II. LA REFONTE DU SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL
Le Système Monétaire International (SMI) actuel
se caractérise par des déséquilibres, et présente
une forte hétérogénéité des positions des
différents Etats et des différentes monnaies. Les grandes
institutions internationales comme le FMI ont en partie failli a leur objectif
de résorption des déséquilibres macroéconomiques.
Et l'échec du compromis de Bretton-Woods, officiellement en 1976 avec
les accords de la Jamaïque, a instauré un SMI avec des changes
flottants ; une des implications de cela est une distorsion entre les variables
macroéconomiques (balance des paiements) et les variables
monétaires. Or la crise a rappelé le besoin pressant d'avoir un
SMI stable, condition nécessaire à une réforme du
Système Financier International. En effet, les
déséquilibres financiers qui ont conduit à la
dernière crise ne sont bien souvent que le reflet de
déséquilibres macroéconomiques et monétaires. Afin
de saisir les contours du SMI et ses problèmes, il convient de faire un
bref rappel.
Qu'est-ce que le SMI ?
Le SMI est l'organisation, diffuse ou
institutionnalisée, des flux monétaires et des taux de change,
permettant l'échange de biens et de services entre des pays à
devises différentes. Il a évolué au fil du temps,
changeant de méthode de compensation : étalon-or,
étalon-dollar-or, changes flottants... Ainsi, le SMI permet le
financement des échanges internationaux mais également
l'ajustement des balances des paiements nationales. Sans revenir sur l'histoire
du SMI, les principales périodes à connaitre sont :
Le Système de Bretton-Woods (1944-1976), durant
lequel les changes sont fixes, chaque monnaie étant convertible en
dollar à un certain taux fixe mais ajustable, le dollar étant
luimême convertible en or (une once d'or = 35 dollars). Bien qu'ayant
garanti une relative stabilité monétaire internationale, la
confiance dans le dollar est capitale or celle-ci fait défaut à
partir des années 1960 lorsque la balance commerciale américaine
devient déficitaire et que le monde est « inondé » de
dollars.
Le Système actuel ou Nouveau Bretton-Woods
(1976-...), qui peut être qualifié de «semiétalon
dollar» (Aglietta, 2010, p. 6) est en fait un non-système, car il
n'est pas
institutionnalisé en tant que tel : « quelques
monnaies, appartenant aux grand pays développés, sont libres de
fluctuer vis-à-vis du dollar. Toutefois, beaucoup plus de monnaies,
appartenant à des pays émergents, sont liées à la
devise américaine par des régimes de change administré qui
vont des changes fixes au flottement géré ». La
convertibilité n'est pas assuré pour toutes les monnaies.
Quels sont les problèmes du SMI actuel ?
Le SMI est caractérisé par des
déséquilibres macroéconomiques, et est parfois
considéré comme un «Bretton-Woods II» (Dooley,
Folkerts-Landau & Garber, 2003) . Il désigne la façon dont
s'articulent les échanges économiques et la monnaie dans un
contexte de globalisation, y compris financière. Les Etats-Unis et le
dollar sont au coeur de ce système. Il y a des
déséquilibres dans l'allocation des capitaux, et les transferts
d'épargne ne suivent pas forcément une logique économique.
Ainsi le dollar est la principale monnaie internationale. Et cette
faculté permet aux Etats-Unis de financer un fort endettement, notamment
en émettant des dollars sans limite (ils financent ainsi de la dette par
de la dette). Par ailleurs les Etat-Unis entretiennent une relation
d'interdépendance forte avec la Chine, puisque celle-ci, par
l'accumulation de réserves en dollar, finance le déficit
extérieur américain. Par ailleurs, la périphérie
des Etats-Unis (l'Europe et le Japon auparavant, les pays asiatiques
aujourd'hui) maintient des taux de change sous-évalués, ce qui
favorise les exportations au détriment de la demande domestique.
Selon Aglietta (2010), il y a deux principaux
déséquilibres : d'une part le déséquilibre
épargne / investissement (excédent d'épargne dans les pays
émergents, qui finance les déficits courants dans les PDEM,
surtout les Etats-Unis) et «l'explosion de la liquidité [...] des
années 2000», notamment car les marchés financiers ne
régulent pas les excès d'épargne. En conséquence,
le SMI est instable : selon Bénassy-Quéré &
Pisani-Ferry (2009), la volatilité des changes est trop
élevée, il y a une incohérence entre l'économie
réelle et l'économie monétaire, ce qui livre de «
mauvaises incitations ». Les Etats-Unis sont ainsi incités à
l'endettement et à une faible discipline budgétaire, et le reste
du monde est incité à maintenir l'ancrage sur le dollar et
à accumuler des réserves en dollar : la Chine en est la
principale détentrice, au détriment d'investissements
domestiques.
L'ensemble de ces déséquilibres illustrent la
pertinence d'une réforme du SMI. Le moment est opportun, puisque la
dernière crise peut inciter à une réforme de la finance
internationale. Il est donc crucial que le législateur prenne conscience
que l'économie globalisée ne sera pérenne que si
les déséquilibres monétaires, et
mêmes macroéconomiques, sont atténués au maximum.
Non pas par simple phobie de l'inégalité, mais parce que les
sphères financières et monétaires sont intimement
liées, et que les failles de l'une affecte l'autre, augmentant le risque
systémique. Mais le SMI semble avoir une telle inertie et de telles
implications sur les divers attributs des économies nationales que la
réforme est un chantier complexe. Voyons maintenant quelles
peuvent-être les réformes envisageables afin d'entamer une refonte
du SMI.
Il convient de présenter quelles sont les alternatives
possibles au dollar dans son statut de monnaie internationale, et de montrer
ainsi quelles peuvent être les réformes possibles pour construire
un SMI davantage stable. Nous verrons d'abord les problèmes liés
au dollar et la possibilité d'une monnaie supranationale, notamment
l'instrument monétaire des DTS (I). Ensuite, nous présenterons
l'alternative du polycentrisme monétaire (II) ; enfin, nous mettrons en
avant la réforme du SMI par les initiatives régionales (Chiang
Mai, Plan SUCRE) et par une approche institutionnelle des
déséquilibres (III).
1. Remplacer le dollar : la création d'une
monnaie supranationale
«Dollar : fin de règne ?», c'est ainsi que
titrait la Revue d'Economie Financière en 2009 (REF, 2009). Le
système de semi-étalon dollar arriverait-il à bout de
souffle ? Il semble qu'en réalité la monnaie américaine
soit loin de vivre son crépuscule. Le non-système qui
prévaut actuellement est centré sur le dollar, qui est la
principale monnaie de réserve et d'échange. Selon Cartapanis
(2009) une monnaie, pour prétendre au statut de monnaie internationale,
doit satisfaire certaines conditions, et notamment avoir une place importante
(en volume et en valeur) comme unité de compte, moyen d'échange
et réserve de valeur27. Le dollar satisfait l'ensemble des
conditions, puisqu'il représente «près de 65 % des
réserves en devises, contre 25 % pour l'euro, et plus de 60 % au titre
de monnaie d'ancrage ; il intervient dans 86 % des transactions sur le
marché des changes ; il est utilisé au-delà de 50 % pour
la facturation du commerce international. S'agissant de la détention
d'espèces monétaires par les non-résidents, 60 % des
billets verts en circulation se trouvent hors des Etats-Unis, contre
seulement 10 à 20 % pour l'euro» (Cartapanis, 2009). Ainsi,
malgré les instabilités que cela implique, le SMI perdure dans un
statu quo économique et politique centré sur le dollar.
Et l'introduction d'une monnaie supranationale comme réforme du SMI doit
obéir à certains impératifs. Nous verrons dans un premier
temps le statut du dollar et les ajustement
27 Pour en savoir plus sur le statut de monnaie internationale,
voir Krugman (1984).
que cela implique (1), puis nous avancerons l'idée de
la monnaie supranationale (2). Ensuite, nous argumenterons
l'intérêt des DTS et les ambitions possibles (3), et enfin les
conditions de la transition vers un nouveau système (4).
1. Les ajustements et déséquilibres
liés au statut du dollar
Le problème fondamental du SMI actuel est qu'une
monnaie nationale (dollar) est utilisée comme monnaie internationale,
dans les échanges et comme devise de réserve. Selon les points de
vue, le semi-étalon dollar peut refléter soit le sacrifice des
Etats-Unis afin de fournir la devise-clé ou bien l'extension au domaine
monétaire de la suprématie économique et politique des
Etats-Unis. De fait, les relations sont complexes et ambivalentes : le
déficit américain est certes financé par le
«privilège exorbitant» du dollar, mais les Etats-Unis
remplissent une fonction de « pays déficitaire en dernier ressort
», car la consommation des ménages américains
représente une forte part de la consommation mondiale (Rapport Stiglitz
(2009), p.93). Le déficit courant des Etats-Unis « sert » donc
l'économie mondiale. Mais le problème est moins le fait que le
dollar reflète les intérêts américains, que le
statut de devise-clé qu'il revêt et qui implique des
déséquilibres et donc des ajustements, que les Etats-Unis n'ont
pas à porter : « The dollar is our currency but your
problem » (le dollar, c'est notre monnaie, mais votre
problème)28. Comparativement à Bretton-Woods, le
semiétalon dollar actuel n'impose pas de convertibilité-or au
dollar, il n'y a donc pas de mécanisme contraignant qui puisse limiter
l'émission. Ainsi, certaines décisions sont prises de
manière à favoriser « l'unilatéralisme
américain » (Aglietta & Berrebi, 2007, p. 365).
Le statut de devise-clé du dollar impose donc une
réforme du SMI, mais qui doit être prudente. Les Etats-Unis, par
leur fonction de pays déficitaire, ont un rôle crucial dans la
croissance mondiale. Si le dollar perd son statut, et que les Etats-Unis
tentent de dégager un surplus commercial, l'ajustement se fera par une
baisse du revenu mondial (handicapé par le manque de consommation
américaine)29. Et si les Etats-Unis décident de
politiques expansionnistes, cela induira des ajustements des balances courantes
d'autres pays, et se traduira par une hausse de l'inflation. Dans tous les cas,
un abandon du dollar comme devise-clé ou un ajustement des politiques
macroéconomiques américaines se traduiront par un accroissement
des déséquilibres globaux (Rapport Stiglitz (2009), p. 94). Ce
qui ne joue pas dans le sens d'une stabilisation du SMI.
28 J. Connally, secrétaire au Trésor de R. Nixon,
1971-72.
29 Par définition, pour l'économie mondiale, le
commerce international est nécessairement équilibré
(équilibre comptable) : la somme des balances des paiements des pays
déficitaires est égale à la somme des balances des
paiements des pays excédentaires.
La question des réserves en devises est
également cruciale. Les pays asiatiques ont répondu à la
récurrence de crises financières, et notamment la crise asiatique
de 1997-98, par des politiques de constitutions de réserves
monétaires. Or ces réserves sont principalement en dollar, le
Japon et la Chine en étant les principaux détenteurs, pour
plusieurs centaines de milliers de dollar. Selon Mateos y Lago, Duttagupta
& Goyal (2009, p. 6), cette tendance à l'« auto-assurance
», qui prévaut chez la plupart des pays reflète en
théorie le dilemme de Triffin, mais revisité : ainsi la recherche
de la sécurité (maintient d'un taux de change favorable et d'une
capacité de financement adéquate) incite les différentes
économies à demander toujours plus de dollar, et les Etats-Unis,
afin de satisfaire ce besoin, sont contraint à un endettement
élevé. Par enchainement, cela induit une défiance
vis-à-vis du dollar et de la capacité des Etats-Unis à
honorer leurs endettements. Le paradoxe est que le besoin pour
l'économie mondiale d'avoir une devise « fiable » conduit
finalement à une perte de confiance dans cette monnaie. En
résumé, la constitution de réserves en devise peut
obéir à deux logiques :
Une logique de réserves de change : maintenir un taux
de change stable en augmentant la base monétaire (lorsque la Chine
achète des dollars elle vend des yuan et augmente donc la masse
monétaire chinoise, ce qui entretient la confiance envers le yuan et
envers l'économie chinoise) ; par la suite, l'achat massif de dollar est
une manière de s'assurer de la valeur des réserves en dollar.
Une logique commerciale : des réserves en dollar
garantissent une monnaie nationale structurellement sous-évalué,
ce qui favorise les économies asiatiques fortement exportatrices.
Ainsi, la constitution de réserves en devises par les
pays émergents asiatiques est une sorte de prêt aux pays
développés, à des taux d'intérêts faibles
(Rapport Stiglitz (2009), p. 96).
L'analyse du semi-étalon dollar peut être
schématisée, selon P. Berthaud, qui établit que les
déséquilibres ne sont pas uniquement dus au dollar, mais à
une coresponsabilité et au système luimême. Le SMI n'est
donc jamais parvenu à se défaire d'un triangle
d'incompatibilité :
Liquidité internationale
Devise-clé 19è
siècle : déflation Equilibre
courant
D'après : Berthaud, 2008
Ce trilemme, qui rappel le triangle d'incompatibilité
de Mundell, montre qu'il n'est pas possible de satisfaire les trois besoins de
l'économie mondiale en même temps : « le monde doit en
sacrifier totalement ou partiellement une ».
Pour conclure, il apparaît que le dollar a un statut
contestable mais donne le ton au SMI et influe l'ensemble des conditions
économiques mondiales. Les réserves en devises, les
échanges commerciaux ou encore la position commerciale des Etats-Unis
dépendent des fluctuations du dollar. Ainsi la monnaie internationale ne
peut être régulée et réformée sans une
extrême prudence. Et quand bien même elle subirait des
évolutions, celles-ci seraient le reflet de rapports de force
économiques mais surtout politiques. La logique d'une monnaie
supranationale consiste donc en une action sur l'offre monétaire
(substituer au dollar une monnaie supranationale), mais également sur la
demande (diminuer les réserves en devises). Nous verrons ces deux
aspects successivement.
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