Nous avons vu dans la partie consacrée à
l'histoire des FJT que la participation des jeunes est à la fois voulue
mais aussi source de conflit. Avec l'institutionnalisation des FJT, le cadre
participatif est désormais fixé par différents codes ou
lois comme nous allons le développer maintenant.
1/ Plusieurs instances légales
a/ Le conseil de concertation du Code de la
construction138
La mise en place d'un conseil de concertation est obligatoire
dans tous les logementfoyers (art. L. 633-4 du Code de la construction et de
l'habitation).
Il est composé à parité de
représentants du gestionnaire ou du propriétaire et de
représentants des résidents désignés par le
comité de résidents du foyer ou, à défaut,
directement par les résidents eux-mêmes. Il faut noter que la
notion de comité de résident évoquée ici n'est pas
développée davantage quant à sa forme, sa composition et
ses modalités de réunion.
Le conseil de concertation doit se réunir à la
demande du gestionnaire ou des représentants des résidents au
minimum une fois par an. Il doit être consulté sur
l'élaboration et la révision du règlement
intérieur. Il doit l'être également avant la
réalisation de travaux, ainsi que sur tout projet et sur l'organisation,
dont la gestion des espaces collectifs, ayant une incidence sur les conditions
de logement et de vie des résidents.
Les membres du conseil de concertation peuvent être
assistés de toute personne dont la compétence est jugée
utile.
137 Citation tirée du Ouest-France,
édition de Lorient, du 21 juin 2005
138 Textes de référence : Code de la
construction et de l'habitation : articles L. 633-1 à L. 633-5, R.
353-154 à 164-1, R. 353-165 à R. 353-165-12 ; convention type APL
« résidences sociales » ; convention type APL «
logements-foyers autres que résidences sociales »
b/ La loi de rénovation sociale du 2 janvier
2002139
Cette loi instaure une série de dispositifs
prônant la participation de l'usager, et notamment le Conseil de la vie
sociale, qui est un dispositif de participation des usagers à la vie de
l'établissement. Le concept de citoyenneté se retrouve dans le
Conseil de la vie sociale sous deux formes : « La première
"C'est parce que je fais la loi que j'y obéis"- autrement dit le
règlement de fonctionnement doit être le fruit d'une concertation
avec l'usager - et la deuxième acception, c'est organiser la vie dans la
"cité"que constitue l'établissement »140.
Nous retrouvons ici le fondement du concept d'autonomie : se donner
(auto) sa propre loi (nomos), en nouant liberté
individuelle et collective : « pour Hegel l'auto-nomos se confond avec
la conformité à la raison, force qui ne s'impose pas de
l'extérieur, alors que l'auto-législation est pour Castoriadis
une procédure de décision, une participation, un acte
»141.
(reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur)
Document n°9 : Dessin de Jiho ,
publication
originale dans lien social
Il est intéressant de noter que la genèse de
cette instance remonte au conseil d'établissement instauré
initialement par la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et
médico-sociales, qui fut suivie par de nombreux décrets,
circulaires et lois ayant tous pour objectif la mise en place d'instances de
participation des usagers dans les établissements. Or « Le
conseil d'établissement n'a pas eu le succès qu'il aurait
mérité. Tous secteurs confondus, moins d'un tiers des
établissements se seraient acquittés de cette obligation
»142. Le Conseil de la vie sociale imposé par la
loi de rénovation sociale vise à rendre effective, après
nombre d'essais infructueux, la participation des usagers dans les
établissements.
Le conseil de la vie sociale est obligatoire lorsque
l'établissement ou le service assure un hébergement. Les FJT
qu'ils soient résidences-sociales ou logementsfoyers sont donc
concernés. Une procédure très détaillée de
la mise en place et du fonctionnement de ce conseil est établie par la
loi143.
Le conseil de la vie sociale donne son avis et peut faire des
propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de
l'établissement ou du service, notamment sur l'organisation
intérieure et la vie quotidienne, les
139 Décret n° 2004-287 du 25 mars 2004 relatif au
conseil de la vie sociale et aux autres formes de participation
institués à l'article L. 311-6 du code de l'action sociale et des
familles
140 J. SANCHEZ, 2004, p.17
141 Gérard DAVID, « Cornélius Castoriadis, le
projet d'autonomie », 2001, disponible sur :
http://perso.wanadoo.fr/marxiens/philo/castoria.htm
142 R. JANVIER & Y. MATHO, 2004, p.147
143 Le détail est joint dans l'annexe 2
activités, l'animation socioculturelle, les projets de
travaux et d'équipements, la nature et le prix des services rendus,
l'affectation des locaux collectifs, l'entretien des locaux, les relogements
prévus en cas de travaux ou de fermeture, l'animation de la vie
institutionnelle et les mesures prises pour favoriser les relations entre ces
participants.
Bien évidemment il y a des enjeux de pouvoir qui
apparaissent immédiatement sousjacents à la mise en place de ce
genre d'instance, or il est clairement exprimé ici que le conseil de la
vie sociale à une fonction d'avis, pas de décision. La fonction
d'autorité, qui se traduit par le pouvoir de décision demeure de
l'ordre de la direction des structures concernées. Ceci n'est pas sans
susciter quelques interrogations : « Le fait que le conseil de la vie
sociale n'ait aucun pouvoir de décision en entame quelque peu le
caractère démocratique comme il porte ombrage à la
crédibilité du législateur. Qu'est-ce en, effet, qu'un
organe à caractère politique muet ou sans conséquence ? On
peut se demander s'il ne s'agit pas, là encore, d'une mesure
cosmétique permettant à l'Etat de se prétendre en phase
avec la mouvance participative et citoyenne des usagers...
»144.
En fonction de l'organisme ou de l'établissement il se
peut que le conseil de la vie sociale ne puisse pas être mis en place. Un
« groupe d'expression ou toute autre forme de participation » peut
être institué dans ce cas ; « Qu'on l'appelle conseil de
la vie sociale, groupe d'expression ou toute autre dénomination est de
peu d'importance, pourvu qu'il remplisse ses multiples missions, dont la
moindre n'est pas un apprentissage de la démocratie
»145.
L'article L. 311-5 du code de l'action sociale et des familles
précise ainsi que la participation peut également s'exercer :
? par l'institution de groupes d'expression au niveau de
l'ensemble de l'établissement, du service ou du lieu de vie et
d'accueil
? par l'organisation de consultations de l'ensemble des
personnes accueillies sur toute question concernant l'organisation ou le
fonctionnement de l'établissement, du service ou du lieu de vie ou
d'accueil
? par la mise en oeuvre d'enquêtes de satisfaction.
Ces adaptations appellent plusieurs commentaires. Sur un
versant positif, deux remarques. D'abord il faut y voir le désir du
législateur de ne pas substituer systématiquement aux instances
déjà existantes le conseil de la vie sociale. Si nous avons
souligné que la loi du 30 juin 1975 n'avait eu qu'une application
imparfaite, nombre d'établissements ont tout de même mis en place
des instances de concertations ; puisqu'elles existent et fonctionnent autant
les conserver. Ceci est également le cas des Foyers de Jeunes
Travailleurs : les instances existantes, mises en place en suivant le Code de
la construction, peuvent ainsi perdurer. Ensuite il s'agit d'une souplesse
importante par rapport aux procédures visant à établir le
conseil de la vie social. Nombre d'établissements, tels les Centres
d'Hébergement et de Réadaptation Sociale (CHRS) ou les Foyers de
Jeunes Travailleurs ont un public effectuant des séjours courts ou
irréguliers. Cela est parfaitement incompatible avec certains aspect
formels de la loi 02/2002 tel l'élection pour un à trois ans de
délégués et de suppléants. Le législateur
144 Yves BOUTROUE, Les cahiers de l'actif,
n°330/331 p.151
145 Idem
offre donc une assez large possibilité d'adaptation,
l'essentiel étant qu'une forme adaptée de participation soit mise
en oeuvre.
Sur un versant négatif, nous pouvons rappeler que cela
exclut du cadre général et crée des « citoyens de
seconde zone ». Par ailleurs, il s'agit d'un amoindrissement de la
portée du conseil de la vie sociale. Or celle-ci est déjà
limitée : « Cet organe, qui n'a aucun pouvoir de
décision, doit pouvoir donner un avis écouté sur tout ce
qui concerne la vie de l'institution (...). Ses avis doivent être en
effet écoutés, car si son objet
pédagogique/éducatif doit être atteint, certains de ses
avis doivent être suivis d'effets, sous peine de
déconsidérer l'ensemble du dispositif (et de ses attendus) aux
yeux des usagers »146. Nous retrouvons ici les critiques
déjà formulée dans le chapitre intitulé «
Participer dans un cadre spécifique ? ».
c/ Le cadre associatif
Les chiffres nationaux donnés pour 2003 par l'UFJT
indiquent que parmi les 353 FJT adhérents, 92% sont des associations loi
1901. Le statut associatif est donc la règle très largement
dominante.
Il n'y a pas de statut-type propre aux associations FJT.
Toutefois très classiquement, les associations gestionnaires ont une
assemblée générale annuelle des adhérents, un
conseil d'administration qui se réunit à quelques reprises durant
l'année, et un bureau qui se réunit régulièrement
et s'occupe de la gestion courante.
Parmi les administrateurs, il y a bien entendu des
représentants des adhérents, il y a souvent des membres de droit
représentants les administrations (Ville, CAF, DDASS...) et les
organismes partenaires (bailleurs sociaux, Mission Locale...), souvent aussi
des représentants du personnel.
Les représentants des adhérents au conseil
d'administration, par exemple les jeunes résidents, ne sont pas
nécessairement élus lors de l'assemblée
générale de l'association mais plutôt lors de
l'assemblée générale de la résidence dont ils font
partie.
Ce cadre associatif est très important, les FJT se
revendiquent ainsi dans la mouvance de « l'économie sociale »,
c'est à dire « ...un espace associatif autonome, à la
fois spécifique et réellement intermédiaire entre l'Etat
et le marché, à partir duquel pourrait se reconstruire le lien
social... »147.
2/ Une affirmation politique forte de
l'UFJT148
La charte de l'UFJT dans son « Engagement collectif
2000-2002 » affirme le point suivant : « Chaque action devra
être conçue et réalisée de telle manière que
ceux à qui elle s'adresse puissent trouver en y participant un
apprentissage ou un approfondissement de la responsabilité individuelle
et collective, de la délibération, de la prise de décision
et plus généralement des pratiques et rituels
démocratiques ».
146 Idem
147 M. BARTHELEMY, 2003, p.77.
148 Les différentes motions d'orientation citées
dans ce chapitre sont disponibles sur le site internet de l'UFJT.
Cela est réaffirmé dans la motion d'orientation
2002-2004 sous une autre forme : « Nous permettrons aux jeunes de
découvrir et d'utiliser le lien associatif comme un des lieux de
développement de leur être politique par un travail sur la place
qu'ils peuvent prendre dans nos associations, et par un soutien aux projets qui
les mettent en situation de construire ensemble une volonté
générale. ».
Dans la motion 2004-2006 quatre orientations sont
définies dont l'une porte sur la démocratie et affirme la
conviction de l'UFJT que « L'acte éducatif est un
préalable à la citoyenneté et qu'il nécessite la
recherche de formes prenant en charge les évolutions et les
méthodes qui croisent volonté de démocratie participative
et pratiques de l'éducation populaire ».
Cela est traduit dans le programme d'action national pour
2004-2006149 par le point suivant :
Document n°10 : Extrait du programme
d'action national 2004-2006 de l'UFJT
S'il faut voir dans ces différentes motions une
affirmation forte, c'est bien qu'il y a « ...déficit
constaté dans ce domaine... »150. Il est permis de
se demander l'efficacité de cette injonction car « ...elle
indique également la dominante d'une conception classique de la
participation -c'est à dire mobilisant des formes de l'implication
exclusivement basées sur le modèle de la démocratie
représentative aujourd'hui en crise- dont rien ne dit d'ailleurs qu'elle
soit en phase avec les attentes juvéniles »151. La
mention faite dans le tableau précédent concernant des «
pratiques innovantes en matière de
149 Disponible sur le site internet de l'UFJT
150 B. BASTIEN & P. BATAILLE, 1998, p. 126
151 Idem p. 126-127
participation » semble montrer que cet obstacle est
connu.
Toutefois nous soulignerons que l'UFJT ne reste pas au stade
des recommandations, et pour montrer la voie, l'Union a mis en place
début 2005 au niveau national une commission pédagogie pour les
professionnels, et pour les résidents une nouvelle instance
appelée « Collège des jeunes ».
La commission pédagogie est un « nouvel
espace en charge de la réflexion, la capitalisation, et la diffusion de
nos pratiques pédagogiques » dont l'un des axes est de
« Soutenir un protocole de recherche sur la participation des jeunes
».
Le « Collège des jeunes » a pour but de
concrétiser cette volonté politique. L'extrait d'interview d'un
jeune membre de cette nouvelle instance illustre l'intérêt que les
résidents peuvent y trouver152.