I - 2 Manifestations
Le dérèglement des moeurs se constate en
général par le bouleversement de l'ordre établi des
choses. La fin de certaines strophes, dont les écritures sont en gras et
en majuscule comme si c'est pour attirer l'attention, apportent des
précisions :
« TOUS SERONT LA,
FESSES SOUS PRESSES,
PANSE A TERRE,
TETE EN L'AIR ! »
« Tous seront là,
EAUX A TERRES
Bec en l'air,
PAGES
DERRIERE »
« Tous
Tous seront là
FEUX DEVANT,
VENTRE EN L'AIR,
CROIX
DERRIERE ! »
« Tous seront là
PIEDS EN L'AIR
VENTRE EN L'AIR
TETE EN
L'AIR ! »
Toutes les attitudes et dispositions normales sont devenues
l'inverse. Toute normalisation doit être envisagée afin que
l'équilibre biologique et social soit établi. Une
décadence semble évidente.
Celles-ci sont en proie aux conflits nés des rapports
de force où l'injustice, l'arbitraire et la violence s'imposent et
à l'infidélité des peuples africains aux moeurs anciennes.
La nature de ces conflits engendrés par la dénaturation des
sociétés africaines diffère de celle qu'elles connaissent
(dans « vouloir vivre », le conflit entre
agriculture et éleveur). Il est des conflits dus à de simples
relations conflictuelles interpersonnelles et d'autres dus à
l'aberration, à la perte de dignité et de certaines valeurs
morales.
Dans les sociétés traditionnelles africaines, le
divorce, évoqué dans le poème « Devant le
juge » et qui est dû à l'infidélité
des époux qui ne tiennent plus à coeur au respect du conjoint et
au-delà de lui de sa famille, était quasi inexistante. Les
mauvais rapports conjugaux et leurs conséquences sont ainsi
fustigés. Un tableau de la bêtise humaine est aussi
présenté :
« Il faut séparer !
Il faut séparer !
Séparer l'homme !
Séparer la femme
Séparer les enfants !
Séparer la poule,
Le coq,
Les poussins,
Le taureau,
La vache
Il faut partager,
Il faut partager,
le mil en deux,
Le chien en deux
L'eau du puits en deux,
Les amis en deux
Les ennemis en deux,
Le village en deux
La ville voisine en deux,
La terre en deux,
Le soleil et la lune en deux,
Dieu en deux,
Son paradis en deux
Son enfer en deux ! »
Tout doit être séparé, tout doit
être partagé pour que l'individualisme règne. Tout les
biens acquis ensemble, allant même jusqu'à la progéniture
doivent être répartis. On veut se les approprier individuellement
alors que les sociétés traditionnelles africaines prônaient
la collectivité, la dépendance mutuelle d'intérêt.
Par la séparation des biens matériels, nous assistons à
l'avènement du capitalisme basé sur le profit personnel et
à l'avènement d'une autre mentalité, d'une autre
façon de penser, d'envisager les choses. Ce changement est non seulement
individuel mais aussi général au sein des sociétés
africaines.
Les moments de joie « Son paradis en
deux » et les moments de douleurs « Son enfer en
deux » ne doivent plus être partagés. Par
conséquent la nature des rapports humains change à cause des
sentiments d'indifférence, de mépris et d'égoïsme qui
l'emportent sur la sympathie, le respect et la
générosité.
Un autre tableau de la bêtise humaine est
présenté dans le poème « concours de
danse » et concerne les rapports de force qui déterminent
le droit, la victoire, l'hégémonie. Une confrontation semble
exister pour une question de leadership politique et économique dans le
monde. Les rivalités, les conflits et les convoitises naissent
également de la jalousie et de l'envie de ressembler à l'autre au
lieu de se contenter de sa propre situation. Lisons :
« Quand le coup de gang
Retentit dans la
vallée,
Et que TOURBILLON
Changea de cap
Pour amortir la
mêlée,
On vit
Sur le sol,
Crispée,
Dénudée,
Gardant le diable au corps,
Pour ramener la couronne à la
lignée,
La plus Ephémère de la
création,
Que Seules
Les circonstances ont fait
démériter,
Tremblant nue,
Dansant nue,
Devant chacun qui se voile le visage !
La disqualification
Fut à l'unanimité !
Tout Warba se danse
Avec le SAGUI
Avec le ZAYBRE
La disqualification
Fut à l'unanimité
Et TOURBILLON
Qu'entraînèrent
Les cousins BOURRASQUE et CYCLONE
Fit voler cent toits de joie ! »
« Toute l'année
Le pique-boeuf
Pour ressembler au corbeau
La plus belle création du créateur,
Passa
Toute l'année,
Dans le puits d'indigot de TAMBOGO !
Toute l'année,
Le corbeau,
Pour ressembler au Pique - Boeufs,
La plus belle création du créateur
Passa
Toute l'année,
Dans le puits de kaolin de TAMBOGO !
La raison
Est dans le coeur,
Elle n'est pas
Dans le ventre !
Toute l'année,
Frère charognard et fils,
Dont les pantalons vinrent tout droit
De l'empire Sud du Ghana,
Toute l'année,
Monopolisèrent les fabriques
De graisse, beurre et parentés,
Pour être aux premiers rangs
Des tresses et lisses chevelures »
Le poète terminera par une morale qui
désapprouve l'argument de la force et l'avènement d'un monde
impitoyable. Il y a des manquements au respect des droits humains. Le plus fort
exerce sur le plus faible sa loi avec souvent une couverture juridique. La loi
d'exception, même si elle prend du temps pour infliger la peine à
ses victimes, elle ne pourrait triompher de la loi morale.
Par conséquent, le poète est convaincu que le
despotisme ou la tyrannie ne peut faire sa loi de manière sempiternelle.
Parmi les ruines sociales et culturelles un trésor peut toujours
être découvert et permettre une réhabilitation des
structures socio - culturelles traditionnelles qui faisaient la fierté
et l'authenticité des sociétés africaines. Une destruction
complète des artifices pourrait permettre une
régénérescence socio - culturelle. Mais avant
l'avènement de celle - ci, la loi du plus fort est toujours la meilleure
et nous pouvons le constater à travers la décadence des
sociétés africaines. Il y a une situation léthargique qui
s'installe et inquiète.
« Le monde d'aujourd'hui
Est de puissance !
La force
Détermine la victoire !
Toute faiblesse
Est EPHEMERE !
C'est le refrain quotidien
Des tam - tams ! »
Par le règne de la violence et des tyrannies,
l'équilibre social est brisé. Et si le bonheur réside dans
l'état de l'être, nous pouvons affirmer que cette situation des
sociétés traditionnelles déstabilisées plonge les
peuples noirs dans l'adversité, dans le malheur.
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