1.2. Problématique
Après la conférence d'Alma Ata en 1978(ex URSS),
les ministres africains de santé ont adopté en 1987 l'Initiative
de Bamako (IB) qui était une stratégie destinée à
renforcer les soins de santé primaires (SSP). Au cours du rapport de la
Consultation sur l'Initiative de Bamako (IB), le Directeur régional de
l'OMS, pour l'Afrique, a souligné que l'OMS avait pour mission de sauver
les vies des populations gr%oce à la promotion des soins de santé
primaires (SSP). Toutefois, il a noté que l'Initiative de Bamako qui
avait aussi pour objectif d'assurer les SSP et la fourniture des
médicaments essentiels a vu sa mission entravée par la
pauvreté, l'insuffisance des soins de santé, les catastrophes
naturelles et celles provoquées par l'homme19. L'étude
des faits de santé fournit alors un prétexte idéal.
L'usage du médicament a un sens et une signification
pour l'homme car il permet de lutter et de prévenir la maladie qui,
laisse entrevoir la mort dans l'univers des représentations de toute
société. Les produits pharmaceutiques du fait du danger qu'ils
pourraient représenter pour la santé publique, sont régis
dans leur préparation, leur prescription, leur délivrance et leur
utilisation par des lois à caractère protecteur. Le
médicament se révèle être un objet fortement
symbolique et polarisé. Positivement, il est un objet à fort
pouvoir de réassurance puisque sa seule présence suffit à
combler l'angoisse de mort. Négativement, il est source de crainte car
percu comme un objet dangereux, dangerosité percue proportionnellement
à son efficacité. Le médicament appara»t donc comme
un objet ambivalent, qui cristallise tout à la fois angoisses de mort et
confiance en la médecine, mais aussi comme un objet aux contours flous
20(S. VINCENT, 2004 ,). C'est la raison pour
laquelle l'ACAME (Association Africaine des Centrales d'Achat de
Médicaments Essentiels) fut créée le 19 juillet 1996 par
des responsables des centrales d'achat de médicaments
génériques de cinq pays que sont : le Burkina Faso, le Niger,
le
19 Rapport de la consultation d'experts sur l'Initiative de
Bamako sur les médicaments essentiels et la Médecine
traditionnelle africaine, Addis Abéba (Ethiopie) ,5-7 septembre 2005.
20 VINCENT S., op .cit. p.12.
Mali, le Tchad, et le Sénégal. Elle s'est
fixé comme objectif général d'assurer la
régularité et la sécurité de l'approvisionnement en
médicaments de qualité à des prix accessibles pour les
populations africaines21.
Au Sénégal, le Code de la Santé publique
précise qu'aucune autre personne en dehors du pharmacien n'a le droit de
délivrer ou de vendre des médicaments. Ainsi, il stipule en son
article L 517 que « quiconque se sera livré sciemment à des
opérations réservées aux pharmaciens sans réunir
les conditions exigées pour l'exercice de la pharmacie sera puni d'une
amende de 240.000 à 1.200.000 francs et en cas de récidive, d'une
amende de 420.000 à 2.400.000 et d'un emprisonnement de six jours
à six mois ou d'une
amende d'une de ses
peines seulement »22.
Pourtant, on assiste au Sénégal à
l'émergence et à l'expansion des marchés paralleles du
médicament avec des vendeurs fixes, semi fixes et ambulants.
Présentée comme marginale, le marché illicite du
médicament dépasse en volume les médicaments
écoulés dans les officines. D'apres certains, les mesures
répressives sont sporadiques, modulées et finalement inefficaces.
C'est fort de ce constat que B. S. NIANG, affirme dans sa these que compte
tenu du taux élevé de médicaments non conformes
retrouvés dans le secteur informel, des mesures devraient
nécessairement etre prises pour éradiquer ce
secteur23.En effet, en marge des circuits pharmaceutiques
légaux, on voit se multiplier l'offre sur le marché ou au porte
à porte des médicaments aux quantités chimiques douteuses,
aux posologies fantaisistes.24(GRUENAIS et POURTIER, 2000).
La ville considérée comme un lieu
privilégié en matiere de médicaments occulte souvent
21 M. BANSSE Lazare, Secrétaire permanent de L'ACAME dans
Jeune Afrique L'Intelligent, 12 mai 2007, N° 2417.
22 Le Code de la Sante publique, source, Direction de la
pharmacie et des médicaments.
23 NIANG M.B., 1997, Contrôle de la qualité des
médicaments antipaludiques utilisés au Sénégal :
étude prospective aux niveaux de cinq sites sentinelles
(Guédiawaye, Richard -Toll, Kaolack, Vélingara, Touba),
These en pharmacie, UCAD.
des disparités en matière de soins entre les
citadins. A Dakar, << Keur Sergine bi >>, (la maison du marabout)
constitue la principale plaque tournante de la vente illicite de
médicaments gr%oce à l'accessibilité et la
disponibilité de beaucoup de médicaments mais également de
par sa position géographique (centre ville). Ainsi, le quotidien
d'information l'AS dans sa livraison du 14 avril 2006
révèle l'arrestation d'un vendeur de médicaments de
<< Keur Serigne bi>> trouvé en possession de
médicaments d'origine frauduleuse. A chaque fois qu'on a
été volé, nous nous sommes aperçus que le
cheminement c'était Keur Serigne bi affirme le représentant
des grossistes répartiteurs25.
Par ailleurs, les pharmaciens dénoncent souvent le
commerce illicite du médicament et incitent les pouvoirs publics
à lutter contre cette pratique. Nouvellement élu, le
Président du syndicat des pharmaciens privés du
Sénégal déclare: ma première mission, c'est de
combattre les médicaments de la rue. Ces médicaments exposent nos
populations au danger et à des enjeux graves que personne parmi nous ne
peut ma»triser. Et nous demandons aux pouvoirs publics de nous aider dans
la lutte contre les médicaments de la rue, qui
font des ravages -développés 26
dans les pays sous .
Pratique illégale sans nul doute, elle se développe
davantage à Dakar à cause de l'action conjuguée de
plusieurs facteurs socio-économiques voire politiques.
Face à la demande grandissante des populations en besoins
médicamenteux, les vendeurs qui, conscients de l'inégalité
de cette pratique y persistent car ils y trouvent leur compte.
La persistance de <<Keur Serigne bi>> dans le
commerce illicite de médicaments peut être expliquée en
faisant abstraction de la nature des rapports complexes qu'entretiennent le
pouvoir politique et le pouvoir religieux dans la société
sénégalaise si l'on sait que «Keur Serigne bi»
constitue un << bastion >> mouride. Leur cohabitation souvent
stratégique interdit toute mesure répressive de la part des
autorités publiques pour lutter contre ce phénomène .
Cette alliance constamment renouvelée depuis, entre l'élite
d'abord sous tutelle coloniale et
25 Le Matin, 13 juillet 2007.
26 Le Soleil, 23 -01- 07.
27
ensuite au pouvoir et les chefs de confréries ne
s'est jamais rompue . Les chefs religieux musulmans jouent encore et sans nul
doute pour longtemps le rTMle de régulateur dans une
société gagnée par un profond malaise qui va en
s'accentuant. Mais tant que les marabouts détiendront selon l'adage
wolofÇ l'avoir Èet la compétence ou la capacité,
(am-am, kham- kh a m ak kataan) toute solution faisant appel à la
contrainte ou à la force serait suicidaire
pour le pouvoir 28 . Bien que clandestine,
la vente irrégulière des médicaments permet à une
bonne frange de la population sénégalaise en
général et dakaroise en particulier de s'insérer dans le
monde du secteur informel car elle n'exige aucune compétence de la part
des acteurs.
Dès lors, il urge pour nous de nous inscrire dans une
dynamique qui nous permettra de comprendre et d'expliquer la
problématique de la vente illicite des médicaments au
marché parallèle de Ç Keur Serigne bi È.
Ainsi, il est question de se demander si le marché
parallèle de ÇKeur Serigne biÈ demeure Ç
intouchable Èmalgré l'existence de textes qui interdisent
formellement la vente illicite des médicaments?
La nature des relations entre le politique et le religieux au
Sénégal est-elle déterminante dans l'explication de la
persistance de ÇKeur Sergine biÈ dans le commerce illicite du
médicament?
Quels sont les enjeux qui sous-tendent cette persistance?
La vente illégale des médicaments répond t-
elle à un besoin social?
Quelles sont les conséquences sur la profession
pharmaceutique ?
La vente illicite des médicaments résulte-elle de
l'inefficacité des politiques de promotion des soins
médicamenteux?
|