'ont pas été expressément
attribué à une autre juridiction. De plus, ils possèdent
une compétence exclusive dans certains domaines.
A côté de leur compétence d'attribution,
ils possèdent aussi une compétence territoriale. L'affaire est
portée en principe devant le tribunal de première instance du
lieu où demeure le demandeur.
Compétents pour juger et trancher les affaires civiles,
les Tribunaux de première instance peuvent également avoir pour
fonction de sanctionner le trouble à l'ordre social, résultant de
la violation des clauses de la loi pénale. Dans ce cas, on parlera de
juridictions pénales.
Les Juridictions Pénales
A la différence de la procédure civile qui ne
connaît que deux composantes des règles de compétences, la
procédure pénale en retient trois. A côté de la
gravité des faits délictueux, ainsi que la localisation
géographique de l'infraction. Certaines caractéristiques
personnelles du délinquant permettent également de
déterminer la juridiction compétente pour juger une
infraction.
Pour la commodité de notre analyse, nous allons,
à cette phase, privilégier le degré de gravité.
L'article premier du Code Pénal classe les infractions
en contraventions, délits et crimes. Conséquemment des
juridictions distinctes sont établies par la Loi pour juger ces
infractions suivant leur degré de gravité. Autrement dit, en
matière pénale, le tribunal compétent peut
être : le Tribunal de simple police, le Tribunal correctionnel ou le
Tribunal criminel.
Le premier juge les contraventions, le deuxième les
délits et le troisième les crimes. Nous allons consacrer un bref
développement à chacun d'eux.
Le Tribunal de Simple Police
Le Tribunal de simple police n'est pas autre chose que le
Tribunal de paix siégeant en matière répressive. Cette
juridiction est chargée de juger les contraventions. Sa
compétence est limitée à la juridiction dans laquelle il
exerce.
Officier de police judiciaire, Auxiliaire du Commissaire du
Gouvernement, le juge de paix a le devoir de rédiger les
procès-verbaux relatifs aux contraventions, délits et crimes dont
il a connaissance et de transmettre les informations au parquet.
L'article 11 du C.I.C. décide que :
« Les juges de paix ou leurs suppléants,
dans l'étendue de leurs communes, rechercheront les crimes, les
délits et les contraventions ; ils recevront les rapports,
dénonciations et plaintes qui y sont
relatifs. »1
Le Tribunal Correctionnel
Si les appels des jugements des Tribunaux de simple police
sont portés devant les Tribunaux correctionnel (juridictions du
second degré), ces dernières juridictions sont avant tout
compétentes pour connaître et juger les infractions
qualifiées « délits ».
La compétence de ce tribunal est fixée par
l'article 155 du C.I.C. :
« Les Tribunaux civils connaîtront, sous
le titre de tribunaux correctionnels, de tous les délits dont la
connaissance n'est pas attribuée aux tribunaux de simple police et qui
ne seraient pas de nature à entraîner une peine afflictive et
infamante ».2
Le tribunal est saisi, en matière correctionnelle, de
la connaissance des délits de sa compétence, soit par le renvoi
qui lui en est fait par le juge d'instruction, soit par la citation
donnée directement aux prévenus et aux personnes civilement
responsables du délit, par la partie civile ou par le Commissaire du
gouvernement.
________________________
1-Menan Pierre-Louis, « Code
d'Instruction criminelle annoté », p. 13
2- Op. cit. p. 50
Au Tribunal correctionnel, les étapes de l'audience et
du jugement sont codifiées dans le C.I.C. Voici le libellé de
l'article 166 :
« L'instruction sera publique, à peine de
nullité.
Le ministère public, la partie civile ou son
défenseur exposeront l'affaire ;
Les procès-verbaux ou rapports, s'il en a
été dressé, seront lus par le greffier ;
Les témoins pour et contre seront entendus, sil y a
lieu et les reproches proposés et jugés ;
Les pièces pouvant servir à conviction ou
à décharge seront représentées aux témoins
et aux parties ;
Le prévenu sera interrogé ;
Le prévenu et les personnes civilement responsables
proposeront leurs défenses ;
Le commissaire du gouvernement donnera ses
conclusions ;
Le prévenu et les personnes civilement responsables
du délit auront toujours la parole en dernier ;
Le jugement sera prononcé de suite ou au plus tard,
à l'audience qui suivra celle où l'instruction aura
été terminée. »
Le Tribunal Criminel
Si les contraventions et les délits sont respectivement
jugés par les Tribunaux de simple police et les Tribunaux
correctionnels, les crimes sont de la compétence du Tribunal
criminel.
L'article 180 du C.I.C. prévoit :
« Il sera établit des tribunaux criminels
dans toutes les villes où il y aura des tribunaux
civils. »1
Ce Tribunal n'est pas permanent, mais tient ses assises
(d'où son autre appellation Cour d'Assises) de façon
périodique. Le C.I.C. décide en son article 182 que :
« Il y aura une session criminelle au moins tous
les six mois pour les affaires relevant du jury ; mais les affaires qui
doivent être soumises au tribunal criminel siégeant sans
l'assistance du jury
________________________
1- Menan Pierre-Louis, idem. p. 62
seront appelées au jour fixé par ordonnance
du doyen. »1
La composition de ce Tribunal est mixte : pour juger les
infractions les plus graves, cette juridiction associe de simples citoyens, les
jurés aux magistrats professionnels.2 La procédure qui
y est employée est plus solennelle. Cette solennité s'explique
sans doute par la gravité des intérêts en cause.
Les Juridictions du Second Degré
Elles sont établies par la Loi pour éviter des
abus en permettant à un plaideur mécontent d'exercer une voie de
recours et de bénéficier d'un second examen de son affaire par un
autre tribunal. D'ailleurs cette garantie est l'une des conditions
nécessaire à une bonne justice.
Chez nous, quand on parle de juridictions du second
degré, il s'agit naturellement des
Cours d'Appel et des Tribunaux de première instance ou correctionnels
quand ils jugent les appels des tribunaux de paix ou de simple police.
Les Cours d'Appel
Tout plaideur qui a succombé en première
instance peut obtenir, sous certaines conditions, que le litige soit
jugé une nouvelle fois, en droit et en fait, par une juridiction de
degré supérieur dans le ressort de laquelle se trouve le tribunal
qui a statué. Cette juridiction est saisie du litige par l'effet
dévolutif de la voie de recours, l'appel, exercée à
l'encontre du jugement querellé.
Il existe cinq Cours d'Appel. Elles sont instituées
à Port-au-Prince, au Cap-Haïtien, à Hinche, aux
Gonaïves et aux Cayes. Ces cinq Cours se répartissent l'appel des
jugements rendus par les dix-huit tribunaux de première instance, sur la
base de leur compétence territoriale. En effet, l'appel doit être
porté devant la Cour du siège des tribunaux de son ressort.
_______________________
1-Menan Pierre-Louis, ibid. p. 63
2-Il existe des affaires qui doivent être
soumises au tribunal criminel siégeant sans assistance du jury. Elles
seront
Ainsi, la Cour d'Appel de Port-au-Prince a juridiction sur les
tribunaux de première instance de : Port-au-Prince,
Petit-Goâve et Jacmel et Croix-des-Bouquets ;
La Cour d'Appel du Cap-Haïtien a juridiction sur les
tribunaux de première instance de : Cap-Haïtien,
Fort-Liberté et Grande-Rivière du Nord ;
La Cour d'Appel de Hinche a juridiction sur les tribunaux de
première instance de : Hinche et Mirebalais ;
La Cour d'Appel des Gonaïves a juridiction sur les
tribunaux de première instance de : Gonaïves, Saint-Marc et
Port-de-Paix ;
La Cour d'Appel des Cayes a juridiction sur les tribunaux de
première instance de : Cayes, Aquin, Côteaux,
Jérémie, Anse-à-Veau et Miragoâne;
Les Cours d'Appel se composent généralement de
deux sections, l'une civile et l'autre pénale. Ces deux sections se
répartissent les affaires.
Les Tribunaux de Première Instance (ou
correctionnels)
Comme nous l'avons déjà vu, les Tribunaux de
Première Instance (correctionnels au pénal) principalement
juridictions de premier degré, sont également juridiction du
second degré quand ils jouent le rôle de juridictions d'appel
vis-à-vis des Tribunaux de paix (ou de simple police au
pénal).
Ces dispositions se trouvent consignées dans deux
textes importants : l'article 150 du C.I.C. et l'article 94 du
décret du 22 août relatif à l'Organisation judiciaire.
Vu leur importance, nous prenons la liberté de
reproduire textuellement ces deux articles.
_________________________________
appelées et jugées au jour fixé par
ordonnance du doyen. L'article 313 du C.I.C. en présente la liste :
fausses monnaies, contrefaçon, de sceau, de timbres et marques ;
vols emportant une peine afflictive ou infâmante ; incendies.
« L'appel des jugements rendus par le tribunal
de simple police sera porté au tribunal correctionnel.
Cet appel sera interjeté dans les dix jours francs
de la signification de la sentence à personne ou à
domicile ; il sera suivi et jugé dans la même forme que les
appels des sentences des justices de paix. » (C.I.C., article
150)
« Les tribunaux de première instance ont
plénitude de juridiction pour toutes affaires civiles, commerciales,
maritimes et criminelles. Ils connaissent aussi des sentences des justices de
paix dans les cas déterminés par la loi. »
(Décret du 22 août 1995 sur
L'organisation judiciaire, article 94, alinéa 2)
La Cour de Cassation
Originalité
Enfin, au sommet de la pyramide judiciaire haïtienne se
trouve la Cour de Cassation. Elle est dans l'ordre judiciaire haïtien la
clef de voûte de l'organisation, le sommet de la hiérarchie. Mais
à propos de notre « Cour suprême »,
quelques précisions s'imposent :
a) La Cour de Cassation n'est pas un troisième
degré de juridiction ;
b) Elle ne connaît le fond des affaires. Elle ne juge
qu'en droit et veille à ce que le droit soit bien appliqué. Pour
cela, elle s'assure que le tribunal ayant jugé était
compétent et qu'il n'y a pas eu violation de la procédure et de
la loi.
Néanmoins, précise l'article 135 du
décret du 22 août 1995, en toutes matières autres que
celles qui sont soumises au jury, lorsque sur un second recours, même les
parties, la Cour de Cassation, admettant le pourvoi, ne prononce pas de renvoi
et statue sur le fond, sections réunies. Dans ce cas, la Cour
siège avec une majorité.
La Cour de Cassation, juge du jugement a deux
possibilité : soit elle casse le jugement et l'affaire sera
rejugée ; soit qu'elle rejette le pourvoi et la décision
attaquée acquiert autorité de la chose jugée et s'impose
aux parties.
Principales Attributions
Les attributions de la Cour de Cassation sont fixées
par le décret du 22 août 1995 sur l'Organisation judiciaire, en
son article 138.
En sa compétence ordinaire, elle connaît suivant
la distribution qui en est faite par le Président :
a) Des pourvois formés contre les ordonnances de
référé, les arrêts des Cours d'Appel et les
jugements rendus en toutes matières, en dernier ressort par les
tribunaux de première instance en leurs attributions d'appel des
sentences de justice de paix.
b) Des pourvois exercés contre les décisions
rendues en dernier ressort par les juges de paix, en toute matière, sans
que ces pourvois puissent être fondés sur aucune autre cause que
l'incompétence ou l'excès de pouvoir.
c) Des demandes en Cassation fondées sur la
contrariété des jugements ou arrêts rendus dans une
même affaire entre les mêmes parties en différents Tribunaux
de première instance ou Cours d'Appel.
d) Des demandes en règlements, de jugements en
matière civile ou criminelle, quand les tribunaux ne relèvent pas
de la même Cour d'Appel ou celles en renvoi d'un tribunal à un
autre pour cause de sûreté publique ou de suspicion
légitime, d'après les règles établies par le code
de procédure civile ou par le Code d'Instruction criminelle.
e) Des plaintes ou dénonciations contre les juges des
divers Tribunaux et Cours d'Appel ou contre les Officiers du Ministère
public pour crime ou délit commis par eux dans l'exercice ou hors de
l'exercice de leurs fonctions, conformément au Code d'Instruction
Criminelle.
f) Des réquisitions du Commissaire du Gouvernement sur
l'ordre exprès du Ministère de la Justice ou d'office pour faire
annuler, conformément aux articles 341 et 432 du C.I.C., les actes
judiciaires ou les jugements contraires à la loi.
g) Des demandes en prise à partie contre les juges des
Cours et Tribunaux, les officiers du ministère public, les arbitres
jugeant en matière d'arbitrage forcé dans le cas et suivant les
formes prévues par le Code de Procédure Civile.
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