Les anciennes puissances coloniales et la résolution des conflits en Afrique( Télécharger le fichier original )par Netton Prince TAWA Université de Cocody - DEA Droit Public 2006 |
Paragraphe 1 : Des moyens de pression diplomatique.Elaborée au moment où l'épreuve de la deuxième guerre mondiale était en cours, la Charte se devait, au minimum, d'inspirer la confiance aux Etats qui allaient lui confier leur "sécurité." Ainsi, au plan normatif, l'article 2 §4 de la Charte prohibe le recours à la force dans les relations internationales. Les moyens de pression diplomatique dont disposent les anciennes puissances coloniales dans le cadre du Conseil restent donc l'embargo militaire(A) et l'isolement international (B). L'embargo est une institution très ancienne. A l'époque, "il désignait la saisie de navires étrangers pratiquée pour faire pression sur l'Etat dont ces navires portent pavillon101(*)", selon le Professeur Louis DUBOUIS. Mais cette définition ne saurait être valablement retenue de nos jours car le recours à la notion dans la pratique contemporaine désigne d'autres réalités. On parle souvent d'embargo sur les armes, d'embargo sur les exportations de produits, etc. L'embargo à l'époque contemporaine est selon le Professeur DUBOUIS précité "l'interdiction frappant des exportations à direction d'un ou plusieurs pays." Quand cette interdiction porte sur les armes, on parle d'embargo militaire102(*). Les anciennes puissances coloniales, dans le cadre du Conseil de sécurité et dans la perspective de résolution des conflits armés en Afrique ont généralement recours à cette "arme." Ainsi, dans la résolution du 17 mai 1994103(*), le Conseil impose un embargo aux protagonistes du conflit rwandais. L'embargo militaire a été également utilisé dans bien d'autres résolutions visant à mettre fin aux conflits armés sur le continent. Mais la résolution la plus énergétique semble être celle du 08 Octobre 1997104(*). En effet, votée à l'unanimité par les membres du Conseil, elle exige non seulement " que la junte militaire105(*) prenne immédiatement des mesures pour céder le pouvoir en Sierra Leone et permettre le rétablissement du gouvernement démocratiquement élu et le retour à l'ordre constitutionnel" ; mais en plus impose-t-elle "un embargo sur la vente et la fourniture... d'armement et minutions" en Sierra Leone. Lors du conflit du Liberia, on a également eu recours à cette mesure aux fins de le résoudre. En témoigne la résolution 788 du 19 novembre 1992 imposant un l'embargo sur les livraisons d'armes et de matériel militaire en direction du Liberia. Le conflit ivoirien a également donné l'occasion au Conseil-somme toute sous influence française-, de recourir à l'embargo militaire106(*). Au titre des effets, il faut noter que l'embargo militaire imposé à un Etat ou à un groupe d'insurgés à la suite de l'éclatement d'un conflit armé dans l'Etat importateur, pèse lourd sur la suite de ce conflit. C'est un moyen efficace qui oblige les belligérants à s'engager dans la voie pacifique de résolution du différend qui est à la base du conflit. L'issue du conflit armé de Liberia permet d'étayer notre assertion. En effet, le 7 mars 2001, le Conseil de sécurité, en imposant un embargo militaire sur le Liberia, punissait TAYLOR d'avoir échangé les armes contre le diamant avec les rebelles du RUF. Cet embargo sera renforcé à l'occasion des combats qui l'opposent aux rebelles du LURD et du MODEL en 2003. L'acte d'affaiblissement qui a décidé TAYLOR à renoncer au pouvoir semble être la saisie d'une commande d'armes opérée en application de la résolution précitée par les premiers soldats nigérians de la force multinationale le 04 août 2003 à l'aéroport de Monrovia. La suite des évènements est connue : TAYLOR "accepte" de quitter le pouvoir le 11 Août 2003107(*). L'évolution du conflit ivoirien permet également de percevoir l'effet de la résolution du 15 novembre 2004 imposant l'embargo militaire. En effet, les négociations de Pretoria et la suite du processus de sortie de crise semblent visiblement avoir été "influencées" par cet embargo. En plus de l'embargo militaire, il existe un autre moyen diplomatique permettant de faire pression sur les protagonistes à un conflit armé. C'est l'isolement international. En droit interne et surtout en droit criminel, la privation de liberté est la sanction extrême108(*) permettant de punir le délinquant qui s'est rendu coupable d'une infraction et identifié comme tel, à l'issue d'un procès. En mettant en veilleuse la liberté locomotive de cet individu, la société, fait un acte "de maintien de l'ordre public109(*)". Une transposition dans l'ordre international permet de constater cette pratique. En effet, "l'ordre public international" dont le maintien est une priorité des Nations unies est assuré en Afrique par les anciennes puissances coloniales dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations Unies110(*), du fait du rôle déterminant qu'elles jouent au sein cet organe. Dans la perspective de résolution des conflits armés en Afrique, ces puissances usent ainsi de l'isolement international qui consiste en la mise à l'écart des protagonistes à un conflit armé, de la pratique des relations internationales. Cette mesure généralement est prise dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité, en application du chapitre VII, pour lui conférer force de loi. Cet isolement se manifeste concrètement soit par l'interdiction de sortir du territoire, soit par le gel de leurs avoirs à l'extérieur. Selon leur détermination à résoudre le conflit, elles peuvent décider d'étendre la mesure. Une telle attitude a été constatée lors des tentatives de résolution du conflit armé en Sierra Leone. En effet, en plus de l'embargo militaire que les anciennes puissances coloniales ont imposé aux protagonistes du conflit armé, la résolution 1132 du 08 octobre 1997 impose des restrictions aux déplacements des membres de la junte militaire. Manifestement, cette interdiction de déplacement avait un caractère absolu car vu le caractère universel de l'Organisation des nations unies, interdire "aux membres de la junte militaire Sierra léonaise et à leurs familles d'entrer ou de transiter sur le territoire des Etats membres de l'Organisation des nations unies111(*)" n'est-ce pas leur interdire de sortir du territoire sierra léonais ? C'est aussi sûrement pour isoler Charles TAYLOR qu'il a été inculpé de crimes de guerre par le Tribunal spécial des Nations unies "pour son rôle dans la guerre civile en Sierra Leone" et surtout que Washington a demandé officiellement son départ du pouvoir112(*). L'efficacité de la mesure d'isolement n'est plus un point de mire au regard de l'actualité contemporaine ; car si en droit criminel, la privation de liberté permet au délinquant de saisir la nécessité de jouir de la liberté, sur le plan international, l'isolement apparaît comme une "arme" permettant au même titre que l'embargo militaire de faire pression et trouver ainsi une issue au conflit armé. En plus de ces moyens de pression diplomatique, il y a des moyens économiques. * 101 Louis DUBOUIS, "l'embargo dans la pratique contemporaine", A.F.D.I., 1967, p.99. * 102 Voir à ce propos l'article de CHARVIN, R., « Les mesures d'embargo : la part du droit », Revue belge de droit international Bruxelles, Bruyant, Vol. 29, 1996, Tom. 1, P. 5-32 * 103 Résolution 918 * 104 Résolution 1132 * 105 La junte militaire en question est celle dirigée par le commandant Johnny Paul KOROMAN. Le 25 mai 1997, celui-ci renverse Ahmad Tejan KABBAH, élu président aux élections présidentielles du 11 mars 1996. C'était le troisième coup d'état en moins de cinq ans. * 106 Les termes de la résolution 1572 sont sans équivoque. Selon le §7 de la dite résolution, cet embargo "concerne les armes et tout matériel connexe, notamment les aéronefs militaires et autres matériels, ainsi que l'interdiction faite aux Etats de fournir assistance, conseil ou formation se rapportant à des activités militaires, de manière à empêcher les belligérants de renforcer leurs puissances et équipements militaires". * 107 Il faut noter cependant que la promesse de quitter le pourvoir avait plusieurs fois été faite par TAYLOR sans qu'il ne la tienne. * 108 Abstraction faite des Etats où la peine capitale (condamnation à mort) est encore en vigueur. * 109 BRILL, J.-P., précis de droit pénal ivoirien, Abidjan, CEDA, Abidjan, 1985, p.37. * 110 Par une lecture extensive des dispositions des chapitres VI et VII de la Charte. * 111 Extrait de la résolution 1132 du 08 octobre 1997 du Conseil de sécurité sur la Sierra Leone. * 112 Si dans les différents exemples cités, la volonté de provoquer un effet sur le conflit par la restriction de liberté de circulation des principaux acteurs est perceptible, le cas ivoirien est sujet à discussion. En effet, dans sa proposition de résolution- proposition votée par le Conseil de sécurité-, la France retient comme personnes entravant l'application des accords de Marcoussis et d'Accra III Charles Blé GOUDE, Eugène DJUE et Fofié KOUAKOU et décide de restreindre leur liberté de circulation, notamment leur interdisant de sortir du territoire ivoirien. Or à la vérité, ces personnes ne sont que des exécutants des principaux acteurs du conflit que sont le Président Laurent GBAGBO et le Secrétaire général des Forces Nouvelles Guillaume SORO. Toute chose qui a conduit les commentateurs à affirmer que « l'ONU choisit les couteaux de seconde zone. » |
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