2.1.2. Analyse diachronique 2.1.2.1. Site de
Dédougou
La présente étude ainsi que celle de 2002
révèlent la présence de deux espèces de glossines
(G. tachinoides et G. palpalis gambiensis) dont les
densités sont présentées dans la figure 10. Ainsi en 2002,
la densité moyenne des glossines était de 14,7
glossines/piège/jour, alors qu'elle est de nos jours de 25,78 ; soit une
multiplication par deux. La figure 10 montre qu'en 2002, la densité de
G. palpalis gambiensis était supérieure à celle
de G. tachinoides, alors qu'en 2010, la situation s'est
inversée où celle de G. tachinoides est
prédomine. De 2002 à 2010, la densité de G.
tachinoides a été multipliée par quatre et celle de
G. palpalis gambiensis diminuée par deux.
Le risque de transmission trypanosomien par les glossines s'est
doublé de 2002 à 2010 avec respectivement 0,74 et 1,36.
Figure 10 : Densités de G.
tachinoides et de G. palpalis gambiensis observées en 2002
et en 2010 à Dédougou
2.1.2.2. Site de Folonzo
La figure 11 représente les densités moyennes par
période respectivement pour G. tachinoides et pour G.
palpalis gambiensis. Ainsi, la densité de G. tachinoides a
été diminuée par trois de 1980 à 2008 et par
deux de 2008 à 2010. Pour G. palpalis gambiensis, bien que la
densité soit
faible par rapport à celle de G. tachinoides
depuis les années 80, il ressort une réduction de sa
densité de moitié de 1980 à 2008 et de 2008 à
2010.
Figure 11 : Densités des glossines
du groupe palpalis observées en 1980, en 2008 et en 2010 à
Folonzo.
2.2. Discussion
2.2.1. Enquêtes parasitologiques
L'importance des TAA en fonction des sites (Djibo <
Dédougou < Koumbia < Folonzo) va dans le même sens que la
classification des sites en fonction de leur degré d'aridité.
Le fait que certains sites soient plus infectés que
d'autres démontre l'hétérogénéité
spatiale de la TAA le long du gradient climatique. Les prévalences
sérologiques ont été supérieures aux
prévalences parasitologiques dans tous les sites. Cela peut s'expliquer
par le fait que les analyses microscopiques ont porté sur des
prélèvements de sang veineux issu de la circulation
générale, ce qui entraine une faible sensibilité
(Pinchbeck et al., 2008). En effet, les trypanosomes peuvent avoir des
localisations extravasculaires: T. congolense peut être
retrouvé dans les cellules endothéliales (Banks, 1978), et T.
vivax peut se rencontrer dans le myocarde, les ganglions lymphatiques et
dans la moelle osseuse (Gardinier, 1989). De plus, l'ELISA-indirect est une
méthode très sensible qui détecte les infections actuelles
(hormis la période de séroconversion) et passives. La
majorité des anticorps détectés pourraient provenir
d'infections passées, eu égard à l'absence de
différence significative entre l'hématocrite des animaux
séropositifs et celui des séronégatifs.
La nullité de la prévalence parasitologique
à Djibo peut s'expliquer par l'absence de vecteurs cycliques. Il faut
cependant rester prudent sur son interprétation, en raison de la faible
sensibilité de l'examen microscopique, et de l'utilisation possible de
traitements trypanocides par les éleveurs. En effet, selon le
responsable du service d'élevage de la région (Lompo,
communication personnelle), la suspicion de la maladie ces dernières
années, fait que de nombreux éleveurs (notamment les transhumants
et quelques sédentaires) appliquent des traitements trypanocides. En
revanche, ceci conforte l'hypothèse selon laquelle les cas d'animaux
séropositifs observés dans cette zone dont les anticorps
proviendraient d'infection passive. Des études antérieures ont
montré que les immunoglobulines peuvent persister pendant 2 à 3
mois après un traitement stérilisant (Desquesnes, 1997). Les
séropositifs peuvent avoir été contaminés
localement par les vecteurs mécaniques : la forte densité des
vecteurs mécaniques retrouvés (16,71 vecteur
mécanique/piège/jour) pourrait entraîner une transmission
épidémique intermittente des TAA (Desquesnes et al.,
2009) (ce qui expliquerait la prédominance sérologique de T.
vivax dans ce site). Ou alors, ils pourraient avoir contracté ces
infections pendant la transhumance effectuée par les éleveurs du
Nord vers le Sud, qui engendre le contact bovin/glossine, ce qui pourrait
créer une source d'infection au retour des
animaux dans leurs terroirs d'attache (comme le montrent les
séropositifs à T. congolense et T. brucei,
espèces dont la transmission mécanique est faible). La situation
observée est en réalité probablement issue de la
conjugaison des deux phénomènes. L'importance des vecteurs
mécaniques a été étudiée à Lahirasso
au Burkina Faso en conditions expérimentales. Les résultats ont
montré qu'en 20 jours, des incidences de 60% et 75% peuvent être
atteintes respectivement avec Atylotus agrestis et A.
fuscipes pour T. vivax et de 25% avec A. agrestis pour
T. congolense (Desquesnes et Dia, 2003). Dans le cas de la
Trypanosomose Humaine Africaine, Prady (1985) avait montré le risque de
réapparition au Burkina Faso par le biais des migrants venus de la
Côte d'Ivoire. La réapparition de la TAA au Nord par le biais des
animaux transhumants et par transmission mécanique parait probable.
Cette situation, qui a toujours existé, pourrait être
amplifiée par les effets des accidents climatiques et de la pression
anthropique qui favorisent les déplacements (Van den Bossche et
al., 2010).
A Dédougou, les infections trypanosomiennes
identifiées correspondent uniquement à T. vivax. Lors
d'un suivi réalisé dans la même zone de mai 2006 à
octobre 2007, T. vivax était également
prédominant (Van den Bossche et al., 2010). La faible
prévalence obtenue dans ce site (1 cas de T. vivax sur 185
prélèvements) peut être liée à un faible
contact bovin/glossine vu la distance qui sépare les animaux
prélevés du fleuve (supérieure à 20 km). D plus,
selon les propriétaires des troupeaux prélevés, les
animaux sont régulièrement traités à raison d'un
traitement préventif (Trypamidium®) et un curatif
(Vériben®) par an, ce qui peut diminuer la prévalence
apparente.
Les examens parasitologiques et sérologiques montrent
une prédominance de T. vivax par rapport à T.
congolense à Koumbia et à Dédougou. Cette
prédominance pourrait s'expliquer par l'abondance de ce trypanosome dans
ces sites, car il est plus facilement transmis par les espèces de
glossines riveraines (Itard, 2000) que T. congolense (Reifenberg et
al., 1997 ; Dayo et al., 2010). De plus, lors des
séances de piégeage dans les deux sites des vecteurs
mécaniques (taons et stomoxes) ont été capturés qui
sont également susceptibles de transmettre T. vivax (d'Amico et
al., 1996 ; Kalu, 1996).
La prévalence parasitologique cumulée de 19,79
de Trypanosoma spp avec une prédominance de T.
congolense par rapport à T. vivax obtenue à Folonzo
est conforme aux résultats d'un sondage réalisé dans la
période mai-juillet en 2002 (CIRDES, 2002, données non
publiées, cité par Dayo, 2004). Cet auteur trouvait une dominance
de T. vivax à Ouangolodougou (situé à quelques
kms au Nord-Ouest de Folonzo), où G. morsitans submorsitans est
absente (Dayo et al., 2010). La forte prévalence de T.
congolense comparée à celle de T. vivax à
Folonzo
suggère l'importance du contact entre les animaux et
ces glossines savanicoles connues comme des vecteurs efficaces de T.
congolense (Reifenberg et al., 1997 ; Merid et al.,
2007). Cette hypothèse est d'autant plus forte que, lors de la
prospection entomologique, G. morsitans submorsitans est
retrouvée en abondance dans la zone (10,5 mouches/piège/jour). En
outre, les animaux échantillonnés dans le site de Folonzo avaient
un âge moyen de 5 ans. Or, selon Murray et al. (1982), les
animaux âgés sont plus sujets et plus sensibles aux infections
à T. congolense qu'à T. vivax.
Sur toute la zone d'étude, aucun cas de T. brucei
brucei n'a pas été identifié chez les bovins à
l'observation directe au microscope et sa prévalence sérologique
était faible. Cela peut être rapproché de la disparition de
T. brucei gambiense (agent de la THA) de la zone d'étude
(Courtin et al. 2006 ; Courtin et al. 2009). Cette absence de
T. brucei brucei confirme les tendances observées dans les
dernières études parasitologiques au Burkina Faso (Bouyer et
al., 2009 ; Dayo et al., 2010). De plus, ce trypanosome se
localise dans les tissus plutôt que dans les vaisseaux sanguins
réduisant ainsi les probabilités de le retrouver dans le sang
périphérique par examen microscopique.
Les trois systèmes d'élevage ont
été identifiés seulement à Djibo. L'absence de
certains systèmes dans certains sites s'explique d'une part par la non
existence de ces systèmes dans les dits sites et d'autre part par le
départ des animaux en transhumance au moment de l'enquête,
menée en saison sèche (Novembre pour Dédougou,
Février pour Folonzo et Mars pour Koumbia).
Le système d'élevage a eu un effet significatif
sur les prévalences parasitologiques. À Dédougou et
à Koumbia, la prévalence était plus élevée
chez les animaux sédentaires que chez les animaux de la grande
transhumance. Cela s'expliquerait par un risque trypanosomien
élevé sur les animaux sédentaires. Dans ces sites, pendant
la saison sèche une partie du cheptel part en transhumance vers le Sud,
ainsi, ceux restés sur place (sédentaires) étant en nombre
réduit, subissent une fréquence élevée de
piqûres de glossines, d'autant que celles-ci sont concentrées au
niveau des derniers points d'eau disponibles (Mouhoun et Koba respectivement),
entraînant un plus grand risque de transmission de la maladie. Des
observations similaires ont été rapportées en Gambie lors
de suivis parasitologiques d'animaux transhumants et sédentaires (Wacher
et al., 1993).
Les effets du site et du sexe sur l'hématocrite se sont
avérés significatifs. La différence
était significative entre l'hématocrite moyen obtenu à
Folonzo et ceux obtenus dans les autres sites
(figure 6). Ceci est corroboré avec la forte
prévalence trypanosomienne de cette zone, ce qui est logique, car
l'anémie demeure le principal symptôme de la maladie. T.
congolense est le plus pathogène des trois espèces pour le
bovin (Troncy et al., 1981) donc son abondance à Folonzo
expliquerait également cet effet significatif. Pour l'effet du sexe, la
faible valeur de l'hématocrite des mâles à Folonzo
peut-être attribué au fait que ces derniers étant plus gros
que les femelles, ils attirent plus les glossines (Torr et al., 2007).
De plus, dans les troupeaux, les femelles sont gardées plus longtemps
que les mâles (ventes ou dons pour la traction animale) il est donc
probable qu'elles aient développé une certaine résistance
à la suite de multiples infections. Une autre explication pourrait
être le fait que les mâles sont généralement
fatigués par des services accrus (traction animale et transport) et par
conséquent résistent moins par rapport aux femelles (Dehoux,
1992).
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