II. 2. L'ancrage linguistique
Les « fragments non traduits du
vernaculaire » sont des termes issus de la langue natale du
poète et qui n'ont pas été traduits en français. La
plupart de ces « fragments non traduits » sont des noms de
localités (village ou quartier) : « LAGLIN »,
« NABDGO », « TAMPELGA »,
« DIDOURE », « TAMBOGO »,
« MONDEMBA », « ROPALLIN ».
En ce qui concerne « LAGLIN », c'est un
quartier de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, commandé par Lagem
Naba Tiigré, interlocuteur auprès du Moog Naaba.
« NABDGO » est un village de la province
du Boulkiemdé, situé à une trentaine de kilomètres
de Koudougou, chef lieu de province.
« MONDEMBA » est le village de
l'hospitalité. Sa situation géographique tout comme celle de
« DIDOURE », de « TAMPELGA », de
« TAMBOGO » et de « ROPALLIN » nous est
inconnue.
Le poète utilise également les termes
« SANGUI » et « ZAYBRE » qui
désignent des parures qui font du bruit et qui sont autour de la
ceinture quand on danse le « Warba ».
Le terme « Warba » utilisé dans le
poème « Concours de danse » est une danse
traditionnelle au cours de laquelle on fait tourner rien que le bassin.
Les « fragments non traduits du
vernaculaire » ne sont pas les seules marques culturelles dans les
poèmes. D'autres marques comme les images et les symboles peuvent
être relevée
II. 3 Images et Symboles
Les images et les symboles sont en nombre important dans les
poèmes de PACERE et il n'est pas donné à n'importe qui,
à un non - initié de les décoder. S'exprimer à base
d'images et de symboles relève de la compétence des griots, des
vieillards et de ceux qui ont subi les épreuves initiatiques avant
l'âge adulte. Notre entretien avec le poète a constitué une
phase initiatique pour nous et nous pouvons donner quelques significations
relatives à certains détours langagiers.
Les expressions et vers suivants révèlent la
complexité d'un langage fait de circonlocution :
« De tous ceux qui peuvent si
bien compter les cauris »
Le poète désigne ainsi les économistes.
Rappelons que les Yarsé étaient les économistes du Mogho
et faisaient du commerce en se déplaçant sur leurs ânes.
Les cauris étaient la monnaie d'échange.
« De tous ceux
Qui vomissent à l'extérieur
Ce qu'ils n'ont pas mangé à
l'intérieur
Qui montrent à longueur des temps
Des fleurs
Sur des champs de fumier
Et des carcasses de chantiers »
Il est question ici des ambassadeurs qui tiennent des propos
fallacieux.
« Qui tiennent haut la crachoir
Et qui finiront
Tous les bâvoirs de la
République ».
Le poète parle ici des avocats qui ne se lassent pas
d'afficher des positions partisanes.
« Qui sont corbeaux
Et séparent si bien ce que Dieu a
uni »
Ce sont les magistrats qui ont une justice autre que celle
venant de Dieu.
« De tous les ubiquitaires »
Ubiquitaire vient du latin "Ubique" et signifie
partout. Ce terme, selon le contexte d'emploi, désigne les journalistes
qui se font entendre partout.
« Tous les
éléphants »
Cette image renvoie au RDA qui est un parti politique dont le
père fondateur est Houphouet BOIGNY. Le Rassemblement
Démocratique Africain (R.D.A.) avait pour ambition de valoriser
l'Africain en lui restituant sa dignité. En Haute Volta, ce parti avait
des représentants parmi lesquels nous pouvons citer Daniel Ouézin
COULIBALY, Gérard KANGO, Maurice YAMEOGO.
« Tous les lions »
C'était le parti de feu Nazi BONI, le Mouvement
Populaire Africain (M.P.A.). Homme politique et de lettres, il s'est battu pour
la reconstitution de la Haute Volta.
« Et toutes les hypothétiques
problématiques
Il est question du parti P.R.A. (Parti du Regroupement
Africain). Ce parti est né à la faveur des alliances politiques
mais aussi des divisions. Entre 1958 et 1960 la cristallisation politique
débouche sur deux partis dont le R.D.A. et le P.R.A. Dès la fin
de l'année 1960 le président Maurice YAMEOGO imposera le parti
unique.
« Tous ceux
Qui partagent leur mil
Avant de le croquer »
Le parti socialiste du Professeur Joseph KI - ZERBO est ainsi
qualifié. C'était le M.L.N (Mouvement de Libération
Nationale). En fondant avec de nombreux patriotes Africains ce parti, KI
-ZERBO, décédé le 04 novembre 2006, allait faire campagne
pour le Non lors du référendum historique de 1958. Ce parti
luttait pour la souveraineté nationale du pays.
En parlant des « Gouffres insondables de
KIENDPALGO » le poète fait allusion au quartier des filles de
joie, des prostituées de la capitale de la Haute Volta.
« De tous les paralytiques
Accédés aux faites des
rôniers ! »
C'était la devise de Naba Gounga pour qui le
paralytique doit se montrer reconnaissant envers celui grâce à qui
il a accédé au sommet du rônier.
Il est question ici d'une invite à la reconnaissance,
à la gratitude envers celui qui nous rend service.
Le terme « Vampires » renvoie aux gens qui
sont incompris dans la société. Ils ont leur logique que personne
d'autre ne comprend.
Le poète lui-même s'identifie au
« Serpent » qui inaugure son marché avec l'ambition
de tout innové, de créer un nouveau monde. A travers
l'appellation « lionceaux » lui et ses frères se
reconnaissent. Ils sont les descendants d'une famille royale et sont
prédestinés au trône un jour.
Le « Mouta - Mouta » est un langage
voilé. Titinga PACERE bâtit une théorie à partir de
ce langage Tambouriné qui est la « Bendrologie ».
Le « Crapaud » fait penser à
l'homme « Moaga » qui vit sur une terre aride et
sèche (le sahel). Il est dans un milieu caractérisé par le
désespoir parce que les repères culturels se sont
effacés.
L'emploi de l'aphérèse
« Zanna » est important à signaler.
« C'est mon ami Zanna »
Le mot entier est Lamizanna (l'ami Zanna) est
déformé à cause de la parenté à plaisanterie
qui existe entre le poète et ce personnage. Sangoulé Lamizanna
était à la tête du premier régime militaire (de 1966
à décembre 1970). Il organise le retour à une vie
constitutionnelle aboutissant à la IIème république en
juin 1970. Lamizanna demeure président, et le RDA, vainqueur aux
législatives, dirige le gouvernement avec à sa tête
Gérard KANGO.
Les images et les symboles rendent compte de la mutation des
textes littéraires d'expression française dans le paysage
littéraire africain. Leur présence dans les textes permet de
sauver de l'oubli tout un héritage culturel négro- africain.
|