Les anciennes puissances coloniales et la résolution des conflits en Afrique( Télécharger le fichier original )par Netton Prince TAWA Université de Cocody - DEA Droit Public 2006 |
CHAPITRE I : L'INFLUENCE D'UN CONCOURS DE FACTEURSSelon le Lexique des sciences sociales, le facteur est « toute cause même partielle d'un phénomène120(*) ». En d'autres termes, le facteur c'est ce qui provoque le résultat d'une action, d'une politique. Par "influence d'un concours de facteurs", nous entendons donc tous les éléments qui agissent sur l'intervention des anciennes puissances coloniales dans la résolution des conflits en Afrique, et qui occasionnent l'échec ou concourent à la réussite de cette politique. L'observation de la pratique interventionniste permet de grouper ces facteurs. Certains sont à la base de l'échec de ces interventions. Ce sont les facteurs d'échec (Section I), tandis que d'autres apparaissent comme favorisant ou concourant à la réussite ou au succès de ces politiques. Ce sont les facteurs de réussite (Section II). SECTION I : LES FACTEURS D'ECHECComme il vient d'être signalé, les facteurs d'échec s'appréhendent en des éléments qui occasionnent- volontairement ou involontairement- l'échec de l'intervention des anciennes puissances coloniales dans la résolution des conflits en Afrique. Ces facteurs tiennent à la fois aux puissances interventionnistes elles mêmes et aux Africains. Ce sont d'une part l'antagonisme entre puissances interventionnistes (paragraphe 1) et d'autre part la résistance africaine aux efforts de paix (paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : L'antagonisme entre puissances interventionnistes
Si l'altruisme121(*) est brandi par les puissances interventionnistes lors des débats en prélude à l'action elle-même, il faut pourtant se garder de croire que ces interventions sont entièrement désintéressées. D'ailleurs à ce propos, Roland MARCHAL et Richard BANEGAS mettent en garde contre toute naïveté : « Le coût politique d'une intervention est trop important pour qu'un pays occidental participe parmi d'autres à des opérations de maintien de la paix où ses intérêts ne sont pas clairement en jeu122(*) », affirment-ils. Ibrahim GAMBARI confirme cette thèse. En effet, des différentes interventions des puissances occidentales en Afrique, l'auteur retient qu'au delà des discours officiels- teintés d'altruisme-, la notion d'intérêts nationaux de l'Etat interventionniste est capitale. A cet effet, il écrit que « pour l'intervenant, certaines actions visent uniquement à satisfaire ses intérêts nationaux123(*) » et de poursuivre en affirmant que " les coûts financiers et politiques de telles actions sont prohibitifs, sauf si se trouvent en jeu des intérêts nationaux essentiels124(*)". Ainsi à côté de l'idée de porter secours- officiellement présentée- il y a lieu de voir dans ces interventions la consolidation des acquis ou la recherche de nouveaux intérêts de la part de ces anciennes puissances coloniales. C'est justement à ce niveau qu'apparaît l'antagonisme entre elles ; ce, eu égard à la divergence des intérêts (A). Laquelle qui ne favorise pas la coordination des interventions (B). A : La divergence des intérêts On dira des anciennes puissances coloniales que leurs intérêts sont divergents à l'occasion d'un conflit lorsque chacune d'elles oeuvre ou manoeuvre à la sauvegarde de ce qu'elle considère comme utile, profitable pour elle seule, sans se soucier de celui des autres puissances interventionnistes- le cas échéant en les ignorant volontairement- sur le territoire où a lieu le conflit. Il peut parfois s'agir d'agissements manifestement contraires aux intérêts des autres anciennes puissances coloniales. C'est enfin tout acte posé par une puissance interventionniste dont la conséquence inévitable est la méconnaissance de l'intérêt d'une autre puissance-interventionniste. Il va s'en dire que de tels agissements provoqueront indéniablement un sentiment de frustration, de malaise voire de préjudice chez l'autre puissance interventionniste, qui entreprendra des actions afin de réhabiliter ses intérêts ou en acquérir de nouveaux. Toutes choses qui auront pour conséquence l'ignorance du conflit en cours et la perpétuation de la souffrance de la population qui subit déjà la furie des "Seigneurs de guerre". La conflictualité en cours dans nombre de pays africains fournit une panoplie d'exemples, permettant d'étayer ces affirmations. Les différents conflits qui ont ravagé la région des Grands Lacs africains retiendront notre attention sur ce point. Au Rwanda, prétextant de la mort de dix de ses soldats incorporés dans la mission onusienne125(*), la Belgique- l'ancienne puissance coloniale-, décida de retirer unilatéralement sa troupe de la mission. Bien plus, elle influencera les autres puissances interventionnistes- membres permanents du Conseil de sécurité que sont la France, les Etats-Unis et l'Angleterre, qui après le début des massacres en avril 1994 ont pris la décision126(*) « incroyable 127(*)» de réduire l'effectif des Nations unies sur place, déjà restreint. La suite de l'histoire est connue : l'Afrique enregistre son premier génocide, le "dernier du vingtième siècle", faisant officiellement plus de 800 mille morts. Cette divergence ou choc d'intérêts sera davantage perceptible à travers l'importance que l'Amérique et la Grande Bretagne accordent désormais à l'Afrique dans leur politique étrangère à cette époque. En effet, l'Ouganda, voisin du Rwanda et dirigé par un anglophone, Yoweri MUSEVENI était à l'époque totalement aligné sur les intérêts américains et constituait le principal soutient du FPR. Si le mouvement était arrivé à ses fins, l'Ouganda aurait pris de l'importance au détriment des intérêts français dans la région des Grands Lacs ; il était donc hors de question pour Paris de laisser faire une telle chose128(*). La divergence d'intérêt s'appréhende, on vient de le voir, en un choc, un heurt entre plusieurs intérêts non conciliables. Elle peut également s'analyser en une absence d'intérêt ; et cette absence d'intérêt peut justifier ou justifie parfois l'inaction voire l'inertie des anciennes puissances coloniales face à des conflits qui ravagent les territoires d'Afrique. L'exemple nous en est fourni par le conflit libérien des premières années post guerre froide. En effet, bien que le Libéria ait eu avec les Etats-Unis d'Amérique des liens historiques et économiques puissants129(*), il n'a pas été surprenant de constater que cette grande puissance se soit contentée de fermer les yeux sur la situation en cours, du moins jusqu'à ce la force multilatérale de la CEDEAO se fût portée à sa rescousse. Quant aux autres grandes puissances telles l'Angleterre et la France qui a une tradition interventionniste en Afrique, le conflit libérien ne menaçait nullement leurs intérêts. Le Professeur MELEDJE Djedjro résume- à juste titre d'ailleurs-la situation en ces termes : ? Avec la fin de la tension Est-Ouest, le Libéria est devenu pour les Etats-Unis, et malgré le poids de l'histoire, d'un intérêt marginal ; pour les autres membres permanents du Conseil de sécurité-y compris la France-il s'agissait là d'un conflit interne au Libéria130(*)?. Comme facteurs ou éléments occasionnant l'échec de la politique interventionniste, nous avons retenu, ceux tenant aux anciennes puissances coloniales, la divergence des intérêts que nous venons d'exposer. Il convient à présent de s'appesantir sur le second facteur qui lui, se saisit dans le manque de coordination des interventions. B : Le défaut de coordination des interventions La divergence des intérêts, dont avons fait écho, va conduire les puissances interventionnistes à des politiques d'intervention différentes. De là, le manque de coordination des interventions. Et ce défaut de coordination des interventions revêt plusieurs formes. Il y a en premier lieu la violation des résolutions par elles prises dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies. En effet, entre l'affirmation des principes du droit international humanitaire et l'application de ces principes, les puissances interventionnistes se séparent en fonction des intérêts en jeu. Ainsi, il n'a pas été surprenant de constater que pendant qu'elles se sont entendues dans le cadre du Conseil pour imposer un embargo sur les armes en direction des protagonistes d'un conflit en cours, certaines puissances interventionnistes ont adopté un comportement en porte-à-faux avec l'objectif qui présida à l'adoption de cette mesure. Pourtant, il faut relever qu'au titre des effets, l'embargo imposé à un Etat ou à un groupe d'insurgés à la suite de l'éclatement d'un conflit armé dans l'Etat-lieu d'importation et théâtre du conflit-, pèse lourd sur la suite conflit. Et le Professeur Louis DUBOIS de s'interroger en ces termes : ? L'obligation d'édicter l'embargo sur les armes ne s'impose-t-elle pas, à tout Etat-et au premier chef aux membres des Nations unies-comme une contribution pour accélérer la fin du conflit en privant d'armes les combattants ?131(*)? Cela paraît d'ailleurs résulter à la fois de ce que le recours à la force armée est en principe illicite et de ce que les membres des Nations unies-notamment les anciennes puissances coloniales-sont tenus de recourir à la réalisation des buts fondamentaux définis par la Charte au premier rang desquels prend place le maintien de la paix et la sécurité internationales. Or, aussi paradoxale que cela puisse paraître, on a assisté à des violations d'embargo par ces puissances interventionnistes alors que ces décisions furent prises par le Conseil de sécurité des Nations unies et surtout en application du chapitre VII de la Charte. Rappelons qu'au Rwanda, avant le génocide, la France a livré au Zaïre des armes destinées aux Forces Armées Rwandaises (FAR). Alors que la résolution 918 du 17 mai 1994-qui autorise que l'effectif de la MINUAR soit porté à 5500 hommes-décrète un embargo sur les armes en direction du Rwanda, la France a continué les livraisons d'armes jusqu'à la fin du mois de mai 1994, soit un mois et demi après le début des massacres et quinze jours après l'imposition de l'embargo des Nations unies132(*). Toute attitude qui a conduit Sandrine SANTO à s'interroger en ces termes : « Comment la France, considérée comme la patrie des droits de l'homme a-t-elle pu se rendre complice de telles atrocités133(*) ? » La seconde forme que revêt ce manque de coordination des interventions consiste en l'existence de divers centres de commandement pour une intervention qui a lieu sur le seul et même territoire. En effet, il est arrivé souvent que sur le seul théâtre du conflit, les soldats des missions de maintien de la paix obéissent à des autorités hiérarchiques différentes. Il peut même s'agir de contingents strictement autonomes voire indépendants de la mission officielle. Ce fut le cas en Sierra Léone où la Grande Bretagne a constitué une unité spéciale forte de 1300 soldats134(*). L'exemple de la force Licorne est également à retenir à ce niveau. Force d'appui à l'ONUCI, la Licorne qui tient sa légitimité du Conseil de sécurité est pourtant sous commandement français. Au total, nous affirmons que l'antagonisme des anciennes puissances sur le terrain d'intervention se présente comme un facteur occasionnant l'échec de leurs interventions. Pourtant, il est des fois où leurs efforts sont entravés par les actions des Africains du fait de leur résistance aux efforts de paix. * 120 Madeleine GRAWITZ, Lexique des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2004, p.168. * 121 A propos de motivation à l'ingérence, Jean-Christophe RUFIN parle de "bons sentiments" à promouvoir. Voir son article « Le droit d'ingérence ou la tragédie des bons sentiments », Institut international de géopolitique, n°68, 2000, pp. 27 et suiv. Quant à Erik RYDBERG, il évoque l'idée d'un "Amour du nord pour le sud", GRESEA échos, n°41. Des auteurs vont plus loin en évoquant l'idée d'un devoir d'assistance. Voir à ce propos l'article de Yves SANDOZ, « Droit ou devoir d'ingérence, droit à l'assistance : de quoi parle-t-on ? », CICR, n.795, pp.225-237. * 122 Richard BANEGAS et Roland MARCHAL, « Interventions et interventionnisme en Afrique », politique africaine, n°98, 2005, p.10. * 123 Ibrahim GAMBARI, « Le rôle de l'intervention étrangère dans la construction en Afrique », in William ZARTAM (sous la dir. de), L'effondrement de l'Etat. Désintégration et restauration du pouvoir légitime, Nouveaux horizons, Manille 1997, p. 242. * 124 Idem, p.249. * 125 Il s'agit en l'occurrence de la MINUAR. * 126 Le 21 avril 1994, le Conseil de sécurité dans sa résolution 912 réduit l'effectif de la MINUAR qui passe de 2500 à 300 hommes. * 127 L'expression est de Béatrice POULIGNY. Voir son article « Interventions militaires et régulations des conflits », Projet n°262, juin 2000, pp. 69-80 Pour Mario BETATTI, il s'agit d'une ?décision consternante... et catastrophique?. * 128 Cette analyse se confirme d'ailleurs avec l'évolution de la situation au Rwanda. En effet, dès le triomphe du FPR, l'une des premières réformes fut la suppression du Français comme langue officielle du Rwanda et l'instauration de l'Anglais aux lieux et place. Voir à ce propos l'ouvrage d'Edouard KABAGEMA, Carnage d'une nation. Génocide et massacres au Rwanda 1994, Paris, l'Harmattan, 2001, 245p. * 129 Voir supra p.26 * 130 MELEDJE Djedjro, « La coexistence entre la France et les Etats-Unis en Afrique », op. cit., p 324. * 131 Louis DUBOIS, « L'embargo dans la pratique contemporaine », A.F.D.I, 1967, p.115. * 132 Le Figaro, 10 janvier 1998. * 133 Sandrine SANTO, « L'affaire Falcone ou l'Angolagate », in Georges BERGHEZAN (sous la dir. de), Trafics d'armes vers l'Afrique. Pleins feux sur les réseaux français et le "savoir-faire" belge, Bruxelles, GRIP, 2002, p.36. Pour comprendre cette attitude de la France, il faut remonter aux coulisses des négociations pour l'adoption de l'embargo en question. En effet, le représentant français au sein du Conseil de sécurité Jean-Bernard MERIMEE s'était efforcé d'empêcher l'imposition de cet embargo, soutenant ainsi la position du GIR qui consistait à s'opposer à cette mesure. * 134 Même si cette initiative britannique s'est avérée salutaire, il faut signaler que l'existence de deux centres de commandement peut être préjudiciable pour la réussite de la mission. Le précédent américain en Somalie en est une illustration convaincante. L'exemple ivoirien mérite aussi d'être souligné. Les évènements de novembre 2004 à Abidjan ont montré le danger qu'il y a pour une force d'agir en dehors de tout commandement onusien. Voir à cet effet l'article de Isaline BERGAMASCHI et Sara DEZALAY, « Dilemmes et ambiguïtés de la sortie de crise par la voie multilatérale en Afrique : le cas de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire », les Champs de Mars, n°17, 2005, pp.53-73. Ce problème de deux degrés de commandement est si réel que l'officier commandant le contingent belge de la Minuar à un jour déclaré au chef de cette mission, le Général canadien Roméo DALLAIRE qu' « on ne peut servir deux maîtres à la fois ». Sur ce point, voir l'article de Thierry VIRCOULON, « Ambiguïtés de l'intervention internationale en RDC », Politique Africaine, n.98, juin 2005. |
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