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Le système judiciaire en Haiti et les obstacles qui paralysent son développement

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par Gina BOURGEOT
Universite d'Etat Haiti (Faculte de Droit et des Sciences Economiques de Port-au-Prince) - Licence en Droit 2001
  

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Chapitre I

Les Organes Juridictionnels

Le terme de « juridiction » est générique. Les juridictions sont appelées, le plus souvent, au premier degré de juridiction, « tribunal » (tribunal de première instance) et aux échelons supérieurs « cour » (cour d'appel). Ces différentes terminologies ont leur prolongement dans le nom porté par les actes juridictionnels. Les Tribunaux rendent des « jugements » et les Cours des « arrêts ».

Pour rendre compte des Organes juridictionnels de l'Organisation judiciaire haïtienne, nous étudierons successivement les Juridictions de droit commun (Section I) et les Juridictions spécialisées (Section II).

Section I

Les Juridictions de Droit Commun

Ancienne colonie française, Haïti, même après l'indépendance conquise en 1804, est restée profondément attachée à la France. Le nouvel État a gardé non seulement la langue mais aussi la culture juridique de l'ancienne Métropole. Le Législateur haïtien a repris le principe de la double juridiction. Ainsi les tribunaux sont-ils organisés en deux degrés de juridictions. Les tribunaux qui rendent des jugements, obligatoirement saisis en première instance, forment les juridictions du premier degré. Les instances qui rendent des arrêts, après avoir procédé à un nouvel examen du litige ayant fait l'objet d'un jugement au premier degré, comme les Cours d'Appel, forment les juridictions du second degré.

Les juridictions du premier degré

Elles se composent des juridictions civiles et des juridictions pénales.

Les juridictions civiles

L'expression « Juridictions civiles » est très compréhensible, dans la mesure où elle englobe tous les Tribunaux qui reçoivent compétence pour examiner et régler les différends intéressant une personne privée (physique ou morale), qu'il s'agisse de la défense de son statut familial, de la défense de son patrimoine ou de ses droits moraux ou patrimoniaux : on peut donner comme exemple les procès relatifs à la séparation de corps ou au divorce, à la vente ou au bail d'un immeuble, au règlement d'une succession, aux difficultés résultant d'un contrat de travail. Ce sont les juridictions de la société civile qui reçoivent des attributions en matière de droit privé, le droit public relevant des juridictions de l'ordre administratif.1

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1- Jean Vincent et Alii, « Les institutions judiciaires », Paris, Dalloz, 5e édition, 1999, p. 307

Les juridictions civiles haïtiennes sont formées par les Tribunaux de paix et les Tribunaux de première instance.

Les Tribunaux de Paix

A la base de l'organisation judiciaire haïtienne, on retrouve les Tribunaux de paix. Il y en a au moins un dans presque chaque commune de la République. Le juge de paix est avant tout un juge conciliateur dont la mission essentielle serait d'amener les parties qui comparaissent devant lui à trouver un arrangement pour éteindre le conflit qui les oppose.

Jean Vincent nous renseigne sur la mission conciliatrice qui a toujours été la sienne assigné à la justice de paix :

« On avait fondé de grands espoirs, au moment de la Révolution (française), sur la place que devait tenir une tentative de conciliation, avant l'ouverture d'un procès. On avait donc institué un préliminaire de conciliation obligatoire pour les affaires relevant au fond du juge de paix et du tribunal civil ; dans les deux cas, c'était le juge de paix qui avait reçu la mission de concilier les plaideurs. »1

Les articles 81 à 91 du décret du 22 août 1995 modifiant la loi du 18 septembre 1985 relative à l'Organisation judiciaire déterminent la compétence de ces Tribunaux.

En matière civile ou commerciale, les Juges de paix connaissent, en dernier ressort, de toutes actions personnelles ou immobilières jusqu'à la valeur de cinq mille gourdes et, à charge d'appel, de toutes celles ne dépassant vingt-cinq mille gourdes.

Ils reçoivent également les délibérations des conseils de famille, le serment des tuteurs, subrogés tuteurs, curateurs et arbitres. Ils procèdent à l'apposition des scellés dans les cas prévus

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1- Jean Vincent et Alii, Ibid p. 329

par la loi. Ils dressent tous procès-verbaux ayant pour but de constater la perte, l'avarie des marchandises ou de tous autres faits résultant de force majeur.

A charge d'appel, ils connaissent :

a) des déplacements de bornes, des entreprises sur les cours d'eau commises dans l'année, des complaintes et autres actions possessoires fondées sur les faits également commis dans l'année ;

b) des congés ; 

c) des demandes en résiliation de baux fondées soit sur le défaut de paiement des loyers et fermages, soit sur l'insuffisance des meubles garnissant la maison ou des bestiaux et ustensiles nécessaires à l'exploitation ;

d) des expulsions des lieux en matière de loyers ;

e) des demandes en validité et en nullité ou main levée de saisies.

Les Tribunaux de Première Instance

Il existe dix huit Tribunaux de première instance répartis à travers les dix départements de la République. Ils fonctionnent dans les villes suivantes : Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Cayes, Gonaïves, Jacmel, Saint-Marc, Petit-Goâve, Jérémie, Anse-à-Veau, Aquin, Fort-Liberté, Hinche, Mirebalais, Grande-Rivière du Nord, Port-de-Paix, Côteaux, Croix-des-Bouquets et Miragoâne.

Ces Tribunaux de droit commun connaissent de tous les procès qui n'ont pas été expressément attribué à une autre juridiction. De plus, ils possèdent une compétence exclusive dans certains domaines.

A côté de leur compétence d'attribution, ils possèdent aussi une compétence territoriale. L'affaire est portée en principe devant le tribunal de première instance du lieu où demeure le demandeur.

Compétents pour juger et trancher les affaires civiles, les Tribunaux de première instance peuvent également avoir pour fonction de sanctionner le trouble à l'ordre social, résultant de la violation des clauses de la loi pénale. Dans ce cas, on parlera de juridictions pénales.

Les Juridictions Pénales

A la différence de la procédure civile qui ne connaît que deux composantes des règles de compétences, la procédure pénale en retient trois. A côté de la gravité des faits délictueux, ainsi que la localisation géographique de l'infraction. Certaines caractéristiques personnelles du délinquant permettent également de déterminer la juridiction compétente pour juger une infraction.

Pour la commodité de notre analyse, nous allons, à cette phase, privilégier le degré de gravité.

L'article premier du Code Pénal classe les infractions en contraventions, délits et crimes. Conséquemment des juridictions distinctes sont établies par la Loi pour juger ces infractions suivant leur degré de gravité. Autrement dit, en matière pénale, le tribunal compétent peut être : le Tribunal de simple police, le Tribunal correctionnel ou le Tribunal criminel.

Le premier juge les contraventions, le deuxième les délits et le troisième les crimes. Nous allons consacrer un bref développement à chacun d'eux.

Le Tribunal de Simple Police

Le Tribunal de simple police n'est pas autre chose que le Tribunal de paix siégeant en matière répressive. Cette juridiction est chargée de juger les contraventions. Sa compétence est limitée à la juridiction dans laquelle il exerce.

Officier de police judiciaire, Auxiliaire du Commissaire du Gouvernement, le juge de paix a le devoir de rédiger les procès-verbaux relatifs aux contraventions, délits et crimes dont il a connaissance et de transmettre les informations au parquet.

L'article 11 du C.I.C. décide que :

« Les juges de paix ou leurs suppléants, dans l'étendue de leurs communes, rechercheront les crimes, les délits et les contraventions ; ils recevront les rapports, dénonciations et plaintes qui y sont relatifs. »1

Le Tribunal Correctionnel

Si les appels des jugements des Tribunaux de simple police sont portés devant les Tribunaux correctionnel (juridictions du second degré), ces dernières juridictions sont avant tout compétentes pour connaître et juger les infractions qualifiées « délits ».

La compétence de ce tribunal est fixée par l'article 155 du C.I.C. :

« Les Tribunaux civils connaîtront, sous le titre de tribunaux correctionnels, de tous les délits dont la connaissance n'est pas attribuée aux tribunaux de simple police et qui ne seraient pas de nature à entraîner une peine afflictive et infamante ».2

Le tribunal est saisi, en matière correctionnelle, de la connaissance des délits de sa compétence, soit par le renvoi qui lui en est fait par le juge d'instruction, soit par la citation donnée directement aux prévenus et aux personnes civilement responsables du délit, par la partie civile ou par le Commissaire du gouvernement.

________________________

1-Menan Pierre-Louis, « Code d'Instruction criminelle annoté », p. 13

2- Op. cit. p. 50

Au Tribunal correctionnel, les étapes de l'audience et du jugement sont codifiées dans le C.I.C. Voici le libellé de l'article 166 :

« L'instruction sera publique, à peine de nullité.

Le ministère public, la partie civile ou son défenseur exposeront l'affaire ;

Les procès-verbaux ou rapports, s'il en a été dressé, seront lus par le greffier ;

Les témoins pour et contre seront entendus, sil y a lieu et les reproches proposés et jugés ;

Les pièces pouvant servir à conviction ou à décharge seront représentées aux témoins et aux parties ;

Le prévenu sera interrogé ;

Le prévenu et les personnes civilement responsables proposeront leurs défenses ;

Le commissaire du gouvernement donnera ses conclusions ;

Le prévenu et les personnes civilement responsables du délit auront toujours la parole en dernier ;

Le jugement sera prononcé de suite ou au plus tard, à l'audience qui suivra celle où l'instruction aura été terminée. »

Le Tribunal Criminel

Si les contraventions et les délits sont respectivement jugés par les Tribunaux de simple police et les Tribunaux correctionnels, les crimes sont de la compétence du Tribunal criminel.

L'article 180 du C.I.C. prévoit :

« Il sera établit des tribunaux criminels dans toutes les villes où il y aura des tribunaux civils. »1

Ce Tribunal n'est pas permanent, mais tient ses assises (d'où son autre appellation Cour d'Assises) de façon périodique. Le C.I.C. décide en son article 182 que :

« Il y aura une session criminelle au moins tous les six mois pour les affaires relevant du jury ; mais les affaires qui doivent être soumises au tribunal criminel siégeant sans l'assistance du jury

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1- Menan Pierre-Louis, idem. p. 62

seront appelées au jour fixé par ordonnance du doyen. »1

La composition de ce Tribunal est mixte : pour juger les infractions les plus graves, cette juridiction associe de simples citoyens, les jurés aux magistrats professionnels.2 La procédure qui y est employée est plus solennelle. Cette solennité s'explique sans doute par la gravité des intérêts en cause.

Les Juridictions du Second Degré

Elles sont établies par la Loi pour éviter des abus en permettant à un plaideur mécontent d'exercer une voie de recours et de bénéficier d'un second examen de son affaire par un autre tribunal. D'ailleurs cette garantie est l'une des conditions nécessaire à une bonne justice.

Chez nous, quand on parle de juridictions du second degré, il s'agit naturellement des Cours d'Appel et des Tribunaux de première instance ou correctionnels quand ils jugent les appels des tribunaux de paix ou de simple police.

Les Cours d'Appel

Tout plaideur qui a succombé en première instance peut obtenir, sous certaines conditions, que le litige soit jugé une nouvelle fois, en droit et en fait, par une juridiction de degré supérieur dans le ressort de laquelle se trouve le tribunal qui a statué. Cette juridiction est saisie du litige par l'effet dévolutif de la voie de recours, l'appel, exercée à l'encontre du jugement querellé.

Il existe cinq Cours d'Appel. Elles sont instituées à Port-au-Prince, au Cap-Haïtien, à Hinche, aux Gonaïves et aux Cayes. Ces cinq Cours se répartissent l'appel des jugements rendus par les dix-huit tribunaux de première instance, sur la base de leur compétence territoriale. En effet, l'appel doit être porté devant la Cour du siège des tribunaux de son ressort.

_______________________

1-Menan Pierre-Louis, ibid. p. 63

2-Il existe des affaires qui doivent être soumises au tribunal criminel siégeant sans assistance du jury. Elles seront

Ainsi, la Cour d'Appel de Port-au-Prince a juridiction sur les tribunaux de première instance de : Port-au-Prince, Petit-Goâve et Jacmel et Croix-des-Bouquets ;

La Cour d'Appel du Cap-Haïtien a juridiction sur les tribunaux de première instance de : Cap-Haïtien, Fort-Liberté et Grande-Rivière du Nord ;

La Cour d'Appel de Hinche a juridiction sur les tribunaux de première instance de : Hinche et Mirebalais ;

La Cour d'Appel des Gonaïves a juridiction sur les tribunaux de première instance de : Gonaïves, Saint-Marc et Port-de-Paix ;

La Cour d'Appel des Cayes a juridiction sur les tribunaux de première instance de : Cayes, Aquin, Côteaux, Jérémie, Anse-à-Veau et Miragoâne;

Les Cours d'Appel se composent généralement de deux sections, l'une civile et l'autre pénale. Ces deux sections se répartissent les affaires.

Les Tribunaux de Première Instance (ou correctionnels)

Comme nous l'avons déjà vu, les Tribunaux de Première Instance (correctionnels au pénal) principalement juridictions de premier degré, sont également juridiction du second degré quand ils jouent le rôle de juridictions d'appel vis-à-vis des Tribunaux de paix (ou de simple police au pénal).

Ces dispositions se trouvent consignées dans deux textes importants : l'article 150 du C.I.C. et l'article 94 du décret du 22 août relatif à l'Organisation judiciaire.

Vu leur importance, nous prenons la liberté de reproduire textuellement ces deux articles.

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appelées et jugées au jour fixé par ordonnance du doyen. L'article 313 du C.I.C. en présente la liste : fausses monnaies, contrefaçon, de sceau, de timbres et marques ; vols emportant une peine afflictive ou infâmante ; incendies.

« L'appel des jugements rendus par le tribunal de simple police sera porté au tribunal correctionnel.

Cet appel sera interjeté dans les dix jours francs de la signification de la sentence à personne ou à domicile ; il sera suivi et jugé dans la même forme que les appels des sentences des justices de paix. » (C.I.C., article 150)

« Les tribunaux de première instance ont plénitude de juridiction pour toutes affaires civiles, commerciales, maritimes et criminelles. Ils connaissent aussi des sentences des justices de paix dans les cas déterminés par la loi. »

(Décret du 22 août 1995 sur

L'organisation judiciaire, article 94, alinéa 2)

La Cour de Cassation

Originalité

Enfin, au sommet de la pyramide judiciaire haïtienne se trouve la Cour de Cassation. Elle est dans l'ordre judiciaire haïtien la clef de voûte de l'organisation, le sommet de la hiérarchie. Mais à propos de notre « Cour suprême », quelques précisions s'imposent :

a) La Cour de Cassation n'est pas un troisième degré de juridiction ;

b) Elle ne connaît le fond des affaires. Elle ne juge qu'en droit et veille à ce que le droit soit bien appliqué. Pour cela, elle s'assure que le tribunal ayant jugé était compétent et qu'il n'y a pas eu violation de la procédure et de la loi.

Néanmoins, précise l'article 135 du décret du 22 août 1995, en toutes matières autres que celles qui sont soumises au jury, lorsque sur un second recours, même les parties, la Cour de Cassation, admettant le pourvoi, ne prononce pas de renvoi et statue sur le fond, sections réunies. Dans ce cas, la Cour siège avec une majorité.

La Cour de Cassation, juge du jugement a deux possibilité : soit elle casse le jugement et l'affaire sera rejugée ; soit qu'elle rejette le pourvoi et la décision attaquée acquiert autorité de la chose jugée et s'impose aux parties.

Principales Attributions

Les attributions de la Cour de Cassation sont fixées par le décret du 22 août 1995 sur l'Organisation judiciaire, en son article 138.

En sa compétence ordinaire, elle connaît suivant la distribution qui en est faite par le Président :

a) Des pourvois formés contre les ordonnances de référé, les arrêts des Cours d'Appel et les jugements rendus en toutes matières, en dernier ressort par les tribunaux de première instance en leurs attributions d'appel des sentences de justice de paix.

b) Des pourvois exercés contre les décisions rendues en dernier ressort par les juges de paix, en toute matière, sans que ces pourvois puissent être fondés sur aucune autre cause que l'incompétence ou l'excès de pouvoir.

c) Des demandes en Cassation fondées sur la contrariété des jugements ou arrêts rendus dans une même affaire entre les mêmes parties en différents Tribunaux de première instance ou Cours d'Appel.

d) Des demandes en règlements, de jugements en matière civile ou criminelle, quand les tribunaux ne relèvent pas de la même Cour d'Appel ou celles en renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime, d'après les règles établies par le code de procédure civile ou par le Code d'Instruction criminelle.

e) Des plaintes ou dénonciations contre les juges des divers Tribunaux et Cours d'Appel ou contre les Officiers du Ministère public pour crime ou délit commis par eux dans l'exercice ou hors de l'exercice de leurs fonctions, conformément au Code d'Instruction Criminelle.

f) Des réquisitions du Commissaire du Gouvernement sur l'ordre exprès du Ministère de la Justice ou d'office pour faire annuler, conformément aux articles 341 et 432 du C.I.C., les actes judiciaires ou les jugements contraires à la loi.

g) Des demandes en prise à partie contre les juges des Cours et Tribunaux, les officiers du ministère public, les arbitres jugeant en matière d'arbitrage forcé dans le cas et suivant les formes prévues par le Code de Procédure Civile.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera