2.2.2. Enquêtes entomologiques
La densité apparente moyenne des glossines est
respectivement de 0 ; 25,87 ; 8,16 et 53,1 glossines/piège/jour à
Djibo, Dédougou, Koumbia et Folonzo. Ainsi, la DAP est nulle à
Djibo, moyenne à Koumbia et très forte à Dédougou
et à Folonzo. Selon Taze et al. (1977), une DAP de plus de 15
glossines par jour et par piège équivaut à une très
forte densité, de 10 à 15 glossines à une forte
densité, de 3 à 10 glossines à une densité moyenne
et moins de 3 glossines à une faible densité. A côté
de ces variations de densités, la diversité des espèces de
glossines croit de la zone sahélienne à la zone
soudano-guinéenne. Ces observations sont en relation avec la variation
d'un site à l'autre des conditions climatiques (pluviométrie et
température), et du degré de fragmentation des formations
végétales dues aux effets cumulés de la pression
démographique et à l'occupation des sols (Guerrini and Bouyer,
2007 ; Guerrini et al., 2008). En effet, les précipitations
augmentent du Nord au Sud soit des différences de 600 mm/an entre les
deux extrêmes du transect. De plus, l'aridité du sol diminue
également dans le même sens. Ainsi, les conditions abiotiques
(pluviométrie et température) et biotiques
(végétation et hôtes) des glossines vont de
défavorable du sahel à favorable dans la zone
soudano-guinéenne. Ceci expliquerait les différences entre les
DAP de glossines des sites et la diversité en espèces de mouches
qui va croissant du Nord au Sud. L'infection des glossines le long du gradient
climatique va dans le même sens que la DAP. On note cependant une
exception avec le site de Dédougou, où ces dernières sont
retrouvées à des densités supérieures à
Koumbia, ce qui s'explique par la présence du fleuve Mouhoun, qui permet
la survie des glossines riveraines, et la persistance du risque trypanosomien
très faible au Nord, jusqu'à la lisière de la zone
sahélienne (Guerrini and Bouyer, 2007 ; Guerrini et al.,
2009).
De nos jours, les glossines ont disparu dans le Sahel alors
qu'elles ont été capturées jusqu'en 1935 (Roubaud et
al., 1935 ; Courtin et al., 2010). L'absence des mouches
tsé-tsé dans la zone sahélienne est attribuable aux
changements des facteurs climatiques dues aux épisodes de
sécheresses que le Sahel a connu dans les années 1970-1990 qui
ont entraîné la descende des isohyètes vers le Sud et une
montée des isothermes vers le Nord. En fait, cette modification des
conditions hygrométriques et de températures nécessaires
à la survie des glossines, associée à la pression
anthropique sur les ressources végétales et animales, ont aussi
et surtout conduit à une dégradation des habitats forestiers des
glossines et à leur disparition dans le Sahel. En effet, là
où ces habitats persistent, les glossines riveraines peuvent persister
à des pluviométries de moins de 500 mm par an (Bouyer et
al., 2010). L'importance de la transmission mécanique est
difficile à évaluer dans les zones infestées de glossines
(d'Amico, 1993). A Djibo, où les glossines sont absentes, une forte
densité de vecteurs mécaniques a été obtenue. Ce
qui veut dire que si les sécheresses engendrées par
l'évolution climatique ainsi que la pression anthropique sont
défavorables à l'existence des glossines au Nord, elles ont peu
d'effet sur les tabanidés (Dia et al., 2008). On constate que
plus les conditions environnementales se dégradent et la densité
des glossines diminue, plus les vecteurs mécaniques sont
favorisés. Ce qui est attesté par les densités
décroissantes des glossines et croissantes des vecteurs
mécaniques le long du transect d'aridité croissante.
La disparition de G. morsitans submorsitans
(espèce savanicole) à Dédougou et à Koumbia
s'explique par la saturation foncière qui a abouti à une
élimination des animaux sauvages (hôtes nourriciers par excellence
de ces espèces) et à la dégradation des interfluves
(Rouamba et al., 2009). Bien que Dédougou soit dans une zone
soudano-sahélienne et Koumbia dans une zone soudanienne, la DAP des
glossines (riveraines) à Dédougou est supérieure à
celle de Koumbia. Ceci peut être lié à la différence
de galerie forestière qui est plus conservée au niveau de la
portion du fleuve Mouhoun (Dédougou) où le piégeage a eu
lié par rapport à celle du fleuve Bougouriba (Koumbia) (Bouyer
and Bengaly, 2006 ; 2007). Dans ce dernier site, la portion de la Bougouriba
(notre lieu de piégeage) est à proximité d'un village
Bozos (200 m) donc soumise à l'impact des activités humaines. De
plus, la prospection de Dédougou a été faite pendant la
saison sèche froide (novembre) et celle de Koumbia pendant la saison
sèche chaude (mars). Le mois de mars est une période où
les conditions climatiques (température et hygrométrie relative)
sont plus défavorables aux tsé-tsé que le mois de
novembre, expliquant également cette faible densité par rapport
à celle de Dédougou (Koné et al., 2009).
L'âge moyen de la population de glossines s'est
avéré significativement inférieur à Koumbia (28
jours) qu'à Dédougou et à Folonzo. Ce qui peut être
attribué à un taux plus élevé de mortalité
des adultes (Bouyer et al., 2006). Par ailleurs, dans ce site, les
mouches sont infectées uniquement par T. vivax. Cherenet et
al. (2004) ont rapporté que le taux élevé de
mortalité des mouches tsé-tsé résulterait de la
perturbation de leur habitat suite à l'accélération
anthropique et la modification des facteurs climatiques (température et
humidité relative). Cette réduction de la durée de vie ne
favorise que le développement des espèces de trypanosome ayant un
cycle court tel que T. vivax dont le cycle est de 10 jours, alors
qu'il est de 14 et 30 jours respectivement pour T. congolense et
T. brucei brucei (Cuisance et al., 2003 ; Van den Bossche et
al., 2010).
La plus forte densité ainsi que le nombre le plus
élevé d'espèces de glossines ont été obtenus
à Folonzo. Dans cette zone, plus de 6 mois sont arrosés dans
l'année, avec une pluviométrie moyenne comprise entre 900 et 1100
mm, et le fleuve (la Comoé, site de piégeage) est un cours d'eau
pérenne. La bonne pluviométrie et la diversité floristique
offrent des conditions favorables (température et humidité
relative optimales, gîtes de repos et de ponte) aux glossines. Ce
qu'attestent la vieillesse des glossines dans ce site et les cas d'infections
de T. brucei retrouvées. La présence de quatre
espèces de glossines dans la zone avait déjà
été mentionnée dans des précédentes
études (Laveissière et al., 1981 ; Amsler et
al., 1994 ; Rayaissé et al., 2009). L'existence de
G. morsitans submorsitans et de G. medicorum à Folonzo
est liée à une moindre dégradation de la savane due
peut-être à une faible occupation culturale des sols
comparativement aux autres sites. Cette faible densité humaine est
attestée par le choix de ce village comme véritable front
pionnier pour les migrants et les rapatriés de la Côte d'Ivoire
(Courtin, 2007). De plus, l'existence de faune sauvage comme les
phacochères, les cobes, les buffles, les varans et les singes (du fait
que la zone est protégée), qui sont les hôtes nourriciers
par excellence de G. medicorum, expliquerait leur présence.
|