1.2.3 Vers une dépendance
automobile
L'équipement automobile est donc devenu une
nécessité, mais plus généralement, une norme de
consommation, qui consiste en l'achat d'une automobile par le chef du menage
des l'entree dans la vie active et depuis peu d'une deuxieme automobile par le
conjoint des l'arrivee du premier enfant (Heran, 2000). Cette tendance concerne
evidemment toutes les couches de la population, des plus aises aux plus
modestes. En outre, de nouvelles generations, habituees des l'enfance a se
deplacer en voiture, n'imaginent plus aujourd'hui utiliser un autre mode
(Bodier, 1996). Ceux qui ont accede au mode automobile dans les annees 50-60 ne
veulent plus s'en passer a l'age de la retraite et y renoncent a plus de 80 ans
(Madre, 1995). Le phénomène est d'autant plus marqué dans
le périurbain, comme nous avons pu le constater, du fait du renforcement
de cette nécessité par l'offre abondante de terrains a batir ou
de logements neufs bon marche, les aides a l'accession a la propriete, la
creation de zones d'activites et de centres commerciaux en grande peripherie
entrainent, en effet, un recours massif aux modes motorises individuels (Wiel,
1999). Des lors, on peut penser que la forme urbaine influence de facon
decisive le choix modal, que l'automobile s'accapare. Sa superiorite technique
sur les autres modes acheve d'asseoir cette domination:
Tableau 2: les avantages et inconvénients des
modes de déplacement
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Vitesse
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Porte-à-porte
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Disponibilité
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Sécurité
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Confort
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Coût
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Nuisance
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Marche
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-
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+++
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+++
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+
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+
|
+++
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+++
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Bicyclette
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+
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+++
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+++
|
|
+
|
+++
|
+++
|
Transports collectifs
|
+
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-
|
-
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+++
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++
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+
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++
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Automobile
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+++
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++
|
++
|
++
|
+++
|
+
|
-
|
Source: Héran, 2000
Hormis pour le cout plus eleve et les nuisances (pollution,
bruit, insecurite routiere et congestion) qu'engendre l'automobile, celle ci
reste donc le mode de transport incontournable.
Or, on peut parler de dependance vis-a-vis d'un mode quand
l'usager ne peut utiliser un autre mode sans augmenter son temps de deplacement
de porte-a-porte de plus d'une certaine duree, dans des conditions de securite
et de confort equivalentes (Heran, 2000). Ce constat amene donc a cette
question de la dependance automobile.
Celle-ci a surtout été développée
à la fin des années 1980, avec notamment l'ouvrage de Newman et
Kenworthy, Cities and Automobile Dependence (1989). Pour eux, cette
dépendance ne s'appliquent pas aux usagers mais aux villes, ou
plutôt aux agglomérations, échelle plus pertinente selon
eux. Ainsi, les auteurs comparent la consommation de carburant
des habitants selon qu'ils vivent en centre-ville, en proche
banlieue ou en grande périphérie.
Mais la dépendance automobile n'apparaît pas
comme une notion centrale dans ces travaux (Héran, 2000), et il faudra
sans doute attendre Gabriel Dupuy (1999) pour définir formellement la
notion dans son ouvrage la dépendance automobile, symptômes,
analyses, solutions. En partant du même constat que Newman et
Kenworthy, celui de la position dominante de l'automobile, il va ainsi
démontrer l'existence du système automobile, dans lequel
interagissent « les acteurs les plus nombreux », c'est
à dire les automobilistes, et qui va notamment produire des effets
d'interactions négatifs, qu'ils soient intérieurs (congestion) ou
extérieur (pollution, consommation d'énergie et d'espace). Mais
l'intérêt de ce système automobile est surtout la
production d'effets positifs comme une vitesse de déplacement, un
confort de conduite, une flexibilité horaire ou de parcours
supérieure aux autres modes (Motte-Baumvol, 2007). Il définit
alors ces avantages procurés comme un « bonus »
individuel qui est à l'origine du succès de l'automobile, et de
l'installation d'une certaine dépendance.
Pourtant, pour Dupuy, cette dépendance n'est pas
individuelle mais elle résulte plutôt d'une opposition entre
ménages motorisés et ménages non-motorisés, dans un
cercle vertueux, qu'il qualifie même de « magique »
d'effets positifs qui enroule autour de lui un cercle vicieux d'effets
négatifs. La dépendance affecte alors ceux qui ne peuvent entrer
dans le système (les ménages non-motorisés), faute de
moyens notamment, et qui subissent le monopole radical, et ceux qui ne peuvent
en sortir , puisqu'ils perdraient le bonus que leur procure l'automobile. Dans
les deux cas, il y a un préjudice lié à la
dépendance.
Mais pour aller au delà de cette simple opposition
entre les ménages, selon qu'ils soient ou non équipés, il
convient de prendre en compte la capacité de ces derniers à faire
face aux contraintes d'accès aux ressources, qui leur sont
nécessaires, selon les territoires (Motte-Baumvol, 2007). Ainsi, dans ce
travail, nous retiendront cette définition de la dépendance
automobile:
« Un processus dans lequel les performances
supérieures de la voiture particulière par rapport aux autres
modes tendent à lui donner une place croissante et
hégémonique. Ce processus, qui varie d'intensité dans le
temps et selon les territoires, pourrait conduire à une forme
d'exclusion pour les ménages ne pouvant se motoriser ou peinant à
profiter pleinement des possibilités offertes par la voiture
particulière » (Motte, 2006)
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