Les banques centrales ont joué un rôle important
lors de la crise financière, en particulier la BCE et la Fed
(Federal Reserve System). Celles-ci ont permis d'éviter la
pénurie en injectant des liquidités et en achetant des actifs
toxiques afin d'épurer le marché. Cette fonction de prêteur
en dernier ressort (PDR) est essentielle mais insuffisante. Plus largement, les
banques centrales ont intérêt à revoir leur mode de
fonctionnement, et notamment la hiérarchie de leurs objectifs et le
risque d'amplification des phases de bulle spéculative.
Selon Castel & Plihon (2009, p. 236), les banques
centrales ne doivent pas se contenter de la surveillance de l'inflation, mais
également surveiller le prix des actifs financiers, afin de
détecter les phases d'euphorie. Les autorités monétaires
négligent trop souvent cet aspect, arguant qu'elles ne maitrisent pas
aussi bien l'information que le marché, supposé efficient. Or la
crise a montré que le refus des banquiers centraux ne tient pas face aux
pertes considérables induites par la crise
25 Le Bretton Woods Project regroupe 7000 ONG, journalistes,
écrivains, économistes et parlementaires du monde entier.
financière. Ainsi, les auteurs démontrent qu'il
ne faut plus cloisonner politique monétaire et politique prudentielle.
Les banques centrales doivent coordonner leurs pratiques avec les
autorités de régulation. Ainsi, un ancien gouverneur de la Banque
de France (BdF) préconisait récemment un système
prudentiel coordonné au niveau européen, mais également
des mécanismes de surveillance et d'alerte gérés
conjointement par la BdF et la BCE (Castel & Plihon, 2009, p. 237). Les
institutions financières sont tenus de s'adapter aux contextes sans
cesse changeant ; les banquiers centraux « conservateurs » doivent se
transformer en banquiers centraux dont la priorité serait la
stabilité financière.
Par ailleurs, le rôle du PDR est discutable.
L'interventionnisme des banques centrales lors des situations
d'illiquidité est justifiée, mais elle comporte trois principaux
biais :
Un premier biais est celui de l'aléa moral, puisque
l'injection in fine de liquidités par les banques centrales
incite à la prise de risque. Cela peut amener des spéculateurs
à être moins vigilants sur leurs prises de positions
financières. Par ailleurs, la fonction d'acheteur d'actifs en dernier
ressort, lors de la dernière crise, peut introduire un certain laxisme
(puisque les toxiques sont rachetés par la banque centrale, en dernier
recourt). Deux réformes sont possibles : d'une part « un
refinancement individualisé par groupe bancaire », afin de rendre
moins anonyme le refinancement des banques auprès de la BCE, et d'autre
part une obligation de réserves obligatoires plus exigeante, notamment
par une diversification des contreparties.
Le taux d'intérêt directeur des banques
centrales a une double fonction, ce qui peut être ambivalent. Selon Adda
(2010), le taux d'intérêt régule à la fois le niveau
d'activité et le coût du refinancement et donc des actifs
financiers. Or les objectifs sont contraires : s'il est nécessaire de
maintenir des taux d'intérêts faibles afin de relancer
l'activité, cela provoque une inflation des prix des actifs sans rapport
avec les fondamentaux de l'économie. La réduction des taux
directeurs en vue de soutenir l'activité a donc un « biais
expansionniste ». Une solution serait d'intégrer la maitrise de
l'inflation financière dans les objectifs des banques centrales. Une
autre consisterait en un dédoublement de la politique monétaire,
en ajoutant à la gestion du taux directeur l'utilisation de la «
détente quantitative »26, qui assurent la
liquidité par un rachat des titres : le taux directeur à la
politique monétaire, et la détente quantitative à la
politique
26 La détente quantitative se décline en une
version active, qui consiste en un rachat par la BCE des titres sur le
marché obligataire, et une version passive, qui propose des prêts
aux banques à taux fixe sur longue période (1 ans).
prudentielle.
Enfin, la fonction de PDR peut favoriser l'apparition de
bulles spéculatives, par la fourniture trop facile et trop importante de
liquidités. Adda précise qu'il peut y avoir un lien entre la
rapide reprise des bourses occidentales (et en particulier l'inflation des
principaux cours, et les indices boursiers qui ont retrouvé leur niveau
d'avant-crise) et les apports de liquidités de la BCE. La réforme
consiste à réguler les apports de liquidités, à et
inciter les banques centrales à évaluer le risque en permanence,
afin de ne pas se laisser prendre de court.
De ces analyses, il ressort que les banques centrales ont un
rôle primordial dans la stabilité du Système Financier
International. Cela étant, elles doivent apprendre à mieux
comprendre et gérer le risque, réguler et évaluer les
apports de liquidités dans leur fonction de PDR, et veiller à
coordonner politique monétaire et politique prudentielle.
Ces changements institutionnels complètent les autres
pistes de réforme établies au cours de cette Partie
I. Nous avons vu les réformes nécessaires dans le
secteur bancaire (et notamment la réglementation prudentielle), qui sont
un premier pas vers la stabilisation du Système Financier International
(1). A cela s'ajoute les règles nouvelles qu'ils
convient d'instaurer, comme les bonus des traders, les agences de notation...
Ensuite, la sous-partie 2 a montré comment construire
la stabilité du Système Financier International. Cela passe par
un encadrement de la titrisation, par une incitation au long-termisme, par une
réglementation des hedge funds, et enfin par une remise en
question de la libre-circulation des capitaux (Taxe Tobin) tout en
régulant les paradis fiscaux. Au cours de ce 3, nous
avons vu qu'elles étaient les évolutions nécessaires afin
d'impulser un changement institutionnel. La stabilité du Système
Financier International nécessite un cadre strict et évolutif,
afin de rendre les réformes possibles et pérennes. En effet,
aucune tentative de régulation ne pourra se faire sans l'aide et la
coordination des grandes institutions de la finance internationale (FMI,
banques centrales).
Il convient désormais d'établir, dans la partie
II de ce mémoire, quelles sont les pistes de réforme du
Système Monétaire International (même si la dichotomie
entre Monétaire et Financier est parfois floue puisque les
réformes sont complémentaires). Les réformes portent sur
les monnaies et leurs interrelations, et notamment les
déséquilibres macroéconomiques liés aux statuts des
monnaies, ainsi que l'ensemble des problématiques liées au
dollar.