La stabilité monétaire, nous l'avons vu, est
intimement liée à la hiérarchie des différentes
monnaies dans le SMI, mais également à la position
macroéconomique des Etats. Or la crise financière a soit
amplifié sinon prolongé les déséquilibres
monétaires internationaux. L'idée que nous allons
développer est celle d'un rééquilibrage institutionnel des
déséquilibres monétaires et macroéconomiques,
notamment ceux affectant les Etats-Unis et la Chine dans leur relation
ambivalente.
Le point de départ de l'analyse de Piffaretti &
Rossi34 est un constat déjà établi
précédemment, qui semble donc faire consensus : celui de la fin
de la longue domination du dollar dans le SMI, et l'entrée dans une
phase de transition. Cela implique une évolution vers un monde
multipolaire, et les auteurs établissent que cette période de
flottement entre les devises pourrait se traduire par une forte
instabilité (à l'inverse des tenants du polycentrisme comme
réforme du SMI, pour lesquels les monnaies s'équilibrent dans un
monde multipolaire). Le principal problème est
34 N. Piffaretti est économiste à la Banque
Mondiale ; S. Rossi est chercheur à l'université de Fribourg,
titulaire de la chaire de macroéconomie et d'économie
monétaire.
l'émergence de déséquilibres globaux,
notamment des balances des paiements. Au delà des analyses
traditionnelles qui visent un rééquilibrage par les « prix
relatifs » ou par « les comportements d'épargne ou de
consommation », les auteurs proposent une troisième voie,
institutionnelle.
L'idée est de favoriser un rééquilibrage
symétrique des balances, afin d'éviter un comportement de
passager clandestin : si un pays effectue le rééquilibrage de
manière asymétrique, cela peut profiter à d'autres, sans
qu'ils en aient à porter les éventuels coûts. L'exemple des
EtatsUnis et de la Chine est crucial, puisque leurs relations monétaires
définissent en grande partie la stabilité ou l'instabilité
du SMI. Le but est d'instituer un mécanisme de
rééquilibrage institutionnel des balances chinois et
américaines, chacune dans les mêmes proportions. Si cela
réussi, l'effet d'entrainement peut arriver à impulser d'autres
duo de pays, et par là une refonte du SMI, davantage stable. Le
schéma est similaire à la théorie des dominos
évoquée plus haut.
Concrètement, le mécanisme prendrait la forme
d'un système de règlement bilatéral (bilateral
settlement facility), dans lequel une partie des réserves seraient
converties en une monnaie supranationale (les travaux de Keynes ne sont
décidément jamais loin lorsqu'il s'agit de réformer le
SMI...). Cette fonction peut être assumée par les DTS, mais pas
nécessairement : l'essentiel est d'avoir une unité de compte
commune, convertible selon un processus stable et acceptée par les
acteurs en question. La détention d'une quantité trop ou pas
assez élevée de monnaie supranationale donnerait lieu à
des pénalités et incitations, ce qui introduirait un
mécanisme de rééquilibrage symétrique entre la
Chine et les Etats-Unis. Le conclusion importante est la suivante : cela
inciterait la Chine à dépenser ses excédents notamment en
important des produits américains, ce qui pourrait réduire le
déficit courant des Etats-Unis et pérenniser in fine le
rééquilibrage. Et ce mécanisme peut stimuler
l'investissement productif aux Etats-Unis, et freiner les
délocalisations à l'oeuvre depuis plusieurs décennies. Le
déficit américain pourrait se réduire, ce qui diminue les
déséquilibres liés à l'émission de la
devise-clé : biais déflationniste, dilemme de Triffin... De
l'autre côté, la Chine aurait la possibilité de
réinvestir ses excédents, plutôt que de les transformer en
réserves en dollars.
Le mécanisme de rééquilibrage
institutionnel nécessite une unité de compensation. Pour lui
donner une crédibilité, ce sont les principales institutions
financières qui doivent l'encadrer. Les auteurs proposent que ce soit la
Fed et la Popular Bank of China qui gèrent conjointement
l'émission et la position de change de la monnaie supranationale.
L'unité en question est l'« US-China settlement credits
(USCSCs) ». Cette unité de compensation pourrait servir pour les
transactions extérieures, c'est-à-dire réglant des
échanges sino-américains. Le taux de change doit
être décidé et géré de
manière coordonnée. En résumé, dans ce
mécanisme, le déficit américain est limité par
l'obligation de le financer par des exportations (et non plus par
l'émissions de dollars), ce qui réduit la tendance des
ménages à surconsommer. Symétriquement, la Chine verrait
son excédent limité par la réduction du déficit
américain mais aussi par l'incitation à consommer et investir les
excédents du commerce international (et non plus d'épargner par
des réserves en devises). Ainsi le biais déflationniste de la
réduction du déficit courant des Etats-Unis disparaît.
La multilatéralisation de mécanisme de
rééquilibrage institutionnel des balances peut être mise en
place à travers les institutions monétaires existantes.
L'extension de ce processus à l'ensemble du SMI est faisable si les
systèmes de paiements internationaux sont connectés
progressivement à l'union de compensation bilatérale, qui
pourrait devenir peu à peu multilatérale. La participation de
seulement deux pays peut induire plus de stabilité, qui plus est si ces
deux pays en question sont les principales puissances économiques.
En conclusion, les auteurs ont montré qu'un
mécanisme de rééquilibrage des variables monétaires
est possible, et l'institutionnalisation des balances des paiements
également. Cela rejoint l'idée d'une monnaie supranationale, en
en réduisant la difficulté de mise en oeuvre. Le mécanisme
de compensation est donc une synthèse de cette partie : il reprend
l'idée d'une compensation par une monnaie supranationale, mais serait
introduit, par des mécanismes bilatéraux, à l'instar des
initiatives d'intégration monétaires régionales. Cela peut
ensuite être généralisé à l'ensemble du SMI,
et réduire les déséquilibres globaux et les positions trop
hétérogènes qui caractérisent le semiétalon
dollar.
Tout au long de cette partie II, nous avons vu quels
étaient les difficultés du SMI actuel, et les difficultés
d'ajustement qu'il induit. Les réformes sont donc nécessaires, et
sont de plusieurs types. Le dollar peut être considéré
comme déclinant, mais pour autant aucun candidat n'est susceptible de le
remplacer. L'idée d'introduire une monnaie supranationale est donc
souvent citée, et reprend les idées de Keynes et du bancor. Nous
avons vu que les DTS peuvent s'approcher de ce statut, sans jamais l'atteindre.
La monnaie supranationale représente donc une sorte d'idéal-type
dans la réforme du SMI (1).
Ensuite, nous avons montré que le SMI peut sembler
s'approcher du polycentrisme monétaire, où les principales
monnaies fluctuent entre elles. Cela réduit certains
déséquilibres, mais ni l'euro ni les autres monnaies n'ont autant
de poids que le dollar. Le polycentrisme monétaire apparaît comme
une évolution probable, compte tenu des rapports de forces et des
tendances de la
mondialisation : cela ne serait que le reflet de la
multi-polarisation du monde, que se soit en terme commercial ou en terme
politique. Comme la monnaie supranationale présente de trop fortes
difficultés d'application, le SMI doit s'adapter au mieux à la
cohabitation de plusieurs monnaies, notamment en favorisant le rôle des
DTS (2).
Enfin, nous avons vu que des initiatives régionales
émergent : ce sont des alternatives sérieuses, notamment le
processus d'intégration monétaire régional
d'Amérique du Sud (Banque du Sud et Plan SUCRE). Il posent un premier
pas vers une refonte du SMI. Et, pour finir, nous avons montré
l'idée d'un rééquilibrage institutionnel des
déséquilibres monétaires, liés aux balances des
paiements. Il s'agit d'amorcer et d'institutionnaliser un mécanisme de
compensation bilatéral, en l'impulsant par la relation la plus
problématique, celle qui lie les Etats-Unis et la Chine
(3). Cette proposition de réforme semble régler
l'ensemble des problématiques, mais occulte la forte difficulté
politique. En effet comment inciter les principaux belligérants du SMI
à entreprendre des réformes en profondeur, qui dépassent
le seul effet d'annonce ?
Nous verrons en conclusion de ce mémoire que l'amorce
politique, bien que présente, est très modeste, et ne
règle a priori pas les déséquilibres fondamentaux du
Système Monétaire et Financier International (il convient de
regrouper dès à présent l'aspect financier et l'aspect
monétaire, puisque nous envisageons le système dans sa
globalité).