PREMIÈRE PARTIE : L'EXPLOITATION
PÉTROLIÈRE : SOURCE DE DIFFÉRENDS FRONTALIERS
MARITIMES LIÉS À L'ABSENCE DE DÉLIMITATION DANS
LA RÉGION
« C'est toujours la même chose (...), les
conflits frontaliers interviennent toujours après les découvertes
pétrolières...»9. En d'autres termes, c'est
la course à l'appropriation et l'exploitation des gisements de la
région qui créent des différends. Mais comme nous le
verrons, c'est aussi le fait que l'appartenance des gisements ne puissent
être déterminée qui aide à l'éclosion des
litiges, vu que les gisements sont souvent transfrontaliers (chapitre I). En
outre, si les gisements sont transfrontaliers en créant des
différends par ce fait même, c'est fort de ce que des obstacles
à la délimitation se dressent dans le Golfe de Guinée
(chapitre II).
Chapitre I: Les différends frontaliers maritimes
suscités par les gisements transfrontaliers
On note une absence de frontières établies entre
États côtiers du Golfe de Guinée (section I) comme
étant la source des différends; cette absence de
frontières clairement établies n'est pas sans conséquences
sur le régime juridique desdits gisements (section II).
Section I : L'absence de frontières maritimes
définies entre États côtiers du Golfe de Guinée
L'absence de frontières clairement établies dans la
région du Golfe de Guinée, s'expliquent tant par des raisons
juridiques (§ 1) que par des raisons de circonstances (§ 2).
§ 1. Les raisons juridiques de l'absence de
frontières maritimes entre États côtiers du Golfe de
Guinée
Les raisons de droit dont il s'agit sont de deux ordres. Il
s'agit d'abord du principe de l'uti possidetis juris et notamment de
la difficulté de son applicabilité aux espaces maritimes. Il
s'agit ensuite de la nature juridique des frontières maritimes dans le
Golfe de Guinée.
a)- Le principe de l'uti possidetis juris et la
difficulté de son application aux espaces maritimes
De façon générale, « l'uti
possidetis juris (...) consiste à fixer les frontières
en fonction des anciennes limites administratives internes à un
État préexistant dont les États nouveaux accédant
à l'indépendance sont issus »10.
9
www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTAJA2567po79-083.xml2/soudan-senegal-comoresconflits-du-futur.html
10 Op. cit, D. NGUYEN QUOC, P. DAILLER, M. FORTEAU, A.
PELLET, p. 520.
Elle constitue la règle de doit international applicable
au tracé des frontières11. Elle est du reste
proclamée par la résolution 16-1 de juillet 1994 de
l'Organisation de l'unité africaine (OUA).
Pourtant, son applicabilité n'est pas aisée dans la
pratique, comme c'est le cas dans la région du Golfe de Guinée;
et ce, en raisons de la recrudescence des contestations étatiques.
L'applicabilité du principe d'uti possidetis en
mer est souvent contestée car n'ayant concerné pendant longtemps
que la délimitation terrestre, et rapproche de ce fait les deux
catégories de délimitation. Mais cette applicabilité est
d'autant plus contestée qu'elle aide au positionnement de principes
gravitant autour comme l'autodétermination et son corollaire qui est la
souveraineté permanente sur les ressources naturelles. De fait, les pays
africains, et par conséquent ceux du Golfe de Guinée, ayant
accédé à l'indépendance se trouvent en
perpétuel désaccord. Dans la pratique, les juridictions
internationales n'ont pas exclu l'application de l'uti possidetis dans
les espaces
maritimes (sentence arbitrale pour la détermination de la
frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le
Sénégal de 1989 et arrêt du différend frontalier
terrestre, insulaire et maritime entre El Salvador et le Honduras, Nicaragua
intervenant, de 1992).
Dans le Golfe de Guinée, le différend frontalier
terrestre et maritime ayant opposé le Cameroun au Nigeria sur Bakassi
est une illustration parfaite.
En effet, la presqu'île de Bakassi commande une zone
maritime par laquelle passe la frontière maritime entre le Cameroun et
le Nigeria et dont les eaux surplombent un bassin pétrolifère
connu sous le nom de Rio Del Rey. La question de la frontière à
Bakassi et de la souveraineté sur la presqu'île met en jeu des
traités anciens hérités de la période coloniale.
Par l'accord de Londres du 11 mars 1913, l'Allemagne et la Grande Bretagne
définissaient en effet l'établissement de la frontière
entre le Nigeria et le Cameroun, de Yola à la mer, en plaçant la
presqu'île en territoire allemand.
Après que le différend naquît entre les
deux États africains autour des années 1990, et qu'il fut
porté devant les instances internationales (Organisation d
l'Unité africaine et Conseil de Sécurité des Nations
Unies), la Cour internationale de justice fut saisie par requête
introductive d'instance formulée par le Cameroun le 29 mars 1994.
11 L. LOMBART , « L'Uti possidetis juris
et la mémoire des frontières en droit international », in
Centre d'Initiation à l'Enseignement Supérieur (C.I.E.S.)
Provence - Côte d'Azur- Corse, Travaux disciplinaire de la promotion
2002-2005, « Approche pluridisciplinaire du thème
"Mémoire" », 2005. p. 2.
Devant la Cour, le Cameroun soutient que le traité
anglo-allemand de Londres de 1913 déterminait le tracé de la
frontière entre le Cameroun et le Nigeria12, mettant ainsi
Bakassi du côté allemand de la séparation politique. Il
ajoute à ses prétentions que, lors des indépendances, la
ligne de 1913 aurait accédé au statut de frontière
véritable entre les deux États qui succédaient aux forces
coloniales, se trouvant ainsi liés au principe de l'uti
possidetis.
Pour sa part, le Nigeria soutient que ledit tracé est
dépourvu d'effets juridiques parce que étant en contradiction
avec le principe nemo dat quod non habet 13. Car, toujours
selon le Nigeria, la Grande Bretagne ne possédait pas le titre sur
Bakassi et donc, ne pouvait prétendre en céder la
propriété. Le Nigeria revendique une frontière à
l'est de la presqu'île, qui suit le cours du Rio Del Rey. La Cour
internationale de Justice tranchera définitivement en faveur du Cameroun
dans son arrêt rendu le 10 octobre 2002, en décidant que la
frontière à Bakassi est la ligne délimitée par les
dispositions relatives à l'accord anglo-allemand et que la
souveraineté sur la péninsule est camerounaise14. En
fait, si l'uti possidetis pour simple d'application qu'il paraît
être se révèle difficilement applicable dans la pratique
des délimitations africaines c'est bien parce que les pays africains ont
toujours en vue, une application de ce principe réservée au seul
espace terrestre, comme le souligne le juge Bedjaoui dans l'Affaire
Guinée-Bissau-Sénégal15.
L'absence de frontières clairement établies dans
le Golfe de Guinée se révèle donc tributaire de la
confrontation qui souvent existe entre l'application du principe de l'uti
possidetis et les intérêts économiques des
États côtiers qu'une application simple du principe menace selon
qu'elle profitera à tel ou tel pays dans un rapport de voisinage
interétatique.
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