§ 2. L'exploitation commune des ressources
pétroli~res transfrontali~res : du régionalisme maritime à
l'essor des zones de développement conjoint
« Si, par sa nature même, la mer est un espace
ou un environnement indivis, alors il faut admettre que ce ne seront pas en
réalité toutes ces lignes géographiques,
géométriques, géodésiques, bathymétriques ou
autres qui, projetées vers le large ou dans le fond marin, viendront
à bout de son homogénéité naturelle.
»25. Ceci pour souligner la donne qui est la tendance à
la coopération dans le domaine maritime. Que cela soit sur le plan de
l'exploitation des ressources, de la protection des espaces, de la mise en
oeuvre des services maritimes ou encore de la réalisation d'enjeux
géostratégiques. C'est du reste cette pratique que la Convention
de Montego Bay de 1982 assoit comme principe en son article 276. En
matière d'exploitation des ressources, elle pose le principe que «
l'État côtiers et les organisations internationales
compétentes, sous-régionales, régionales ou mondiales
coopèrent »26en vue de conserver les ressources et
de les exploiter27.
Cela mène donc à un « régionalisme
maritime »28c'est-à-dire un « ensemble de
liens qui existent entre des États riverains d'un même espace
maritime et qui les conduisent parfois à adopter entre eux des
règles particulières applicables uniquement à l'espace
considéré »29qui par la coopération
peut mener les États côtiers du Golfe de Guinée à
adopter une zone de développement conjoint comme solution à leur
différends frontaliers maritimes dus à l'exploitation des
ressources pétrolières. Les fondements du régionalisme
maritime sont posés par la CMB comme nous l'évoquions
tantôt. Quant à la zone de développement conjoint, elle
s'avère nécessaire lorsque la ressource à exploiter
appartient, en raison de la structure physique, à deux ou plusieurs
États en même temps. La zone de développement conjoint peut
s'entendre selon l'Institut britannique de droit international et
comparé, un espace maritime où les ressources à exploiter
portent exclusivement sur le pétrole et le gaz présents dans le
plateau continental que deux États voisins s'accordent à
développer et partager30.
25 Y. CISSE, op. cit., p. 249.
26 Convention de Montego Bay de 1982, art 61.
27 Y. CISSE,Op. cit., p. 249.
28 Id . , p. 252.
29 J.P. QUENEUDEC, « Les tendances régionales
dans le droit de la mer », dans Colloque de Bordeaux :
régionalisme et universalisme dans le droit de international
contemporain contemporain, Paris, A. Pédone, 1977, p. 260.
30 H. FOX et autres, « Joint Development of
Offshore Oil and Gas », British Institute of International and
comparative Law, London, 1989, p. 45.
Pour Yacouba CISSE, la zone de développement conjoint
ne concerne pas que les ressources pétrolières et
gazières, elle correspond à un << système
d'exploration et d'exploitation des ressources maritimes vivantes et non
vivantes se trouvant dans le plateau continental et dans la zone
économique exclusive de deux ou plusieurs États côtiers
»31
Dans tous les cas, les deux définitions ont entre
autres en commun de traiter des ressources pétrolières, bien que
la seconde définition soit plus globalisante. C'est avec
l'avènement de la zone économique exclusive qu'on commence
à assister à une exploitation commune des ressources, ainsi la
zone de développement conjoint est devenue avec l'évolution du
droit de la mer un espace à usages divers. On peut observer que si la
ZDC souvent qualifier de Zone d'intérêt commun (ZIC) ne figure pas
la lettre de la Convention de 1982, elle ressort dans son esprit via les
articles 74 et 83 qui posent comme principe l'arrangement provisoire en
attendant que soit définitivement réglée la
délimitation entre les États concernés. Pourtant ce qui
peut être sous-entendu dans cet << arrangement provisoire »
est une coopération entre États.
Ce concept de zone de développement conjoint s'applique
en cas d'unité de gisement ou lorsque le site pétrolier chevauche
la frontière maritime de deux ou plusieurs États
côtiers32Dans ce cas de figure, l'accord des parties pendra
des formes variantes, en ce qui concerne la souveraineté et
l'administration du champ pétrolier ; par exemple, elles peuvent
décider de répartir les bénéfices ou les revenus de
manière égale tout en mettant le champ pétrolier sous
l'administration et la souveraineté d'un seul Etat33.
Le différend frontalier opposant la République
Démocratique du Congo à l'Angola est un bon exemple de
coopération en droit de la mer. En effet, la République
Démocratique du Congo a déposé une requête
auprès des Nations unies aux fins d'extension de son plateau
continental. Son espace maritime se résumant à 40 km au large de
sa côte, il peut prétendre à 4000 km 2 (200 km
de long sur 20 km de large)34 Or cette zone couvre la zone
pétrolière dans laquelle l'Angola puise ses ressources. Le but de
cette entre par le Congo est de contrôler une partie des gisements de
pétrole de deux blocs offshore exploités par des multinationales
pour le compte de l'Angola (ESSO, ENI, STATIOL...). L'estimation des
réserves se chiffre en milliards de barils, et vu que le Congo ne
dépasse pas les 20000 barils par jour35, il a de quoi s'y
intéresser.
Dans l'attente du verdict, les deux pays ont identifié une
ZIC, au terme d'un accord ratifié en 2008. Ce dernier prévoit le
partage à égalité de l'exploitation et des revenus par les
sociétés
31 Y. CISSE, op. cit., p. 261.
32 Y. CISSE, op. cit., p. 265.
33 Y. CISSE, op. cit., p. 266.
34
www.jeuneafrique.com/Articles/Dossiers/ARTJA20100329214601/angola-petrole-rd-congo-kinshasa-congo-angola
35 Ibid.
nationales respectives Cohydro et Sonangol, associées
et privées. Avec une longueur de 375 km et large de 10km cette zone
d'intérêt commun située en territoire angolais entre les
provinces de Cabinda et et de Soyo comporte deux parties : l'une a l'ouest se
composant de deux champs dont celui de Ngage qui fait l'objet d'un contrat de
partage de production ; l'autre à l'est, qui demeure encore
inexploitée. L'Angola a proposé au Congo des contrats de services
à risques en promettant un appui budgétaire de 600 millions de
dollars36. Pour l'heure l'accord d'exploitation commune n'est pas
encore exécuté, la constitution d'une commission technique mixte
tardant à se mettre en place et les modalités de partenariat pour
l'exploration et l'exploitation restent à clarifier. Un autre exemple
est à voir dans l'accord passé entre le Nigeria et Sao Tome et
Principe.
En effet, le Nigeria a négocié avec l'archipel
en 2001 un traité portant sur une zone de développement conjoint
ou les réserves avoisineraient les 1 milliard de barils. Sao tome
obtient 40% et le Nigeria 60 %37. L'exploitation commune des
ressources marines en général et pétrolières
précisément, à travers les zones de développement
conjoint, apparaIt à la fois comme l'aboutissement une
conséquence directe des différends frontaliers dus à
l'exploitation pétrolière ; mais aussi comme solution auxdits
différends.
Des différends frontaliers sont latents dans le Golfe
de Guinée, d'autres demeurent irrésolus comme celui entre le
Gabon et la Guinée Équatoriale. En l'espèce, il s'agIt
d'un chapelet de 3 Iles désertes dans la baie de Corisco : Mbanié
la plus grande, avec 30 hectares de superficies, Conga et Cocotiers.
Situées a une trentaine de kilomètres des côtes
continentales gabonaises et équatoguinéennes, elles enveniment
les relations entre les deux pays depuis août 1972 et l'envoi de troupes
par le défunt président gabonais Omar Bongo Ondimba pour occuper
(momentanément) les trois bandes de terre n'a pas contribué
à faire évoluer la situation. Les deux États invoquent-en
l'interprétant différemment- une convention signée entre
la France et l'Espagne en 1900 et qui délimitent leurs possessions dans
le golfe de Guinée, en même temps que les frontières entre
les deux pays, pour revendiquer leurs droits sur les Iles et les eaux
territoriales qui les entourent. Ce qui leur permettra bien sûr d'avoir
la main mise sur d'hypothétiques gisements pétroliers.
L'exploitation commune des ressources a été annoncée en
2004 par les deux pays, sans jamais voir le jour38.
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