L'idée est ici de montrer quelles sont les actions et
politiques mises en oeuvre par les différents pays de manière
unilatérale ; nous nous concentrerons sur la cas de la France et des
EtatsUnis. En effet, malgré l'union affichée par le G20, les
économies industrialisées européennes et
américaines, considérées comme responsables de la crise,
tentent de réformer le SMFI par des politiques propres, peu
concertées (et donc en dehors du G20).
Le président des Etats-Unis, B. Obama, affiche une
volonté de fer face aux dérives des marchés financiers.
Comme dit précédemment, l'Europe semble désormais
être moins régulationniste que les Etats-Unis. Ce manque de
vigueur à réformer la finance en Europe peut venir de la place
cruciale qu'occupe la finance, notamment à la City de Londres. A
l'opposé, les Etats-Unis sont le point d'origine de la crise des
subprimes, et beaucoup de banques n'auraient pas survécu
à la pénurie de liquidité sans une injection record de
liquidité par l'administration américaine ; cela peut expliquer
la soudaine vigueur de leurs politiques. De plus, la Fed a maintenu une
politique de taux d'intérêt expansionniste, afin d'amortir le
poids de la récession. L'ampleur de la récession et la
responsabilité éprouvée des acteurs financiers a sans
doute conduit B. Obama a entamer une tentative de réforme. Les mesures
suivantes ont été annoncées : imposer une taxe de «
responsabilité financière », réduire les
activités spéculatives des banques commerciales, en leur
interdisant toute prise de participation dans les hedge funds. Selon
Chavagneux (2010, p. 34-35), cela est avant tout une stratégie politique
préélectorale. Il n'empêche que le nouvel impôt sur
les banques prévient que l'action de sauvetage de l'Etat n'est pas
gratuite, ce qui pose un garde-fou aux banques d'investissement. Une seconde
taxe sur les ressources des banques issues de l'endettement permet normalement
de rendre les effets de leviers plus coûteux pour les banques. Le but
affiché est de rendre les banques plus responsables de leurs risques, et
de protéger le contribuable. Sur le principe, peu de choses à
redire.
Par contre, l'aspect concret se révèle plus
épineux. En effet, la réforme concernant la régulation de
la finance n'est pas encore passé devant les parlementaires
américains (or la récente réforme sur la santé a
montré les difficultés possibles). De plus, le président
Obama n'affiche aucun soutient aux projets de régulation de la Banque
des Règlements Internationaux, ni aucune approbation franche aux travaux
du G20. La coordination entre les Etats laisse elle aussi à
désirer. Et les réformes proposées aux Etats-Unis en
restent à une approche microprudentielle, autrement dit la dimension
systémique n'est pas prise en compte : or nous avons vu que le risque
systémique est le point central de toute tentative de réforme.
Par ailleurs, il convient de citer l'initiative de la Securities and
Exchange Commission (SEC), l'équivalent de l'AMF en France. La SEC
a porté plainte contre Goldman Sachs, en avril 2010, pour une affaire de
fraude liée à la crise des subprimes35. Au
delà de l'aspect juridique classique, cette affaire montre la
volonté de qualifier de frauduleux ce qui, avant la crise, faisait
partie des activités de spéculation « classiques ». Les
autorités financières américaines ont donc haussé
le ton, ce qui laisse croire à un durcissement de la législation
des activités financières (Le Monde, avril 2010).
Dans une des récentes informations, le
président Obama affirme vouloir accélérer le processus de
régulation de la finance. Les parlementaires démocrates
soutiennent la réforme, et les républicains déclarent la
réprouver en l'état. D'après La Tribune (2010), les
républicains se concentreraient sur cette réforme, après
n'avoir pu empêcher la réforme sur la santé. Ils
dénoncent un plan qui soutien le renflouement des banques. Enfin, B.
Obama s'est dit déterminé à résoudre le
problème du « too big to fail » (trop gros pour la
faillite), ce qu'il semble être le seul à vouloir dès
aujourd'hui. Le problème est que l'aspect « too interconnected
to fail » (trop interconnecté pour la faillite), autrement dit
le risque de contagion, est ignoré or c'est une condition
nécessaire36.
Ainsi, les Etats-Unis tentent de proposer des solutions afin
que la crise financière et le sauvetage des banques ne se reproduisent
plus. Des réformes sont en cours, mais elles concernent principalement
des aspects pratiques microprudentiels. La réforme de la finance n'est
pas encore passée devant le congrès, il est donc difficile de
connaître la teneur exacte du future projet37. Selon Dugua
(2010) il n'y a pas pour l'instant de réformes envisagées afin de
réduire le risque systémique, mais surtout les
déséquilibres monétaires ne sont pas abordés. Cela
est compréhensible : les Etats-Unis n'ont aucun intérêt
à favoriser un nouveau système monétaire,
35 Les traders avaient crée un produit
dérivé composé de titres sur créances
immobilières qui se sont avérées douteuses ; or ce fond a
été liquidé dans l'illégalité, et il s'est
avéré que Goldman Sachs pariait à la baisse, contre ses
propres clients.
36 Pour en savoir plus sur le too interconnected to
fail, voir Markose, Giansante, Gatkowski & Shaghaghi (2009).
37 La réforme devrait être soumise au
congrès américain le 4 juillet 2010.
compte tenu du « privilège exorbitant » que
leur octroi le dollar. Par ailleurs, le problème du too big to
fail n'apparait pas dans le projet, et la réglementation des
hedge funds est peu contraignante. L'idée initiale de
réactualiser le cloisonnement, en interdisant aux banques
d'investissement d'avoir une activité de dépôt, est elle
aussi fortement « diluée » : pour Dugua, cela aurait pourtant
pu fortement limiter les leviers sur fonds propres. Ainsi, la façon dont
le texte est perçu par les parlementaires indiquera le degré de
réforme final. Mais il apparaît dors et déjà que la
finance est en travaux (mêmes superficiels), mais que le système
monétaire reste intact.
En ce qui concerne la France, la position affichée est
également en faveur d'une réforme de la finance. Lors d'une
conférence « Nouveau monde, nouveau capitalisme » en janvier
2009, le président N. Sarkozy s'est déclaré en faveur
d'une refonte du système financier. Il souhaite « moraliser le
capitalisme », « rééquilibrer les rôles de l'Etat
et du marché », et indique qu'il ne veut plus subir les seules
décisions des Etats-Unis (La Tribune, 2009). A cette conférence,
plusieurs intentions de réformer la finance internationale ont
été établies, tandis que l'Allemagne et le Royaume-Uni se
joignait aux déclarations françaises. Par la suite, N. Sarkozy a
réaffirmé ses positions lors d'une conférence aux
Etats-Unis en mars 2010. Là encore, il y a le souhait de « ne pas
recommencer les mêmes erreurs » , et de renforcer « une
économie de production et non de spéculation » (Les Echos,
2010). La France souhaite tirer les leçons de l'échec de
Copenhague en matière de gouvernance globale.
Enfin et surtout, il est fait mention de l'aspect
monétaire : « le dollar n'est pas la seule monnaie au monde »,
et ce sujet devrait être amené dans la négociation par la
France lors de sa présidence en 2011. Cela reprend sa déclaration
de janvier 2010, à Davos, où le président français
déclarait vouloir « inscrire la réforme du SMI au G20
», et réclamait « un nouveau Bretton-Woods » (Le Monde,
2010). Par ailleurs, la question des déséquilibres globaux a
été abordée : « les pays excédentaires doivent
consommer davantage et les pays déficitaires consommer moins et
rembourser leurs dettes ». Néanmoins, la France déplore
elle-même le manque de concrétisation des ambitions
affichées au G20. Selon Le Monde, le président, lors de ces
discours, endosse « l'habit des présidents français qui se
veulent humanistes et universalistes ».
Par ailleurs, les travaux de l'Assemblée Nationale
française reflète les mêmes enjeux (Assemblée
Nationale, 2009). La crise financière a fait comprendre l'urgence d'une
réforme de la
finance. Et c'est justement le problème : les
propositions de réforme ne concernent que le Système Financier
International, et il n'est pas fait mention des déséquilibres
monétaires. Or nous avons vu dans la partie précédente
l'ampleur des déséquilibres globaux, des problèmes
macroéconomiques, des distorsions liées au dollar. Les
parlementaires français s'orientent donc vers les réformes de la
finance, dont certaines recoupent celles que nous avons listé dans notre
partie I sur la réforme du Système Financier International :
agences de notation, paradis fiscaux, hedge funds, etc. Ce qui
explique en partie que les réformes monétaires ne soient pas
mentionnées par les législateurs et décideurs
français.
La France affiche elle-aussi des ambitions quant à la
réforme du système financier. Des avancées sont mises en
oeuvre, mais les actes peinent à dépasser la parole. En effet, le
secteur financier représente un employeur considérable en France,
et le lobbying est puissant : les réformes sont donc difficiles à
faire adopter. Ainsi la gestion politique est fragile, et les progrès
sont lents. Des actions sont entamées, ce qui est positif. Seulement les
problématiques monétaires ne sont pas ou très peu
abordées, ce qui prive de facto l'économie d'un avenir
stable.
Pour finir, des actions sont entreprises au niveau
européen, mais il y a peu de concertations, ce qui risque de
compromettre les travaux du G20. Nous pouvons prendre pour exemple la
décision allemande d' interdire la vente à découvert
à nu. Cette activité consiste à vendre un titre sur les
marchés à terme, sans en être le propriétaire, en
espérant pouvoir le racheter plus tard à un prix
moindre38. Or la Grèce a montré la dangerosité
de telles prises de positions et une telle législation dénote na
volonté des pays européens de ne pas céder face aux
marchés. Cependant, comme la règle n'est pas européenne,
les investisseurs peuvent la contourner en agissant en dehors de l' Allemagne
(Euractiv, 2010). Un exemple parmi d'autres qui montre qu'une réforme
financière non concertée peut s'avérer inutile, voire
contre-productive : cela brouille le message, il n'y a pas de voix unique.
En résumé, il apparaît que le G20 s'est
attelé à la tâche de l'après crise. Des
réformes sont envisagées, et correspondent en partie aux
propositions que nous avons établi précédemment. Par
ailleurs, certains pays entreprennent également des réformes,
mais de manière unilatérale. Le réel problème est
que l'aspect monétaire est totalement ignoré. Il est question de
bonus, d'agences de notation, de paradis fiscaux, mais ni les ajustements
liés au statut du dollar comme devise-clé, ni les
problématiques liées aux déséquilibres globaux
(épargnes, réserves monétaires, etc) ne sont
envisagées. Les travaux accomplis sont donc loin d'avoir un sens global,
et leur portée s'en trouve
38 Dans le cas d'un contrat CDS à nu, un fond
d'investissement parie sur l'incapacité de l'émetteur de pouvoir
rembourser sa dette. C'est la situation qu'a connue la Grèce pour le
financement de sa dette souveraine au printemps 2010.
mécaniquement limitée.