DEUXIEME PARTIE
EXPLORATION D'UN PASSE ET D'UNE CULTURE
CHAPITRE I
SOCIETES TRADITIONNELLES DENATUREES
Les sociétés traditionnelles africaines se sont
toujours distinguées des sociétés d'ailleurs par leur mode
de vie singulier et spécifique. Même à l'intérieur
des sociétés africaines, la vie des hommes varie d'une
société à une autre. Les civilisations diffèrent
également les unes des autres. Les loisirs - qui viennent rompre la
monotonie des jours - varient à l'infini et se diversifient selon
l'âge et le sexe.
Le statut des hommes varie à l'intérieur d'une
même société. On y trouve des rois et des chefs coutumiers,
des conseillers du roi, des pages, des nobles, des guerriers, des cultivateurs,
des éleveurs, des captifs de guerre ou esclaves, des griots, des
sorciers, féticheurs ou guérisseurs qui servent
d'intermédiaires entre le monde visible et le monde des esprits.
De nos jours avec la métamorphose de nos
sociétés traditionnelles, toutes les différences tendent
à s'estomper ou à être reléguées au second
plan à cause de la réorganisation des grands empires. Les
indépendances ont accéléré
« l'occidentalisation » de nos sociétés
fortement ébranlées dans leurs principes par la colonisation.
La nouvelle organisation des sociétés s'observe
dans des domaines bien déterminés : politique, culturel,
professionnel et religieux. On essaie de tout substituer en Afrique.
En effet, le pouvoir politique qui était entre les
mains des chefs traditionnels sera confisqué par de nombreux
maîtres issus du système colonial. Les Nanamse vont
perdre leurs attributs et leur pouvoir de diriger les affaires
intérieures et extérieures des sociétés :
« On rencontrera
Les rois Rivières
Rivières taries
Sur lesquelles
Poussent les arbustes du Sahel
Plus blancs que le crâne d'un blanc à
l'agonie
Tous les Foudres,
Soleils,
Eperviers portant l'enclume
Plus blancs que le crâne d'un blanc à
l'agonie
Tous,
Tous,
Tous,
Tous seront là.
EAUX A TERRES,
Bec en l'air,
PAGES
DERRIERE ! »
Les chefs coutumiers ont été non seulement
déchus mais aussi corrompus. Au lieu d'enseigner la morale, d'inviter
à la vertu, de forcer à la justice, de donner de bons exemples,
de réprimer les abus et les vices, ces souverains se laisseront
détourner de leurs devoirs par les nouveaux maîtres du
système colonial.
« Le petit Pierrot (7)
Plus gros que son cheval »
En outre sur le plan culturel, un bouleversement scandaleux du
mode
de vie entraîne la naissance de nouveaux
loisirs :
« Le marché
Est le Carrefour
De tous les amis,
Leurs ministres,
Leurs ministricules,
De tous ceux qui peuvent si bien
Compter les cauris,
Danser au Lou PARADOU ».
Le Lou PARADOU est une boîte
de nuit. Et qui parle de boîte de nuit parle de lieu où la
modernisation a fait son entrée avec pour inconvénient la
dépravation des moeurs.
Les femmes qui ne pouvaient se faire valoir rien qu'au foyer
voient leur statut changé.
Elles peuvent désormais fréquenter les
mêmes lieux que les hommes et montrer leurs charmes, leurs
artifices :
(7) Naba Kougri, intronisé en 1957 et
décédé en 1982 soit vingt cinq ans de règne.
« Il y aura
les grâces,
Les trois Grâces de l'Empire,
Qui sont les plus belles de la terre,
Elles ont les fesses d'un tueur de serpent,
Elles brillent et exhibent,
Poitrine au vent,
Leurs grandeurs sous les
étoiles ! »
Les « Grâces » sont les
épouses des représentants des trois premières institutions
républicaines (exécutif, législatif, et judiciaire) du
pays. Elles se démarquent carrément des femmes dont il est
question dans cet extrait de l'ouvrage de Joseph Ki-ZERBO intitulé
Histoire de l'Afrique noire :
« Les femmes, a-t-on dit, constituaient une
catégorie
particulièrement opprimée. Certes, la femme
africaine était
parfois une travailleuse et une source de
travailleurs
supplémentaires dans le champ d'un polygame. Elle
constituait parfois un bien d'échange, servant par la dévolution
en mariage, à consolider les relations sociales.
Mais la femme noire, malgré les mutilations
corporelles qu'on lui infligeait parfois, avait aussi des prérogatives
qui sont aux antipodes de l'oppression et qui lui donnaient un statut
enviable par rapport aux femmes de certains pays à
la même
époque (...).
A vrai dire, malgré les désavantages qu'elle
subissait
parfois, malgré la Diminutio Capitis qui en faisait
parfois
une sorte de mineure perpétuelle, la femme
africaine était
une source toujours vive et intarissable d'espoir. Rien
de plus gai qu'un groupe de femmes rassemblées
pour
porter le bois ou la récolte, pour piler, vanner le
mil et
cuisiner. Productrice de biens, productrice
d'enfants,
prêtresse, amante versant passionnément
l'ivresse
du vin du noir, la femme africaine a toujours
été
berceuse des peuples dans leurs labeurs
quotidiens,
leurs tribulations, leurs rêves et leurs angoisses,
leurs
voluptés et leurs joies » (8)
Aucune similitude ne semble exister entre l'image de ces trois
Grâces qui sont purement les produits de la modernité et celle des
femmes que nos sociétés traditionnelles ont connu et connaissent
- cela pour combien de temps encore - sous certains cieux. Au nom de
l'égalité entre les deux sexes, les tâches et les
rôles ne sont plus spécifiques à l'homme ou à la
femme. La femme ne sera plus l'élément conservateur de la
tradition mais une progressiste. Elle s'implique corps et âme à la
réorganisation des sociétés africaines. Une prise de
conscience de certaines violences se traduira par l'émergence d'une
nouvelle race de femmes. La transmission des valeurs sociales et morales au
sein de la cellule de base n'est plus assurée dans l'unicité du
couple mère - enfant.
(8) Joseph KI - ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, Editions
Hatier, Paris, 1978, P176
De plus si dans les sociétés traditionnelles
africaines l'on concevait difficilement qu'une femme ne s'investisse pas dans
tous les domaines où s'exerçait l'activité domestique, il
est, de nos jours, de plus en plus fréquent qu'elle n'exécute
plus des travaux ménagers à cause des activités
professionnelles. Loin de nous l'idée selon laquelle la femme dans la
société traditionnelle jouait un rôle de second plan. Le
nouveau statut de la femme trouble plus d'un et révèle parfois
une profonde misère morale des femmes dites modernes. Le bouleversement
des structures sociales entraîne une
dégradation des conditions de vie.
Par ailleurs, une administration coloniale nouvellement
instaurée fait voir le jour à des professions existantes sous une
autre forme dans nos sociétés traditionnelles. KI - ZERBO
l'atteste en ces termes :
« Le royaume mossi de Ouagadougou
était
une monarchie centralisée, à laquelle il
n'a
manqué q'une bureaucratie de
scribes,
et la rapidité des
communications pour
être comparable aux royaumes
européens
de son temps » (9)
De ces professions qui émanent de l'administration
coloniale, nous pouvons citer entre autres les fonctions de ministre,
d'ambassadeur et de journaliste.
En effet, de par le passé, les provinces du royaume
mossi étaient confiés à des ministres comme : le Widi
- Naba (chef des chevaux) sorte de premier
(9) Joseph KI - ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, Editions
Hatier, Paris, 1978, P256
ministre, conseiller et porte - parole politique dont l'une
des attributions spécifiques est la succession des rois, le Gounga Naba
(Ministre à compétence militaire), le Larlé - Naba qui en
plus de ses attributions militaires (général en chef) est
considéré comme expert ès - coutumes, le Baloum - Naba,
majordome et surintendant du palais chargé aussi des rites religieux
comme l'entretien du feu royal et transport des vases sacrées (tibo), le
Kamsaogho - Naba, eunuque chargé du harem et de l'exécution des
hautes oeuvres puis le Samandé Naba (chef de la cour
extérieure).
Quant aux fonctions d'ambassadeur, de magistrat et d'avocat,
elles étaient exercées par le roi lui-même, juge absolu,
les chefs de villages et de cantons. Ils étaient tous soumis aux
mêmes lois que le commun des mortels du royaume. Leur
intégrité et leur impartialité vis-à-vis du peuple
étaient un devoir moral auquel il ne fallait pas faillir. De nos jours,
les extraits suivants montrent la disparition de certaines précieuses
valeurs telles que l'honnêteté et la justice.
« Le marché
est le carrefour
De tous ceux
Qui vomissent à l'extérieur
Ce qu'ils n'ont pas mangé à
l'intérieur
Qui montre à longueur des temps
Des fleurs
Sur des champs de fumier
Et des carcasses de chantiers,
Qui tiennent haut le crachoir
Et qui finiront
Tous les bavoirs de la république
Qui sont corbeaux
Et séparent si bien ce que Dieu a
uni ! ».
Ces extraits révèlent les pratiques avilisantes
des ambassadeurs « ceux qui vomissent à l'extérieur
ce qu'ils n'ont pas mangé à l'intérieur »
et des avocats « qui tiennent haut le crachoir et qui finiront
tous les bavoirs de la république » et des magistrats
« qui sont corbeaux et séparent... » En
refusant de dire la vérité, de défendre des causes nobles
et de rendre la justice, diplomates, avocats et magistrats agissent de
manière sordide et ne se présentent pas comme des modèles
sur les plans éthique et professionnel. Les uns embellissent ce qui est
laid et les autres ne méritent aucune confiance des justiciables. Aucune
crédibilité ne peut leur être accordée et leur
dignité est échangée contre des richesses
matérielles et éphémères. Sont devenues
désuètes les valeurs morales enseignées par la sagesse
africaine, la morale des contes et des fables.
La fonction du journaliste est évoquée à
travers les vers ci-dessous :
« Le carrefour
De tous les ubiquitaires
Qui
A mille lieux à la ronde
Se font voir,
Sans jamais être vus »
La fonction de griot, qui a été remplacée
partiellement par celle du journaliste, connut une fin tragique :
« Tous les archers mythes
séculaires,
Plus asséchés que leurs
arcs »
Pourtant combien était noble ce métier :
« Ils étaient chargés de rattacher
les vivants
D'aujourd'hui aux vivants d'hier, par une
Récitation rituelle et sans
faille »
A l'instar des domaines politique, culturel et professionnel,
le domaine religieux n'a pas été à l'abri du changement
dans les pratiques rituelles. C'est ainsi que l'animisme dans les
sociétés traditionnelles fit place aux religions
révélées que sont l'islam et le christianisme :
« Il y aura aussi,
Tous ceux
Tous ceux,
Tous ceux qui fredonnent des
CREDO tous les matins
Sous les coupoles »
Ces religions révélées vont
empêcher l'existence de l'harmonie intérieure et extérieure
de l'homme noir et portera ainsi atteinte à la noblesse d'antan de son
âme. Joseph KI - ZERBO nous éclaire sur le rôle
déterminant que jouait la religion dans la vie des Africains :
«...écrasé par les forces naturelles
ambiantes, l'homme
noir a élaboré une vision du monde
conçu comme un
gigantesque match de forces à conjurer ou
exploiter.
Dans cet océan de flux dynamiques en conflit, il
s'est
fait poisson pour nager. Plutôt que de
dompter,
il a préféré participer. Il a
gagné à cette attitude
une prodigieuse richesse émotionnelle et
existentielle,
spirituelle aussi. (...) L'homme pouvait régner sur
le
monde par le rite et par le verbe... (10)
Religion, philosophie, mentalité et organisation
sociale qui régissaient les sociétés traditionnelles
africaines seront en déclin. De profondes réformes structurelles
et institutionnelles sont à l'origine de la déperdition des
sociétés africaines qui ne cessent d'être des immenses
chantiers de transformation. Elles engendrent des conflits entre les ethnies
qui se sont cristallisées et créent le mimétisme culturel.
Il est donc légitime de s'opposer à ces réformes qui
aliènent, qui détruisent l'identité plurielle des peuples
africains. La diversité culturelle doit être un tremplin de
développement. Mais une uniformisation des cultures serait un obstacle
aux différentes expressions culturelles.
Pour se développer, les sociétés
africaines doivent extraire en elles mêmes le maximum de génie. Le
développement doit être endogène et si jusque là
elles en ont été incapables, des facteurs le justifient.
(10) Joseph KI-ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, Edition
Hatier, Paris, 1978, P. 17
I -1 FACTEURS
Les facteurs de la métamorphose des
sociétés traditionnelles africaines sont multiples et
variées . Ils sont tous inhérents aux dérives d'une
vie dépourvue de sagesse africaine, de repères socio - culturels.
La perversion, la fausseté, l'injustice, la corruption,
le cartésianisme, l'avènement des nouvelles religions, la
substitution des structures traditionnelles par celles modernes, font perdre
aux sociétés traditionnelles leur identité culturelle.
Dans le marché qui représente un
véritable « Carrefour », les
différentes facettes de la société dénaturée
se donnent à voir. Le marché qui autrefois offrait un cadre de
rencontres chaleureuses entre parents et amis devient un lieu où les
travers de la société sont visibles et rivalisent pour
assiéger les mentalités. Le mensonge est dénoncé
à travers les ambassadeurs qui vont à l'étranger dire rien
que du bien du pays alors que rien ne va. Chargés de représenter
leurs pays à l'étranger, les ambassadeurs dépeignent une
situation agréable des sociétés africaines qui sont
pourtant en proie à l'injustice sociale et à la transgression des
droits humains les plus élémentaires :
« Le marché
est le carrefour
De tous ceux
Qui vomissent à l'extérieur
Ce qu'ils n'ont pas mangé à
l'intérieur
Qui montre à longueur des temps
Des fleurs
Sur des champs de fumier »
« Les champs de fumier »
représentent toutes les exactions que multiplient chaque jour certains
pouvoirs politiques. Toutes les actions qui rebutent et qui sont viles sont
désignées par le terme
« fumier ».
L'injustice commise par les hommes censés être
les garants de la justice est évoquée :
« Qui tiennent haut le crachoir
Et qui finiront
Tous les bâvoirs de la République
Qui sont corbeaux
Et séparent si bien ce que Dieu a
uni ! »
Les détenteurs d'une parcelle de pouvoir sont
indexés à cause de l'abus de leur autorité. Ils se
prennent pour des Tout - puissants et ne font que ce qu'ils veulent :
« Le marché
Est le carrefour
De tous ceux
Qui représentent
Que,
Seul,
Un Seigneur sectaire,
Dans sa magnanimité,
Ouvrira
Les portes d'un paradis »
L'identité et les pratiques ignobles des dirigeants et
des partis politiques se découvrent :
« On y verra
Tous les éléphants
Qui se feront digérer
Par des larrons,
Tous les lions
Et toutes les hypothétiques problématiques
Coincées avant la Genèse,
Tous ceux
Qui partagent leur mil
Avant de le croquer,
Tous ceux
Qui croquent leur mil
Sans le partager,
Tous ceux
Qui partagent le mil des autres,
Avant de tout croquer
Et tous ceux qui ne savent pas
Où ils se sont mouchés la
veille »
« Mais il y aura
Tous ceux qui honorent la honte
Qui n'ont pas peur
En pissant froid. »
Les assassinats politiques (« coincés
avant la Genèse », renvoie à la mort accidentelle,
à Sakoinsé, de Nazi BONI), la gabegie, l'égoïsme, les
intérêts personnels et les promesses non tenues sont autant de
bavures commises par les dirigeants politiques et ceux qui aspirent à la
conquête du pouvoir.
Par ailleurs, les sociétés traditionnelles
africaines ont plus d'inclination aux superstitions. Tout acte, tout
événement, tout rêve, toute maladie, tout incident, etc.,
n'est fortuit. Tout s'interprète et s'explique grâce aux sciences
occultes (divination, magie, spiritisme, etc.).
Convaincues de l'influence de forces invisibles qui habitent
la nature, forces avec lesquelles des rapports harmonieux doivent exister, les
pratiques et les croyances ont toujours eu une signification surnaturelle.
Le mysticisme occupe une place importante dans le vécu
quotidien des Africains qui ont une grande dévotion pour les
divinités dont il faut craindre les représailles.
Cependant toutes les institutions religieuses nouvellement
implantées en Afrique et la prise en compte des méthodes
rationnelles dans les réflexions ont fortement ébranlé les
convictions des peuples et ont été à l'origine de leur
aberration.
« Il y aura aussi
Tous ceux,
Tous ceux,
Tous ceux qui fredonnent des CREDO
Tous les matins sous les coupoles
Et qui
Le soir venu,
Disparaissent dans les gouffres
Insondables de KIENPALGO »
« Il y aura aussi
Tous ceux qui pensent
Dur comme fer,
Que l'égalité
Est une chimère,
Que la terre
Est moins prospère,
Que la vie
Se détériore,
Que Satan
Est le plus fort,
Qu'il faut enterrer les Eglises
Et chanter autour du feu ! »
« Il y aura aussi
Tous ceux qui pensent
Dur comme fer,
Que c'est l'homme
Qui danse en rond,
Que c'est Dieu
Qui est Satan,
Que Satan
Notre Dieu,
Qu'il faut construire les temples
Et y adorer le feu ! »
L'homme noir va élaborer une autre vision du monde. Les
richesses émotionnelles, existentielles et spirituelles vont être
sérieusement compromises, voire détruites. Les liens sociaux,
spirituels et humains sont dénaturés. Le développement
sera envisagé désormais à partir de la culture
étrangère. Tout un héritage culturel, au lieu d'être
entretenu,est banalisé, voire abandonné. Cette
déculturation engendre des conséquences désastreuses qui
ne seront pas occultées.
Par ailleurs, nos sociétés africaines avaient
des institutions propres à elles qui sont pour la plupart sapées.
Notons que les institutions en Afrique varient à l'infini selon les
sociétés. Nous n'avons pas la prétention de les
énumérer toutes. Quelques unes qui leur sont propres nous
intéresseront.
Les différentes institutions ont soit un
caractère politique, soit un caractère social, soit un
caractère économique, soit un caractère religieux. Au
niveau des institutions politiques, nous pouvons citer la
« chefferie » représentée actuellement par le
pouvoir exécutif ; le « conseil de sage »
constitué d'hommes dont l'autorité morale est sans
conteste ; les « cantons » qui sont des subdivisions
territoriales dirigées par des chefs désignés par
l'empereur ; l'« armée » constituée de
guerriers qui protègent les intérêts du royaume et
travaillent à son extension.
Les faits sociaux tels que le mariage, les loisirs (danse,
chasse, soirée de conte...) constituent des institutions sociales. A
travers ces institutions, les hommes se responsabilisent et se donnent des
moments de divertissement qui ont aussi une portée
pédagogique.
L'existence des castes au sein des sociétés
traditionnelles constitue une de leur particularité. La caste est un
groupe social composé d'individus partageant un même statut
hiérarchique et exerçant généralement une
activité professionnelle commune. Ainsi au sein de nos
sociétés traditionnelles il existe la caste des griots, la caste
des forgerons, la caste des pages, etc.
Par ailleurs, il existait au sein des sociétés
africaines traditionnelles l'achat, la vente, l'échange de marchandises,
de denrée. Une telle activité est appelée commerce. Elle
permet la distribution de ce qui est nécessaire aux besoins des hommes.
Le commerce constitue une institution économique qui n'était pas
négligeable car elle rapprochait les cultures et les hommes.
L'intégration des peuples était effective grâce à
cette institution économique.
Aux institutions socio - politiques et économiques
s'ajoutent celles qui ont un caractère religieux ou sacré. Les
rites coutumiers, les initiations, les funérailles et la sortie des
masques sont entre autres des pratiques qui relèvent de la croyance des
Africains. Les initiations permettent le passage de l'état
d'immaturité à l'état mature par des exercices physiques
et moraux très éprouvant. Ils permettent également
l'intégration de certaines personnes novices dans des
sociétés sécrètes.
S'agissant des funérailles, elles constituent
l'ensemble des cérémonies solennelles qui accompagnent le repos
éternel d'un mort. Au cours des funérailles d'une personne
âgée, la sortie des masques qui incarnent les
éléments du monde invisible permet l'accession de l'âme au
monde des ancêtres qui intercèdent pour les vivants.
Les rites, de façon générale,
confèrent un caractère sacré aux différentes
pratiques qui ont lieu dans la société. Il existe les rites
nuptiaux, les rites funéraires, les rites de purification, les rites de
demande de pardon, les rites de demande d'aide, les rites de fête,
etc.
Toutes les institutions traditionnelles de l'Afrique n'ont
plus la même envergure qu'avant. Elles sont délaissées au
profit d'autres qui sont propres à d'autres peuples jugés
civilisés et plus évolués.
Ces derniers sont pris pour des modèles sur tous les
plans et tout le mécanisme de mimétisme mis en place vise
à faire des Africains des clones parfaits de ces sociétés
occidentales. Mais engagés toujours dans la lutte pour le
développement, les pays africains rencontrent les mêmes
difficultés. Il est temps de se convaincre que le développement
économique et la renaissance sociale et culturelle de l'Afrique ne passe
certainement pas par l'imitation.
Par ailleurs, les institutions légitiment certaines
pratiques qui portent sérieusement atteinte à
l'intégrité physique et morale des Africains. Celles - ci
reposent sur des fondements difficilement ébranlables et se
révèlent pérennes. Ces pratiques traditionnelles qui
reposent sur des valeurs socio - culturelles, religieuses, hygiéniques
et esthétiques sont entre autre le lévirat, le sororat, le
mariage forcé, les mutilations génitales féminines, les
scarifications, etc. Toutes ces pratiques bien acceptées dans les
sociétés africaines traditionnelles visaient à sauvegarder
les liens familiaux et la dot
(lévirat, sororat), à témoigner ses
amitiés (mariage forcé ou précoce) à assurer la
virginité et la fidélité des filles et des épouses
(mutilation génitale féminine), à soigner ou à
embellir (les scarifications). Les raisons des pratiques sont nobles mais leurs
conséquences sont redoutables.
En définitive des institutions sont propres aux
sociétés traditionnelles africaines. Elles permettent une vie
paisible et prospère au sein d'elles bien qu'elles autorisent certaines
pratiques néfastes à l'homme. Les pratiques traditionnelles,
même si elles se sont cristallisées peuvent s'estomper par la
clarification des valeurs qui permet une analyse de celles - ci sur les plans
moral, social, religieux, économique et sanitaire en vue de les
renforcer ou de les affaiblir. La clarification des valeurs peut se faire
à travers une étude de cas, un jeu de rôle, une discussion
de groupe, une simulation, un jeu, un questionnaire anonyme, etc. Avec un recul
de ceux qui détiennent les rennes des institutions traditionnelles et
une ouverture de leur part, les pratiques peuvent être plus commodes et
plus profitables. Ainsi nos sociétés gagneraient en rayonnement
grâce à la correction de certains comportements nuisibles. Le
rayonnement que l'on pense obtenir par le mimétisme paraît
impossible. Nos sociétés africaines ne peuvent rayonner que
grâce à leur culture.
Pour conclure cette partie, nous énumérons, sous
forme de tableau récapitulatif, des pratiques traditionnelles sous -
tendues par des « valeurs ». Elles paraissent
néfastes et rétrogrades.
LISTES DES PRATIQUES TRADITIONNELLES :
Pratiques traditionnelles
|
Raisons qui soutiennent les pratiques
|
L'excision
|
- pureté, hygiène, changement de statut :
passage de l'enfance à l'adolescence pour être accepter
socialement
- garantir la fidélité, le respect des coutumes et
de la religion
|
Mariages forcés et précoces, maternités
précoces
|
Fondement religieux (rapports sexuels interdits hors mariage),
préservation de la virginité de la fille, respect des liens
familiaux, de l'amitié, peur de l'inceste et de grossesse hors
mariage
|
Les scarifications
|
Moyen d'identification du groupe ethnique - esthétique -
soins de santé
|
Le tatouage des gencives, des lèvres, des joues
|
Esthétique - acte de bravoure
|
Le percement du lobe de l'oreille, du nez, des lèvres
|
Esthétique
Limite de la parole
|
L'extraction des dents de lait
|
Pendant la dentition, en cas de diarrhée extraction des
canines considérées comme mauvaises dents qui peuvent
empêcher l'enfant de grandir.
|
Les tabous nutritionnels
Exemples
a) OEufs
b) Citron
c) Lait caillé
d) Piment et autre épices
|
Respect des coutumes et traditions pour prévenir certains
vices et comportements déviant les enfants et les femmes :
- l'enfant qui mange des oeufs devient voleur - respect de la
vie
- l'enfant devient méchant
- peut provoquer des grossesses rapprochées
- pour la femme en grossesse : enfant pleurnichard et
nerveux
|
Le gavage
|
- Donner force et santé à l'enfant
- Pour la femme : pour rentrer dans les grâces du
mari, rang prestigieux, charme, prestige
- Pour le mari signe d'aisance « mari
capable », embonpoint
|
Ceinture de grossesse
|
Aux environs du 5ème et 6ème
mois de la grossesse, ceinture autour de l'abdomen pour fixer le foetus et
l'empêcher de remonter ou qu'il ne soit pas trop gros.
|
Sevrage précoce
|
En cas de grossesse précoce
|
Massage ou écrasement des seins après
l'accouchement
|
Faciliter la montée laiteuse, éliminer le colostrum
considéré mauvais pour l'enfant.
|
Abstinence de rapports sexuels pendant la grossesse
|
Respect des coutumes, risques d'avortement
|
Abstinence de rapports sexuels pendant la période de
l'allaitement
|
Détériorer le lait maternel, affecter la
santé de l'enfant.
|
Taille des dents
|
Esthétique, acte de bravoure.
|
Lévirat et sororat
|
Sauvegarder la dot et les liens familiaux.
|
Interdiction du premier lait colostrum à l'enfant
|
- Respect des coutumes et traditions
- Premier lait considéré mauvais
|
Interdiction de rendre visite aux parents avant l'accouchement
|
Risque d'avortement ou de malformation du foetus.
|
Dot très élevée
|
Valoriser la femme, recherche d'un enrichissement
|
Confession obligatoire de la mère en cas de
difficulté d'accouchement
|
Lutter contre l'adultère
|
Sevrage brusque en cas de suspicion de grossesse
|
Sauvegarder l'enfant et préserver la grossesse
|
Lavement évacuateur à base de décoction de
plantes
|
Purge et soins de l'enfant
|
Exclusion sociale des femmes et des filles
|
Sorcellerie, non respect des coutumes et traditions, refus de
mariage forcé par la fille
|
Exclusion sociale de certaines catégories d'enfants :
jumeaux, albinos
|
Enfant porte malheur
|
Ségrégation en matière d'éducation et
de traitement entre filles et garçons, sous - scolarisation des
filles
|
Respect de la tradition en matière de code
éducationnel, respect du rôle traditionnel de la femme au foyer
|
Inégale répartition des tâches entre l'homme
et la femme
|
Respect de l'ordre social traditionnel
|
Déshéritage de la femme par ses beaux parents
|
Respect de la tradition reléguant la femme au second
plan
|
Problème de caste dans les mariages et autres rapports
dans la société
|
Respect des coutumes et traditions
|
Exclusion familiale des filles en grossesse
|
Respect des coutumes et traditions sauvegarder l'honneur de la
famille
|
Le non accès de la femme à la terre
|
La terre est sacrée, possibilité pour la femme de
changer de famille
|
Déshéritage des jeunes enfants par leur oncle ou
grands - parents
|
Non maturité des enfants, respect des traditions sur la
gestion de la communauté familiale
|
Rejet des femmes n'ayant pas de poils sur le pubis
|
Femme porte malheur
|
Rejet de la femme stérile
|
Impossibilité de perpétuer la famille
|
Cicatrisations spécifiques des femmes mariées et
non mariées
|
Identification des femmes de part leur statut,
préservation des femmes mariées des tentations masculines.
|
En dépit de ces pratiques, l'Afrique ancestrale
était forte de sa sagesse traditionnelle et de sa maîtrise du
verbe. Le malaise social émane surtout de cette absence de
circonspection et d'inspiration de nos valeurs
|