La libre circulation des capitaux est une des composantes de
la libéralisation financière qui a vu le jour dans les
années 1980 (1988 pour l'Union Européenne (UE)). Les flux
financiers sont donc exonérés de frais et autre taxes lorsqu'ils
transitent au sein d'une économie, de même que les flux
internationaux. La libre circulation des capitaux est une des quatre
libertés fondamentales du marché intérieur commun de l'UE,
avec la libre circulation des marchandises, personnes et services. Ainsi, par
l'essor que cela a permis à la finance internationale, la libre
circulation des capitaux est peu questionnée et parait une des
conditions irrévocables du Système Financier International.
Pourtant, R. Mundell (1960) voyait dans celle-ci une problématique
possible de la mondialisation, puisque c'est une composante de son
célèbre « triangle d'incompatibilité
»22 . La conciliation des trois objectifs peut conduire
à une crise monétaire et financière, à l'instar de
la crise asiatique de 1997.
L'idée de taxer la circulation des capitaux n'est pas
neuve. J. Tobin (1978) conceptualise une taxe sur les opérations de
change, et s'inspire de travaux plus anciens de J. M. Keynes dans la
Théorie Générale (1936) qui proposait de taxer les
investisseurs sur leurs mouvements de capitaux afin de créer un lien
durable entre investisseurs et actifs. Mais cette taxe dite «Tobin»
redevient d'actualité suite aux ambitions de réformes du
Système Financier International depuis la crise.
Instaurer une taxe sur les mouvements spéculatifs
permettraient de dissuader la spéculation à très court
terme. Selon J. Adda (2009), cela passerait par un taux d'imposition faible,
afin de ne pas pénaliser le commerce international et les Investissement
Directs à l'Etranger (IDE). Une pression fiscale trop
élevée risquerait de limiter les flux de capitaux
économiquement nécessaires, alors que la taxe a pour objectif la
suppression de la spéculation «inutile» (celle qui vise une
rentabilité très élevée en très peu de
temps). Une telle taxe pourrait donc être un vecteur de stabilité
dans le Système Financier International. Par ailleurs, l'auteur
précise en citant J. Stiglitz que les revenus issus de la taxe Tobin
pourraient servir à financer le développement et la fourniture de
certains biens publics globaux : santé, environnement et finalement la
stabilité financière internationale (qui peut être
considérée comme un bien public).
Plusieurs critiques sont régulièrement
avancées contre la taxe Tobin. La première établit qu'une
telle taxe requiert l'accord et la coordination des principaux pays acteurs de
la finance, sous
22 Ce trilemme montre qu'en présence d'une libre
circulation des capitaux (intégration financière
développée), une économie ne peut disposer à la
fois d'un régime de change fixe et d'une politique monétaire
autonome.
peine de voir les flux de capitaux se détourner vers
les paradis fiscaux. Or la coordination internationale n'est pas encore
suffisamment approfondie pour imposer des mesures coercitives au milieu
très influent de la finance (et ce, malgré les travaux du G20).
Mais, il serait envisageable d'appliquer la Taxe Tobin à l'ensemble des
flux financiers (et pas uniquement aux opérations de change) par
l'intermédiaire de la Continuous Linked Settlement Bank
(CLS Bank). Cette chambre de compensation met en relation de
nombreuses institutions financières dans 17 monnaies et pourrait donc
permettre de centraliser le paiement de la taxe, si le rôle de la CLS
Bank était renforcé.
La deuxième critique est que la taxe ne serait pas une
solution efficace et durable, et qu'elle aurait peu de poids. Or, Adda
précise que ce n'est pas son ambition mais qu'elle pourrait former un
des éléments cruciaux vers une refonte globale du Système
Financier International. Cela peut s'effectuer étape par étape.
Ainsi une fiscalité de l'ordre de 0,005% de chaque transaction
réduirait de 14 % le volume des transactions de change et
dégagerait entre 35 et 50 milliards de dollars par an (Adda,
d'après Rodney Schmidt).
Une taxe sur les transactions financières de type Tobin
serait donc un projet de réforme visant à réduire
l'instabilité du Système Financier International, et les revenus
dégagés pourraient permettre de financer le développement
des pays du Sud. Mais au delà, Adda précise que la taxe Tobin
peut amener d'autres ambitions : «ce n'est rien de moins que le premier
jalon d'une gouvernance mondiale permanente» ; l'idée serait
d'impulser une gouvernance globale par une fiscalité commune et
coordonnée de la finance internationale. Or, afin de repenser le
Système Financier International, une telle gouvernance est
nécessaire, afin de pérenniser les changements et d'assurer la
coopération de l'ensemble des acteurs. Le contexte actuel semble
favorable à une telle fiscalité financière, puisque la
Financial Services Authority (FSA) se prononce désormais en sa
faveur. Par ailleurs, en mai 2009 a été mis en place un groupe de
travail sur cette question, à l'initiative de la France et regroupant 58
pays.
En résumé, il apparait que la taxe Tobin est une
possibilité de réforme, et qu'elle peut diminuer les
comportements spéculatifs porteurs de déséquilibres. Une
telle fiscalité requiert cependant une coordination internationale, et
c'est en cela qu'elle peut augurer d'une future gouvernance mondiale. Mais la
taxe risque de conduire à des détournements de capitaux, en
particulier vers les paradis fiscaux. C'est pourquoi des voix
s'élèvent afin d'interdire ou de régulariser ces places
financières.