Les anciennes puissances coloniales et la résolution des conflits en Afrique( Télécharger le fichier original )par Netton Prince TAWA Université de Cocody - DEA Droit Public 2006 |
Paragraphe II : Des moyens de pression économiqueIl faut brièvement rappeler que le recours aux sanctions économiques dans les relations internationales est prévu par la Charte des Nations unies ; et les sanctions économiques font partir d'un ensemble élaboré de mesures laissées à la latitude des anciennes puissances coloniales dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies. La première application de ces mesures s'est faite à l'occasion de l'affaire de la Rhodésie du sud113(*). Depuis lors, le recours à ces sanctions a été consacré114(*) au point que des auteurs- craignant un détournement des objectifs visés par ces mesures-, émettent l'idée de dérogation humanitaire aux sanctions économiques115(*). Fidèles à la lettre et à l'esprit de l'article 2 §4 de la Charte, les anciennes puissances coloniales, dans la perspective de résolution des conflits armés en Afrique font usage en plus des moyens diplomatiques, de ces moyens économiques qui du reste sont constitués d'embargo économique (A) et de rupture ou de suspension de l'aide au développement (B). Il constitue une autre modalité de l'embargo au sens large. Par embargo économique, on entend, l'interdiction d'exporter faite aux protagonistes d'un conflit armé. Si l'embargo militaire a le mérite d'agir directement sur l'évolution du conflit, l'embargo économique, lui, constitue à n'en point douter un obstacle majeur pour "l'entretien du conflit." Et le sachant, les anciennes puissances coloniales, dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité incluent toujours le volet économique dans la pression qu'elles entendent exercer sur les protagonistes en vue de la résolution des conflits armés. Ainsi, dans les résolutions du 14 août 2000 et 17 mai 1994 (respectivement relatif à la Sierra Leone au Rwanda), le Conseil de sécurité en approuvant respectivement la création d'un tribunal international pour juger les criminels de guerre en Sierra Leone et le déploiement de 55 000 casques bleus au Rwanda impose un embargo sur les exportations en provenance de ces Etats. Cette même attitude fut adoptée à l'égard de Charles TAYLOR en 2003. En effet, les Etats-Unis d'Amérique, dans la suite des pressions qu'ils entendaient exercer sur le Chef d'Etat d'alors proposèrent et obtinrent du Conseil de sécurité l'embargo sur l'exportation du bois en provenance du Libéria. En Côte d'Ivoire, la résolution 1643 du 15 décembre 2005-qui reconduit l'embargo imposé par la résolution 1572 du 15 novembre 2004-inclue des dispositions nouvelles : l'interdiction faite aux Etats d'importer le diamant en provenance de la Côte d'Ivoire. Une remarque est à faire concernant les produits soumis à interdiction d'exporter. En fait, le choix du produit "imposable" ne semble pas être fait au hasard. Généralement, les anciennes puissances coloniales prennent soin de faire porter l'interdiction sur un produit dont l'Etat a la grande capacité de production et constitue le socle économique de l'Etat ou de la faction rebelle concernée par la mesure d'interdiction. En Sierra Leone par exemple, sur sept résolutions du Conseil de sécurité sur le conflit armé en Sierra Leone, cinq contiennent des mesures de pression économique et sur ces cinq mesures, quatre résolutions imposent un embargo sur l'exportation du diamant. Et pour "enfoncer le clou," la résolution 1343 du 07 mars 2001 imposant un embargo militaire sur le Libéria exige que TAYLOR "prenne des mesures concrètes pour arrêter le trafic et la vente de diamants provenant de Sierra Leone116(*)." Concernant la Côte d'Ivoire, la résolution 1643 précitée retient comme produit soumis à interdiction le diamant. Vraisemblablement, cette mesure était dirigée contre la rébellion car la partie du territoire sous son control regorge d'importantes réserves en diamant pendant que le sud sous control gouvernemental produit le café et le cacao, principaux produits d'exportation de la Côte d'Ivoire. A côté de l'embargo économique, il y a la suspension d'aide économique à l'Etat en conflit. B. La suspension de l'aide économique au développement Tandis que l'embargo sur les exportations constitue une mesure générale, la suspension d'aide économique, elle, apparaît souvent comme une mesure ayant un caractère intuitu personae. Elle se manifeste par la suspension de l'aide extérieure aux projets de développement engagés ou par un report de l'aide promise à l'Etat. Généralement, les Etats et les Institutions financières - qui prennent une telle mesure - le font pour éviter un détournement d'objectif. Car l'aide financière des Etats ou institutions financières est accordée pour financer des projets de développement économique et social. Or en temps de conflit armé, l'Etat est plus préoccupé par le souci de recouvrer son autorité politique que de s'engager dans des projets à caractères social. Cependant, l'hypothèse de "chantage" n'est pas à écarter. Et dans ce sens, ce sont généralement les anciennes puissances coloniales qui en usent dans leurs relations avec leurs anciennes colonies en conflit armé. Une telle attitude a été constatée dans les relations entre la Grande Bretagne et la Sierra Leone lors du conflit armé dans ce pays. Le 29 décembre 1992 ; en représailles à une tentative de coup d'Etat, les partisans du capitaine Valentine STRASSER - arrivé au pouvoir lui-même à l'issu d'un coup d'Etat - exécutent 26 militaires soupçonnés de rébellion. Cet acte est le fait déclencheur de la réaction de l'ancienne puissance coloniale qui dès janvier 1993 suspend "son aide économique" au pays. Cette mesure sera accentuée sept ans plus tard quand en janvier 1999, les rebelles du R.U.F attaquent Freetown dans l'optique d'obtenir la libération de leur chef Foday SANKOH arrêté et condamné le 23 octobre 1998. En effet, le 19 février 1999, la Banque Mondiale et le FMI suspendent leur aide au Pays. Cette mesure de suspension a été également prise à l'encontre du Libéria en juin 2000 à l'initiative de la Grande-Bretagne. En effet, sur l'initiative de son ministre des affaires étrangères117(*), l'Union Européenne a suspendu "toute nouvelle aide au Libéria." La situation au Rwanda a été toute différente de celles qu'ont vécues la Sierra Leone et le Libéria. En effet, en décembre 1990, alors que le conflit armé était en cours entre les rebelles du Front Patriotique Rwandais et les Forces Armées Rwandaises, la France continuait d'accorder "sa confiance" au gouvernement de Kigali, au point de lui accorder 49 millions de francs "pour la réalisation de divers projets." Cette attitude a conduit certains auteurs118(*) à affirmer que par cet acte, le gouvernement français apportait un soutien au chef de l'Etat rwandais d'alors et s'inscrivait dans une logique de belligérance contre le FPR. En définitive, nous disons que par ces prédispositions, les anciennes puissances coloniales apparaissent comme pouvant résoudre les conflits qui troublent la quiétude des populations africaines et retardent le développement du continent119(*). Pourtant à l'arrivée, le constat est triste. Cet engagement des anciennes puissances coloniales produit des résultats peu efficaces, en deçà des espoirs. Le développement de cette assertion fera l'objet de la seconde partie. DEUXIEME PARTIE : UNE EFFFICACITE RELATIVE DE L'ENGAGEMENT DES ANCIENNES PUISSANCES COLONIALES Si en amont- nous venons de le voir-, les anciennes puissances coloniales qui interviennent dans la résolution des conflits en Afrique ont des arguments et sont prédisposées à résoudre ces conflits, l'observation de la conflictualité africaine autorise à affirmer qu'en aval, ces interventions produisent des résultats d'une efficacité relative. Il en est ainsi par cela qu'un concours de facteurs influence ces interventions (CHAPITRE I) au point qu'il apparaît légitime de demander si l'issue de la résolution de ces conflits ne résulterait pas d'une initiative plurielle (CHAPITRE II). * 113 Voir Philippe WILLAERT, « Les sanctions économiques contre la Rhodésie du sud », Revue belge de droit international, n°XVIII, 1985-1986, PP.216-245. * 114 En témoignent les différentes sanctions économiques contre la Libye, le Cuba, l'Iraq ... * 115 Notamment Mario BETTATI. Voir à ce propos son article : « Les dérogations humanitaires aux sanctions internationales », in MELANGES en l'honneur du doyen Paul ISOART, Paris, Pedone, 1996, PP.191-205. * 116 Extrait de la résolution 1343 du 07 mars 2001. Cette mesure semblait visiblement avoir été prise pour contraindre le R.U.F à cesser les hostilités car cette faction rebelle contrôlait à l'époque 90% des zones diamantifères du Pays. * 117 Faits rapportés par POSTUMUS, Bram, « l'U.E suspend toute nouvelle aide au Libéria », le courrier ACP-UE, n° 179, février -mars, 2000, p.17-19. * 118Parmi ces auteurs, le plus fougueux est J.P. GOUTEUX. Il le signifie clairement dans son ouvrage : La Nuit Rwandaise. L'implication française dans le génocide rwandais, Paris, l'Esprit Frappeur, 2002, 688p. * 119 Si on part du postulat que la paix est la condition du développement |
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