Problématique environnementale de l'exploitation des sables bitumineux en Alberta (Canada)( Télécharger le fichier original )par Claude Bandelier Université Libre de Bruxelles - Master en Gestion de l'Environnement et Master en Biologie 2010 |
3.1.3. La ruée vers les sables bitumineuxJusqu'au milieu des années 1990, l'exploitation des sables bitumineux est jugée risquée et peu rentable. La volatilité du cours du pétrole et les coûts élevés de production à partir des sables bitumineux rendent leur exploitation complexe et peu intéressante. En 1995, un rapport intitulé « The Oil Sands: A New Energy Vision for Canada» est publié par la National Oil Sands Task Force (un collectif de représentants de l'industrie du pétrole et des gouvernements fédéral et provincial). Ce document, commandé par la Chambre des Ressources de l'Alberta30 afin de promouvoir les sables bitumineux par l'élaboration d'un cadre permettant de les convertir en une ressource économique attractive, définit une stratégie à suivre qui envisage un doublement ou triplement de la production sur 25 ans, pour atteindre 800'000 à 1.2 million de barils par jour en 2020 (Woynillowicz et al., 2005). Dans un premier temps cette stratégie appelle à améliorer la 27 Syncrude Canada Ltd était à l'origine un consortium réunissant les principales compagnies pétrolières, telles que : Imperial Oil (groupe affilié d'Exxon), Atlantic Richfield (ARCO), Royalite Oil (combiné plus tard avec Gulf Canada), et Cities Services R&D. Sa structure actuelle est la suivante : Canadian Oil Sands Ltd. (31.74%), Imperial Oil (25%), Petro-Canada Oil and Gas (12%), Conoco Phillips Oil Sands Partnership II (9.03%), Nexen Inc. (7.23%), Murphy Oil Co. Ltd. (5%), Mocal Energy Ltd. (5%) et Canadian Oil Sands Limited Partnership (5%) (Humphries, 2008). 28 Syncrude Canada Ltd - Oil sands history, http://www.syncrude.ca/users/folder.asp?FolderID=5657#2, consulté le 23 mai 2010. 29 Ibidem 30 Site internet de l'Alberta Chamber of Resources : http://www.acr-alberta.com/ perception du public face aux sables bitumineux. Le terme « tar sands» (tar = goudron, bitume) peu attrayant est abandonné au profit du terme « oilsands » (Nikiforuk, 2009). En 1997, les gouvernements de l'Alberta et du Canada adoptent une recommandation clé de la National Oil Sands Task Force en introduisant un régime de redevances généreux et des allégements fiscaux fédéraux pour le secteur des sables bitumineux31 (Woynillowicz et al., 2005). Couplé à une diminution des coûts d'opération et à un prix du pétrole qui ne cesse de monter, cet encouragement aux investissements a pour effet de créer une forte motivation pour des projets d'expansion et de réinvestissements, et met en place les conditions nécessaires pour « une ruée vers les sables bitumineux ». La forte croissance de la demande en carburant de transport, particulièrement par les Etats-Unis, et la mise en place d'un régime fiscal intéressant vont permettre le développement du secteur des sables bitumineux avec une ampleur qui dépasse largement les attentes. L'essor du secteur est considérable, en neuf ans, entre 1995 et 2004, la production est plus que doublée, atteignant approximativement 1.1 million de barils par jours en 2004, soit avec seize ans d'avance sur la date prévue par le rapport (Comité permanent des ressources naturelles, 2007). En 2001, la production de bitume brut en Alberta excède pour la première fois la production de brut conventionnel, et dès 2003, les sables bitumineux représentent 54% de la production total de pétrole en Alberta et un tiers de la production totale de pétrole du Canada (Woynillowicz et al., 2005). Ce pourcentage est censé atteindre 80% au niveau provincial et 70% au niveau national en 2015 (Timilsina, 2005). L'United States' Energy Information Administration (EIA) et le Oil & Gas Journal reconnaissent formellement les sables bitumineux du Canada comme une ressource économiquement viable en 2003, faisant passer les réserves canadiennes de pétrole de la 21ème position mondiale à la deuxième (Figure 2) (Babusiaux and Bauquis, 2007 ; Woynillowicz et al., 2005). Les prévisions de l'Office national de l'énergie (ONÉ) estiment que l'exploitation des sables bitumineux sera capable de produire 3 millions de barils de pétrole par jours en 2015, tandis que l'Association canadienne des producteurs pétroliers (CAPP) annonce un chiffre de 3.5 millions de barils par jours, pour la même date (Comité permanent des ressources naturelles, 2007). L'IEA (2008), quant à elle, prévoit que la production atteindra 5.9 millions de barils/jours en 2030. Le Canada serait ainsi en voie de devenir l'un des principaux producteurs de pétrole du monde ( Figure ). 8 Figure 8. Prévisions de la production des sables bitumineux en millions de barils par jour. Source: Levi, 2009. 31 cf. Energy Ressource Conservation Board : http://www.ercb.ca/, et cf. infra. 3.2. « Boom » de l'exploitation des sables bitumineux 3.2.1. Effet de l'allègement du régime fiscal En 1995, la National Oil Sands Task Force (groupe constitué de représentants de l'industrie des sables bitumineux et des industries dérivées, de même que de représentants des gouvernements fédéral et provincial) publie un rapport proposant des recommandations destinées à promouvoir l'exploitation des sables bitumineux en incitant les sociétés privées à investir dans le secteur. Deux ans plus tard, en 1997, les gouvernements du Canada et de l'Alberta appliquent ces recommandations en instaurant un nouveau régime d'impôts et de redevance. Ce nouveau régime qui vise à établir des règles uniformes applicables équitablement à tous les exploitants, est conçu pour attirer des investissements majeurs dans les sables bitumineux et stimuler la valorisation de ceux-ci. Le nouveau régime de l'Alberta prévoit : une redevance au taux de 1 % des revenus bruts du projet jusqu'à ce que le seuil de rentabilité soit atteint, puis, une fois récupérés tous les coûts reliés au projet, y compris les coûts de recherche et développement et un taux de rendement au producteur, la redevance est revu à 25 % des revenus nets du projet. De plus tous les coûts relatifs à un projet 1 soit les coûts d'immobilisations, les frais d'exploitation et les coûts de recherche et développement 1 sont déductibles à 100% l'année où ils ont été engagés (Grant and Howard, 2007 ; Humphries, 2008 ; Office national de l'énergie, 2000). La particularité importante de ce nouveau régime réside dans le partage des risques entre l'Alberta et le producteur. En effet, les redevances ne sont perçues que lorsque les produits et gains cumulatifs d'un projet dépassent ses coûts cumulatifs, y compris un rendement au producteur à hauteur du taux de rendement des obligations à long terme du Canada (Office national de l'énergie, 2000). Compte tenu des coûts élevés des projets, du long délai de mise en production des installations et du caractère hautement risqué des investissements dans les sables bitumineux, ce régime de redevance n'est pas fondé sur la production, comme c'est le cas pour le gaz et le pétrole classiques (Office national de l'énergie, 2000), ce qui le rend plus sensible à la rentabilité d'une exploitation. 3.2.2. Effets duprix du , baril de l'innovation technologique et des coûts de production Le terme "conventionnel" s'applique aux hydrocarbures qui peuvent être produits dans les conditions techniques et économiques actuelles ou anticipées. Les avancées technologiques ont fortement déplacé la frontière entre "conventionnel" et "non conventionnel" en rendant possible la production commerciale de pétrole à partir de gisements d'hydrocarbures offshore, de sables bitumineux ou d'huiles extra-lourdes, dont l'exploitation était considérée, il y a peu, comme techniquement ou économiquement irréalisable. En ce qui concerne les conditions économiques, le niveau des réserves est naturellement fonction du prix du brut présent et anticipé. En particulier, le prix est déterminant pour la mise en place de systèmes de production qui peuvent améliorer sensiblement les taux de récupération, en augmentant la part extractible d'un gisement donné. Cependant, l'élasticité des réserves au prix est faible et notamment très inférieure à celle que l'on peut observer pour le charbon, l'uranium ou les mines métalliques (Babusiaux and Bauquis, 2007). L'effet le plus important d'une hausse significative des prix réside dans l'accès à de nouveaux domaines. Les technologies de substitution et d'exploitation de nouvelles sources, tel que l'exploitation de pétrole non conventionnel, n'apparaissent accessibles que lorsque le prix du pétrole augmente suffisamment pour encourager les investissements visant à stimuler d'importants efforts de recherche et développement (OCDE, 2004). Les améliorations technologiques ont non seulement permis l'extraction de pétrole à partir des sables bitumineux, mais ont contribué à diminuer considérablement le coût de l'offre. De nombreuses innovations ont été introduites au cours des années 1990. L'amélioration du transport, de l'efficience énergétique et la recherche de technologies permettant de se libérer des contraintes économiques liées au gaz naturel sont des conditions indispensables à la croissance du secteur des sables bitumineux. En permettant aux barils de brut synthétique issus des sables bitumineux d'être rentables sur les marchés, les cours actuels du pétrole provoquent une situation idéale pour le développement et l'expansion de ce secteur ( Figure ). 9Avant la récente montée des prix du gaz, les coûts du pétrole extrait des sables bitumineux étaient tombés à moins d'une vingtaine de dollars US par baril (Babusiaux and Bauquis, 2007). Selon l'ONÉ (2006) les coûts de production du brut synthétique se situent actuellement entre 36 et 40 $US/baril, or dans la plupart des cas, les prix compensent largement les coûts et les dépenses engendrés (Comité permanent des ressources naturelles, 2007). Le secteur reste, cependant, fortement dépendant des cours du brut sur le marché mondial, le risque étant une chute de celui-ci. L'ONÉ avance à ce propos qu'une dévalorisation des cours du pétrole dans un intervalle se situant entre 35 et 40 $US provoquerait un important ralentissement de l`activité du secteur des sables bitumineux (Comité permanent des ressources naturelles, 2007). Prix FAB du pétrole brut mondial en dollars U.S. par baril 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 160 140 120 Dollars par bard 100 80 60 40 20 0 Figure 9. Prix FAB32 mondial du baril de pétrole brut pondéré aux volumes estimés d'exportation. Source: auteur, d'après l'EIA33. 32 Le prix FAB représente le prix d'un bien à la frontière du pays exportateur. Il comprend la valeur des biens ou des services au prix de base, des services de transport et de distribution jusqu'à la frontière, les impôts moins les subventions (cf. INSEE, Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, http://www.insee.fr/, consulté le 29 mai 2010). 33 cf. EIA (U.S. Energy Information Administration) - Petroleum - World Crude Oil Prices, http://www.eia.doe.gov/dnav/pet/pet pri wco k w.htm, consulté le 29 mai 2010. Entre le mois d'octobre 2008 et le début de l'année 2009, l'effondrement de la demande mondiale a fait chuter le prix du baril de 120 $ à un intervalle de prix entre 35 $ et 50 $, entrainant une diminution de la rentabilité des projets des sables bitumineux, responsable d'annulations et de retards, ainsi qu'une réduction du capital disponible des compagnies pour d'éventuelles expansions (Levi, 2009). |
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