Nous avons vu précédemment que la monnaie
supranationale doit répondre à un doubleobjectif : agir sur
l'offre monétaire et sur la demande. L'action sur l'offre suggère
l'introduction d'une monnaie supranationale. Or les difficultés
évoquées amènent à revoir les ambitions, et la
réforme du SMI pourrait se faire par étapes, en se servant des
DTS. Ceux-ci présentent l'avantage d'une action sur l'offre et sur la
demande monétaire. En effet, si les banques centrales peuvent
acquérir des DTS, cela diminue mécaniquement le besoin de
constituer des réserves en devises, et notamment en dollar. Par la
suite, les DTS pourraient progressivement ouvrir la voie à une monnaie
supranationale (DTS ou autre), et ainsi offrir à l'économie
mondiale une nouvelle monnaie. La réforme du SMI serait alors
institutionnalisée, en donnant un rôle prépondérant
au FMI. Mais les DTS ne sont pas une monnaie au sens strict ( cf. Tableau 2) :
c'est plutôt un instrument de réserve, une sorte de prêt en
dernier ressort. Le principal avantage est que les DTS existe
déjà, et sont acceptés par les principales
économies en tant qu'instrument monétaire. Cela semble donc plus
facile de se servir de cette « quasi-monnaie internationale » (S.
Moatti, 2010), afin de donner un ancrage concret aux théories de la
monnaie supranationale.
Le Rapport Stiglitz évoque la possibilité de
transférer la responsabilité de la gestion de la monnaie
supranationale au FMI (2009, pp. 92-102). Mais il pointe également une
alternative : créer une nouvelle institution, la « Banque de
Réserve Mondiale » (Global Reserve Bank), qui aurait pour
mission la régulation du système de réserves des
différentes économies mondiales, mais également la gestion
de la monnaie supranationale. Toutefois, nous l'avons vu, les DTS forment
l'alternative la plus probable. Et le FMI continue de refléter les
intérêts des principales économies occidentales (en premier
lieu les Etats-Unis), ce qui semble pencher vers son maintien en tant
qu'institution en charge de la stabilité monétaire et
financière internationale. En ce qui concerne la mise en oeuvre de la
monnaie supranationale, deux propositions sont établies :
Renoncer aux monnaies nationales. Il s'agit d'introduire une
nouvelle monnaie, les Certificats Monétaires Internationaux («
International Currency Certificates »), incarnés
éventuellement par les DTS. Cela se ferait sur le même
modèle que les quotas du FMI, qui sont déjà en vigueur ;
cette proposition équivaut à un système de « swaps
» mondiaux entre les différentes banques centrales et les
différentes devises. La valeur de cette monnaie serait similaire aux
DTS, c'est-à-dire basée sur un panier de monnaies,
pondéré par leur poids dans l'économie
mondiale.
Etablir les DTS en parallèle des monnaies nationales.
Ils auraient le statut de « monnaie globale » (global
currency), et seraient alloués par le FMI. Il n'y aurait aucune
garantie spécifique, hormis l'assurance que les banques centrales
acceptent les DTS comme une monnaie internationale, et les échangent
contre leurs devises respectives. Mais il est envisageable que
l'émission de DTS soit gagée par des dépôts
auprès du FMI (ou de la Banque de Réserve Mondiale), et que cette
institution monétaire internationale soit autorisée à
acheter des bons du Trésor des pays membres. Dans ce cas, les DTS en
tant que nouvelle devise internationale auraient la même garantie et
confiance qu'ont les devises nationales grâce aux avoirs détenus
pas les banques centrales.
Quel que soit le schéma choisit, l'introduction des
DTS comme « monnaie globale » permettrait d'assurer une certaine
stabilité dans les échanges commerciaux mais également
dans les stratégies de réserve des différentes
économies. Toujours d'après le Rapport Stiglitz, l'objectif est
que les pays concernés par la constitution de fortes réserves
(principalement les pays asiatiques, cf. I.1.) substituent des DTS à une
partie de leur réserves en devises traditionnelles, au premier rang
desquelles le dollar. Cette détention de « monnaie globale »
donnerait droit à un paiement d'intérêt par l'institution
en charge de l'émission (le FMI si ce sont les DTS). Par ailleurs, il
est envisageable de pouvoir administrer les taux de change de manière
à réguler le SMI et éviter que les ajustements d'un pays
affecte la position de change d'un autre ; c'est en outre un des objectifs du
FMI actuel. Les fluctuations des principales monnaies se verraient
harmonisées entre elles et avec la « monnaie globale » : ceci
toujours dans la perspective de rendre le SMI davantage stable. La principale
utilité d'une telle monnaie incarnée par les DTS est que la
« diversification des monnaies pourrait générer plus de
stabilité dans la valeur des réserves » et, par là,
plus de stabilité parmi les principales variables monétaires
(changes, épargnes, politiques monétaires...).
Le renforcement du rôle des DTS est également
prôné par d'autres auteurs. Selon M. Aglietta (2010), les DTS sont
susceptibles de réformer le SMI en imposant une gestion des
réserves de change. En effet, nous avons vu que ce sont les principaux
vecteurs d'instabilité. Le DTS pourrait se substituer au dollar dans les
réserves de changes des pays asiatiques, limitant de facto les
déséquilibres dus au semi-étalon dollar actuel. Ensuite,
l'allocation de DTS par le FMI réduirait le besoin de réserves,
puisque cette forme de prêt en dernier ressort pourrait rassurer les pays
dont le taux de change est instable : en ces temps de crise, cela limiterait
l'instabilité monétaire internationale. Enfin, les DTS devraient
être couplés à la création d'un « compte de
substitution ».
L'idée d'un tel compte est de proposer des obligations
en DTS aux pays émergents et en développement, en contrepartie de
dépôts en dollar. Cela permet de « faciliter la
diversification des réserves en dehors des marchés des changes
». Le risque de change est ainsi transféré au
détenteur du compte de substitution, et peut être
éliminé en changeant les dollars contre des avoirs dans les
quatre principales monnaies du DTS, dans leurs parts respectives.
En résumé, les DTS sont une « solution de
transition » (Bénassy-Quéré & Pisani-Ferry,
2009). Crées à l'origine par peur d'un manque de
liquidités internationales (qui est une menace sur la
convertibilité du dollar), ils sont aujourd'hui une solution à un
surplus de liquidités. Nous avons vu que les DTS pourraient impulser une
réforme du SMI en endossant le rôle de « monnaie globale
». Ce statut, qui se rapproche de celui de la monnaie supranationale et du
bancor de Keynes, produirait une régulation des principaux facteurs
d'instabilité à l'oeuvre actuellement. Les DTS peuvent ainsi agir
sur la demande, en devenant la devise de réserve internationale, ce qui
pourrait contenter les pays émergents et en développement, qui
doivent se prémunir du risque par la constitution de réserves de
change. Et cela peut être une transition vers une nouvelle offre
monétaire, si le DTS acquiert le statut de monnaie internationale. Par
ailleurs, nous avons vu que les DTS peuvent soit supplanter les devises
nationales soit devenir une monnaie globale qui côtoie les autres
devises, à la manière du bancor. Si le rôle de monnaie
globale leur est conféré, les DTS permettraient la gestion et la
régulation des changes, car ils sont diversifiés et
institutionnalisés (par le FMI dans leur forme actuelle). Ceci
étant, la mise en oeuvre concrète des DTS requiert des
changements et des adaptations.