Les anciennes puissances coloniales et la résolution des conflits en Afrique( Télécharger le fichier original )par Netton Prince TAWA Université de Cocody - DEA Droit Public 2006 |
Chapitre II : LE STATUT INTERNATIONAL DE GRANDES PUISSANCESLe chapitre précédent nous aura permis de comprendre que la maîtrise du terrain d'intervention et l'accueil favorable de la politique interventionniste des anciennes puissances coloniales constituent à n'en point douter, un véritable atout. A ce propos, Niagalé BAGAYOKO-PENONE a écrit :" La connaissance des réseaux locaux est la condition sine qua non de l'efficacité " de cette initiative. Cependant, à cet atout, il faut adjoindre un autre, tout aussi nécessaire : c'est l'influence diplomatique internationale de ces puissances ou plus exactement leur statut international de grandes puissances ; car s'il est admis que la maîtrise de l'espace est indispensable, elle peut se révéler comme un mythe83(*) défavorable à l'intervenant84(*). Dans ce second chapitre qui retiendra à présent notre attention, nous nous appesantirons sur le fait que l'influence diplomatique internationale de ces puissances constitue un autre atout dans la perspective de résolution des conflits armés en Afrique. Elles sont influentes par cela qu'elles occupent une place prépondérante dans la communauté internationale85(*) (section I) et qu'elles disposent de grands moyens de pression (section II). SECTION I : UNE PLACE PREPONDERANTE DANS LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE La pratique des relations internationales donne de constater l'importance, voire le caractère indispensable de l'opinion internationale pour la conduite et la réussite d'une action toute aussi internationale. Ainsi, malgré sa puissance militaire et sa capacité à réduire le gouvernement irakien quand il en a décidé en 2003, Washington a-t-elle essayé de rallier l'opinion internationale à sa cause. De son côté, Paris a cherché à obtenir l'aval de cette même opinion pour mener et réussir son opposition au conflit irakien86(*). Les anciennes puissances coloniales qui jouent un rôle déterminant au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies (paragraphe 1) bénéficient d'une prépondérance dans la communauté internationale. Cette position leur donne l'avantage dans la prise de décisions de ce Conseil (paragraphe 2). Paragraphe 1 : Des anciennes puissances coloniales, membres déterminants du Conseil de sécurité Elles sont déterminantes par cela qu'elles sont membres permanents (A) et qu'elles détiennent le droit de veto (B). A. La permanence au Conseil de sécurité des Nations unies Les Etats qui établissent une organisation internationale ne peuvent se dispenser de mettre en place des organes propres à celle-ci. Par la création d'organes, ils manifestent leur intention d'établir une institution permanente et distincte d'eux. Il faut d'ailleurs se réjouir de ce que dans son avis du 11 avril 1949, la CIJ ait affirmé que l'organisation internationale doit être considérée comme acteur des relations internationales, distincte des Etats. En effet, c'est par l'intermédiaire des organes mis en place par les Etats membres que l'organisation internationale exprime sa volonté et exerce ses compétences ce, pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés à sa création. Une typologie de ces organes selon leur composition nous en fournit deux sortes : les organes pléniers et les organes restreints. Pendant que les premiers rassemblent l'ensemble des membres, les seconds n'en comprennent qu'un nombre limité. Des considérations d'ordre technique mais surtout politique président à la création des secondes. D'une part, c'est la recherche de l'efficacité qui est mise en avant au détriment de l'égalité87(*) des membres. D'autre part, il s'agit de confier à certains organes au sein d'une organisation internationale la responsabilité dans l'exécution d'une tâche. C'est le cas du Conseil de sécurité des Nations unies en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. En effet, selon l'article 24§1 de la Charte, le Conseil de sécurité a « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Les anciennes puissances coloniales qui interviennent dans la résolution des conflits armés en Afrique sont par un concours de circonstances membres permanents de ce Conseil88(*). L'article 23§1 de la Charte de San Francisco stipule que le « Conseil de sécurité se compose de quinze membres. La République de Chine, la France, l'Union des Républiques Socialistes et Soviétiques, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et les Etats-Unis d'Amérique sont membres permanents du Conseil de sécurité. » En plus de cette permanence, elles détiennent le droit de veto. B. La détention du droit de véto Le droit de veto est la possibilité accordée par la charte aux grandes puissances vainqueurs de la deuxième guerre mondiale, en vertu de laquelle, l'opposition de l'une d'elles sur « toute question de fond » rend impossible le vote sur la question. L'histoire du droit de veto remonte aux négociations entre Alliés en 1945, en prélude à la création de l'Organisation des Nations unies89(*). A Yalta, la question de représentativité au sein de la future Organisation des Nations unies est soulevée par l'URSS. Les Etats-Unis d'Amérique soutiennent que l'unanimité des grandes puissances était vitale pour le fonctionnement de l'organisation. La règle de l'unanimité est donc consacrée pour les délibérations du Conseil sur « toute question de fond » mais uniquement au profit des membres permanents par l'article 27 alinéa 3 de la Charte. Concernant la France et la Grande Bretagne, vainqueurs mais affaiblies par la guerre, la possession de territoires coloniaux est certainement à la base de leur permanence au Conseil et du bénéfice du droit de veto. De cette appartenance et surtout de cette permanence au Conseil découlent des prérogatives dont jouissent les anciennes puissances coloniales. Au nombre de ces prérogatives, retenons la plus importante : l'initiative des mesures du conseil de sécurité. Paragraphe II : L'initiative des résolutions du Conseil de sécurité : l'apanage des anciennes puissances coloniales. En pratique, elles ont un pouvoir de proposition accru (A) et sont maîtres des conditions d'adoption (B). A. Un pouvoir de proposition accru Selon les dispositions de la Charte et plus particulièrement celles du chapitre VII, la responsabilité du maintien de la paix incombe au Conseil de sécurité. Le disant, la Charte accorde implicitement la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales à chacun des membres du Conseil de sécurité et plus particulièrement aux «partenaires traditionnels de l'Afrique», selon Sessanga Hipungu Dja Kaseng Kapitu, membres permanents. A savoir, dans le cadre de notre étude, la France, l'Angleterre et les Etats-Unis d'Amérique. Il s'agit en quelque sorte d'une sous-traitance du maintien de la paix. Par ce procédé, ces puissances acquièrent compétence pour la saisine et la proposition de résolutions au Conseil de sécurité. D'ailleurs, le chapitre VI (article36§1) subordonne l'activité de toutes les instances internationales à l'autorité du Conseil de sécurité, lequel pourra intervenir à tout moment de l'évolution d'un différend. Cependant, les dispositions de la Charte et spécifiquement celles du chapitre VI semblent plus applicables aux conflits armés internationaux, de sorte que s'en prévaloir ou y recourir pour la résolution des conflits armés intra étatiques paraîtrait impossible voire illégal ; c'est que théorie du domaine réservé90(*) de l'Etat et l'exigence de l'article 2 §7 de la Charte apparaissent comme des garanties contre toute intervention étrangère. D'ailleurs, des protagonistes aux conflits armés internes en Afrique n'hésitent pas à les brandir quand ils prennent la mesure de leur suprématie militaire dans ces conflits. Le déroulement du conflit armé du Libéria en constitue un très bel exemple. En effet, pendant qu'en août 1990-en plein affrontement-le Président en exercice à l'époque, Samuel DOE et Prince JOHNSON, chef dissident du NPFL, sollicitaient une intervention extérieure, particulièrement celle des Etats-Unis d'Amérique, Charles Taylor, lui, appelait tous les libériens à se mobiliser contre toute intervention extérieure dans les affaires intérieures du Libéria. Pourtant une telle lecture restrictive de la Charte a l'inconvénient de réduire le champ d'intervention des Nations unies et disqualifierait "les efforts" et rendrait désuètes, caduques les dispositions de la Charte. Car le nouvel ordre mondial qui a succédé à l'affrontement Est/Ouest s'est caractérisé par une réduction, voire la disparition des conflits interétatiques et une multiplication des guerres civiles. En Afrique, "ces conflits internes doublés de déliquescences étatiques ont provoqué de nouvelles réponses de la part de communauté internationale et renouvelé la doctrine de l'interventionnisme international91(*)", écrit Thierry VIRCOULON. Cette doctrine trouve dans le Conseil de sécurité un cadre d'épanouissement puis mise en oeuvre en Afrique par les anciennes puissances coloniales du fait de leur prééminence dans l'organe. Le droit de saisine du Conseil en la matière est certes délibérément attribué par la Charte à tout Etat membre - et même à des Etats non membres sous certaines conditions - mais en pratique les anciennes puissances coloniales ont acquis une forte influence de sorte que pour les affaires concernant leurs anciennes colonies, une coutume bien établie leur offre le droit de saisine et le pouvoir de proposition des résolutions. Au Libéria par exemple, la première résolution92(*) du Conseil de sécurité sur le conflit a été adoptée sur l'initiative des Etats-Unis d'Amérique. En Sierra Leone aussi, la quasi-totalité des résolutions adoptées par le Conseil l'a été à l'initiative de la Grande Bretagne. En Côte d'Ivoire, malgré les accusations dont elle a fait l'objet de la part des parties en conflit93(*), la France est à l'origine des différentes résolutions du Conseil de sécurité94(*) S'il est vrai que les anciennes puissances coloniales sont à l'origine des résolutions du Conseil sur les conflits en Afrique, il faut remarquer que celles-ci sont votées selon certaines conditions. B. Une manipulation à souhait des conditions d'adoption Malgré leur influence dans l'organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales et du règlement non juridictionnel des différends, les anciennes puissances coloniales inscrivent leurs actions dans une "sorte de légalité internationale." Il s'agit de légitimer leurs interventions. D'ailleurs, la Charte enjoint au Conseil de prendre des précautions quand il veut régler un différend qui oppose des parties. En effet, aux termes de l'article 39 de la Charte, la première mesure que doivent prendre ces puissances et qui conditionne tout le développement ultérieur est la constatation d'une "menace à la paix et la sécurité internationales" ; et cette constatation peut être précédée de l'enquête prévue par l'article 34. Cette enquête apparaît donc théoriquement comme la première étape. En effet, il est indispensable que le Conseil réunisse les informations pouvant l'éclairer. C'est une "sorte de question préjudicielle que le Conseil doit d'abord trancher avant de pousser plus loin son action pacificatrice95(*)", selon le Professeur Louis DELBEZ. Vue sous cet angle, la tâche devient aisée pour les anciennes puissances coloniales qui de par leur prépondérance au sein de l'organe chargé de veiller sur la paix et la sécurité internationales peuvent qualifier tout conflit comme "menaçant la paix et la sécurité internationales" et engager ainsi l'ONU à travers son Conseil. Aussi, à l'analyse du comportement du Conseil de sécurité - dont l'action de certains membres permanents dans la résolution des conflits armés en Afrique nous intéresse -, importe-t-il de s'interroger sur les critères de qualification du conflit. En d'autres termes, quand dit-on d'un conflit qu'il menace "la paix et la sécurité internationales" ? En effet, le déroulement de certains conflits armés en Afrique et l'attitude de ces puissances fondent davantage cette question. Au début des années 1990, un conflit armé éclate au Libéria. La CEDEAO et l'ONU- à travers son Secrétaire général- demandent aux Etats-Unis d'intervenir aux fins de lui trouver une issue rapide et pacifique. On ne notera aucune réaction adéquate de leur part, encore moins de la part des autres membres permanents du Conseil non plus, y compris la France96(*) et la Grande-Bretagne. Quant à la France, elle a successivement considéré le conflit ivoirien de conflit «ivoiro-ivoirien », d'affaire « purement interne à la Côte d'Ivoire » avant de dénoncer « toute ingérence ou interférence extérieure». C'est seulement plus tard qu'elle considérera la crise comme « menaçant la paix et la sécurité sous régionale 97(*) » Finalement, c'est le Professeur MELEDJE qui aura trouvé la meilleure explication à une telle attitude. Relativement au Libéria, il écrit que "dans un contexte de l'après-guerre froide, (...) le Liberia est devenu pour les Etats-Unis, et malgré le poids historique, d'un intérêt marginal98(*)." Quant à Roland MARCHAL et Richard BANEGAS ils ajoutent que "le coût politique d'une intervention internationale est trop importante pour qu'un pays occidental participe parmi tant d'autres à des opérations de maintien de la paix où ses intérêts ne sont pas clairement en jeu.99(*)" Béatrice POULIGNY va conclure sur ce point en des termes, on ne plus dénonciateurs. Elle affirme qu' "est déclarée « internationale » toute crise qualifiée comme telle par le Conseil de sécurité, pour des raisons relevant plus souvent des intérêts de gouvernements des Etats membres permanents que d'une analyse de la nature de la crise elle-même. Et c'est là bien que réside l'illusion.100(*)" Une fois le conflit déclaré comme menaçant "la paix et le sécurité internationales", la Charte laisse la latitude aux anciennes puissances coloniales, dans le cadre du Conseil de recourir soit au chapitre VI soit au Chapitre VII, et dans la pratique, le Conseil ne dissocie pas ses pouvoirs au point qu'il évite de faire référence dans ses résolutions aux différents chapitres qui concernent ces deux compétences théoriquement distinctes. A cette prépondérance succède de grands moyens de pression dont disposent ces puissances interventionnistes. SECTION II : DE GRANDS MOYENS DE PRESSIONPar moyens de pression, nous entendons toutes " sortes d'armes", d'arguments dont disposent les anciennes puissances coloniales pour faire plier l'échine aux protagonistes et instaurer la paix et la sécurité qu'elles se sont octroyé le devoir de garantir dans le cadre du Conseil de sécurité. L'observation de la pratique interventionniste montre que ces puissances, dans le cadre du Conseil, disposent d'une panoplie très diversifiée de moyens. Certains sont diplomatiques (paragraphe 1), d'autres sont économiques (paragraphe 2). * 83 L`expression est de René-Jean DUPUY * 84 L'illustration est fournie par le conflit ivoirien. Malgré le lien historique entre la France et la Côte d'Ivoire, les accords de Linas Marcoussis signés sous les auspices de Paris n'ont finalement pas apporté aux Ivoiriens la quiétude perdue depuis la nuit du 19 septembre 2002. * 85 La controverse doctrinale sur la notion de " communauté internationale" nous intéressera peu ici. Dans le cadre de ce travail, il faut entendre par là l'ensemble des Etats et organisations internationales oeuvrant sur la scène internationale .Cependant, pour une compréhension plus approfondie de la notion, voir René-Jean DUPUY, La communauté internationale entre le mythe et l'histoire, Paris, Economica, 1986, PP. 11-28 * 86 Colin POWELL et Dominique DE VILLEPIN, respectivement Secrétaire d'Etat américain et ministre français des affaires étrangères ont donc sillonné les capitales des pays membres non permanents du conseil de sécurité avant mars 2003. L'objectif commun était de les convaincre aux fins de se rallier à leurs positions divergentes. * 87 L'égalité souveraine des Etats est un principe fondamental du droit international public (art 2§1Charte des Nations Unies). La création d'organes restreints au sein d'une organisation internationale écorche nécessairement ce principe. Sur ce point, voir KOFFI Ozigré Privat Modeste, Les organes restreints des organisations internationales, Mémoire de DEA, Université de Cocody, Abidjan, 2003-2004. * 88 Il faut tout de même relativiser nos propos. La Belgique que nous avons retenue dans le cadre de cette étude n'est pas membre permanent de ce conseil. Mais cela n'atténue pour autant pas son influence dans les affaires concernant ses anciennes colonies. D'ailleurs, c'est après son retrait unilatéral de la MINUAR que les autres puissances, membres permanents ont voté la résolution 912 du 21 avril 1994 consacrant la réduction de la troupe de la mission. Il faut en outre signaler que le Comité International d'Accompagnement de la Transition créé par les accords de Sun City de 2002 signés par les belligérants en République Démocratique du Congo comprend la Belgique qui y joue un rôle déterminent. Quant au Portugal, son influence s'est manifestée par la signature des accords de paix entre les protagonistes au conflit angolais le 31 mai 1991 à Bicesse. * 89 Charles ZORGBIBE, chronologie des Relations Internationales depuis 1945, Paris, PUF, 1991, p.5. * 90 La théorie du domaine réservé de l'Etat ou "clause de juridiction domestique" est une théorie rapportée des USA par le Président WILSON. A l'époque de la S.D.N, cette théorie a atténué la portée de l'article 15 du Pacte. La Charte de Nations unies la consacre pourtant dans plusieurs de ses dispositions. * 91 Thierry VIRCOULON, " Ambiguïté de l'intervention internationale en République Démocratique du Congo ", Politique Africaine, n°98, 2005, p.79 * 92 Résolution 788 du 19 Novembre 1992. * 93 Le Professeur Mamadou KOULIBALY, président de L'Assemblée nationale de la Côte d'Ivoire a d'ailleurs au début de la crise écrit un ouvrage dont le titre est on ne peut plus accusateur : La guerre de la France contre la Côte d'Ivoire, Abidjan, Refondation, 2003. * 94 Dont notamment les plus importantes sont les résolutions 1572, 1633 et 1721. * 95 Louis DELBEZ, les principes généraux du droit international public. Droit de la paix. Droit préventif de la guerre. Droit de la guerre, Paris, L. G. D. J., 1964, p 504. * 96 Cette attitude paraît contradictoire avec le discours qui s'est développé en France dans les années 1980 plus tôt au sein du milieu associatif et que le gouvernement s'est efforcé de promouvoir sur la scène internationale en 1988 à travers le concept de droit d'ingérence dont les meneurs sont Mario BETTATI, Bernard KOUCHNER... * 97 Sur les tergiversations de Paris à qualifier le conflit ivoirien, lire Philippe LEYMARIE, « L'éternel retour des militires français en Afrique », Le Monde diplomatique, novembre, 2002. * 98 MELEDJE, Djedjro, loc. cit., p.325. * 99, Roland MARCHAL et BANEGAS Richard, " Interventions et interventionnisme en Afrique ", Politique Africaine, n° 98, 2005, P10 * 100 Béatrice POULIGNY, "Intervention militaire et régulation des conflits", projet, n°262, 2000, p.72. |
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