I.2 Aperçu général de l'oeuvre
Ça tire sous le sahel, sous-titré
«Satires nègres », puis
« Satires », est un recueil de poèmes. Il
comporte en tout six poèmes n'ayant pas la même consistance. Le
poème le plus long est « L'appel du
tambour ». L'ensemble des techniques qui régissent
l'organisation d'un poème en vers réguliers n'a pas
été pris en compte par le poète. Ainsi les vers des
poèmes dont les mesures sont mêlées selon le caprice du
poète sont libres et spasmodiques.
Le livre est une oeuvre de jeunesse au même titre que
Refrains sous le sahel. Il est un recueil de satire et on y retrouve
évidemment l'esprit de révolte. Une superposition de styles
à savoir celui de la parenté à plaisanterie
(Rakiré) \u9334(c)é, celui de la circonlocution et enfin celui
où l'on fait parler les animaux qui est un style particulier du milieu
traditionnel et qui invite à voir les choses sous l'angle imagé.
Le poète use aussi de beaucoup de comparaisons qui renforcent la
dénonciation.
Signalons que le rakiré ou dakiré est une
institution réglant par des lois spéciales, certains domaines des
rapports entre conjoints et leur belle - famille, entre familles alliées
ou entre ethnies entières. A partir de cette définition nous
pouvons distinguer plusieurs types de parentés à plaisanterie.
Prosper KOMPAORE en distingue trois :
« 1 - La parenté à plaisanterie
basée sur une légende ou un mythe.
Ce type de parenté affecte
généralement des ethnies ou des castes
différentes.
(3) Le Rakiré est une forme satirique courante dans la
culture des sociétés africaines que le poète utilise
beaucoup dans ses écrits sous qu'elle ne ôte le style de son
caractère acéré.
2 - La parenté à plaisanterie basée
sur l'histoire ou des récits à caractère historique ;
elle affecte généralement des ethnies ou des castes
différentes situées dans des villages différents.
3 - La parenté à plaisanterie basée
sur des relations d'alliance ; ce type de parenté le plus courant,
affecte des villages ou des familles liés par des relations
d'alliance. » (4)
Tous ces types de parenté à plaisanterie visent
à prévenir les conflits et à promouvoir une coexistence
pacifique.
Des injures peuvent être proférées par les
individus sans qu'une tension quelconque ne naisse car cela relève
toujours des plaisanteries qui alimenteront de simples causeries ou
atténueront une douleur (décès par exemple). Ainsi donc
ça tire sous le sahel apparaît être une critique
plaisante
mais qui se veut conscientisante. André NYAMBA, du
département de sociologie, à l'université de Ouagadougou
nous dresse un tableau des alliances et des parentés à
plaisanterie qui existent entre ethnies (5).
(4) Prosper KOMPAORE, « La parenté à
plaisanterie : une catharsis sociale au profit de la paix et de la
cohesion au Burkina Faso in les Grandes Conférences du Ministère
de la Communication et de la Culture, Ouagadougou, 1999, PP 109 - 110
(5) André NYAMBA, « La problématique
des alliances et des parentés à plaisanterie au BF :
Histoire, pratique et devenir » in Les Grandes Conférences du
Ministère de la Communication et de la Culture, Ouagadougou, 1999, P7
Ethnies concernées
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Ethnies Alliées
|
Bissa
|
Gourounsi, Yarcé, Samo
|
Birifor
|
Lobi, Goin, Dafing
|
Bwaba
|
Peulh, Sembla, Dafing
|
Bobo
|
Peulh, Sembla, Dafing
|
Bozo
|
Dogon
|
Dafing ou Marka
|
Peulh, Bobo-Dioula, Bwaba
|
Dagara
|
Siamu, Sénoufo, Goin
|
Djan
|
Goin
|
Dogon
|
Bozo
|
Fulsé
|
Gourounsi, Gourmantché, Bissa
|
Gourounsi
|
Bissa, Yarcé, Djerma
|
Gourmantché
|
Yarcé
|
Goin
|
Lobi, Djan, Dagara
|
Jula
|
Lobi
|
Lobi
|
Jula, Goin, Birifor
|
Mossi
|
Samo
|
Peulh
|
Bobo, Yarcé, Bambara, Marancé, Dioussambé
|
Pougouli
|
Dagara, Peulh, Goin, Bwaba, Turka, Sénoufo
|
Samo
|
Mossi, Bissa
|
Sénoufo
|
Dagara, Lobi, Djan
|
Sembla
|
Toussian, Bobo - Dioula, Bwaba
|
Siami
|
Djan, Lobi, Dagara, Pougouli
|
Toussian
|
Sembla, Lobi, Dagara
|
Turka
|
Peulh, Bwaba
|
Vigué
|
Peulh, Bwaba
|
Winy
|
Peulh, Bossa, Goin, Logana, Djerma
|
Yana
|
Zaoussè, (Diabo)
|
Par ailleurs, tous les poèmes sont irrigués par
des refrains qui véhiculent les messages clés des
différents poèmes. Léon YEPRI relèvera leur
« retour cyclique » (6) dans son ouvrage.
« L'appel du tambour » est le
premier poème du recueil. Il évoque un rituel car chez les
moosé avant de commencer quelque chose d'important, il
(6) Léon YEPPRI, Titinga Frédéric
PACERE, le Tambour de l'Afrique poétique, l'Harmattan 1999.
faut rassembler les gens et le tambour est utilisé
à cet effet.
Le tambour, avec de nombreux autres instruments à corde
ou à vent, est un instrument profane de musique. Au rassemblement qui
aura lieu, il y aura des archers et leur présence présage une
attaque car il y a un problème. A la rencontre toutes les couches
socioprofessionnelles, certaines incarnant des vices, seront
présentes : ministres, économistes, avocats, magistrats,
journalistes, politiciens, dirigeants politiques, militaires, chefs coutumiers,
griots, chefs déchus, philosophes, femmes de présidents
d'institutions, musulmans, forgerons, tisserands, exilés politiques.
Dans le même poème, la fraternité
parentale est constamment exaltée à travers
l'élément du refrain :
« Fils de mes Pères »
« Le vouloir - vivre » est un
poème où le problème de la différence, de la
grandeur mais aussi de la faiblesse est évoqué. Une situation
conflictuelle existe non seulement entre deux Peulhs (père et fils) mais
aussi entre sédentaires - cultivateurs et nomades - éleveurs. Un
Peulh doit être puni parce que :
« Le mil de sa grandeur
Ne saurait avoir pour destin
La langue d'une vache »
Le père ne voulant pas mourir veut livrer son fils
à la colère du Naaba :
« Naaba
Naaba
Sambo et moi
Nous sommes tous des Peulhs !
Nous ne sommes pas des frères !:
C'est moi qui ai mis Sambo au monde
Mais,
Naaba,
Naaba,
Avouons,
Que Sambo aussi
N'est pas de ce siècle ! »
Signalons que le texte poétique réécrit
un texte oral populaire. Des rapports textuels identifiables existent entre
l'ordre de l'oral et celui du scriptural. Une étude
d'intertextualité peut être faite et témoigner de
l'attachement du poète à son milieu culturel qui l'inspire.
« Le concours de danse »
s'assimile à une compétition, à une rivalité
entre les hommes. Tout le monde est convié à ce concours et
chacun danse avec ses moyens. Mais on sombre dans l'arbitraire car il n' y a
pas eu de critères objectifs à partir desquels un verdict
impartial devait être rendu. Le poète exprime alors sa
révolte face à cette injustice sociale. Des personnages acteurs
animaux jouent leurs rôles devant un public.
Dans le poème « Devant le
juge », le thème abordé est la séparation.
Un divorce est demandé au juge parce que chacun des protagonistes s'est
rendu coupable d'adultère. Le poème est bâti sur la
contrariété car les accusations sont réciproques et se
succèdent.
« Voltacidé », le titre du
cinquième poème est un mot composé de
« volta » (qui vient de la Haute Volta) et de
« cidé » (qui signifie tué). Ce mot
« Voltacidé » traduit un désastre, lequel
désastre compromet l'avenir des futures
générations :
« Dans un trou,
Mamadou et Bineta pleurent !
C'est le carnaval des Maudits. »
Dans « Le serpent inaugure son
marché », il est question d'une prise de décision
qui consiste à créer un autre monde et un autre style plus
acéré afin de rendre la dénonciation plus acerbe. La
société africaine, dépourvue de ce qui lui était
vital, est détruite. Le silence ne peut donc prévaloir
après un tel ethnocide. Des souvenirs lourds de tortures subies par le
poète et par des semblables seront évoqués dans presque
tous ces poèmes, notamment dans Quant s'envolent les grues
couronnées et dans Poèmes pour l'Angola.
En définitive tous les poèmes du recueil
renferment la même thématique à savoir la décadence
des sociétés africaines. Les facteurs et les manifestations de
cette décadence apparaissent clairement dans les poèmes qui se
complètent merveilleusement. La deuxième partie de notre
mémoire sera consacrée à leur identification.
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