PREMIERE PARTIE
PRESENTATION DE LA THEORIE, DE L'AUTEUR ET DE
L'OEUVRE
CHAPITRE I
DE LA DECONSTRUCTION
Vers la fin des années 1960, une école de
philosophie a inspiré de multiples recherches tant en philosophie, en
littérature, en art, en politique qu'en théologie. Cette
école, dont le français Jacques DERRIDA est l'un des fondateurs,
propose une théorie de lecture qui vise une herméneutique de la
logique de l'opposition dans les textes. Le nom de la théorie est la
« déconstruction » qui n'est pas synonyme de
« destruction ».
C'est lors d'un colloque à la John Hopkins University
de Baltimore en octobre 1966, qu'apparut aux Etats-Unis une mode de
pensée propre à des penseurs français porteurs d'une
philosophie du doute. Le colloque, était organisé par René
GIRARD sur le thème « Languages of criticism and the sciences
of Man » et réunissait BARTHES, DERRIDA,GOLDMAN, LANCAN,
POULET, TODOROV et VERNANT. C'est alors qu'aurait commencé à se
répandre le concept de « déconstruction »
pour l'interprétation des textes. Diffusée d'abord dans le monde
anglo-saxon, cette notion connaîtra un retentissement international.
La déconstruction est une méthode
particulière d'analyse textuelle qui vise à indiquer des
incompatibilités logiques ou rhétoriques entre les plans
explicites et implicites du discours. Elle ne connaît aucune fixation
conceptuelle et exclut même la distinction traditionnelle entre le
« sens original » et le « sens
métaphorique ».
La déconstruction comme forme de lecture critique est
liée à l'arrivée du poststructuralisme. En plus des
influences de Friedrich NIETZCHE et Martin HEIDEGGER auteurs des concepts
fondateurs de l'ontologie en métaphysique, plusieurs des concepts
principaux de DERRIDA sont dérivés de la linguistique structurale
de SAUSSURE qui se caractérise par le fait qu'elle se contente de
classer les énoncés, de décrire leur fonctionnement
structural sans se préoccuper de leur rapport avec d'autres
éléments extra - textuels.
Le structuralisme dont l'esprit a prévalu entre 1960 et
1970 postule, au sujet de la langue, que la nature arbitraire du signe
linguistique comporte un signifiant et un signifié. En fondant sa
théorie dans la nature arbitraire du signe, SAUSSURE a affirmé
que la signification d'un mot est arbitraire mais convenue par convention
sociale.
Par conséquent les mots acquièrent la valeur de
l'identité non pas par n'importe quelle correspondance normale entre
signifiant et signifié mais par l'opposition de chaque mot dans un
système d'inter - dépendance où les signifiants et les
signifiés sont définis en terme de présence et d'absence
que SAUSSURE appelle « différence ». Le concept de
la différence est crucial chez DERRIDA, qui l'emploie pour fonder sa
théorie de la déconstruction qui indique toujours la
différence dans l'unité.
Un des exemples les plus clairs de DERRIDA d'une lecture
déconstructive concerne la relation entre le discours et la lecture. Il
approche ce problème, en confirmant historiquement la priorité de
la voix au dessus de la lettre : la parole est immédiate, actuelle
et authentique parce qu'elle est poussée par un orateur qui entend et se
comprend simultanément. En revanche, l'inscription est la copie de la
parole et est donc dérivée, retardée. En décrivant
une hiérarchie de Parole/Ecriture de cette façon, DERRIDA montre
comment SAUSSURE inverse la hiérarchie, accordant la priorité
à l'écriture. La parole et l'écriture sont
englobées dans un plus grand champ linguistique dans lequel toute la
langue, parlée et écrite, est constituée par la
différence plutôt que la hiérarchie.
La problématique de notre lecture déconstructive
se situe par rapport à l'opposition binaire
déchéance/grandeur. Considérant que la grandeur
des sociétés africaines traditionnelles est authentique parce
qu'elle n'a pas été altérée et que la
déchéance émane d'une métamorphose, voire d'une
aliénation de ces sociétés, nous voulons montrer comment
le recueil de poèmes ça tire sous le Sahel inverse la
hiérarchie en accordant la priorité à la
déchéance.
L'opposition binaire déchéance/grandeur
qui apparaît dans le texte grâce aux présuppositions est mal
structurée hiérarchiquement. La représentation normale
veut que la déchéance soit une dérivée, un effet de
la grandeur bafouée. Dès lors que le jeu sur la chronologie n'a
pas été respecté, nous pouvons dire que le poète
met surtout en valeur la décadence des sociétés
africaines.
En définitive, l'objectif visé par cette
étude est de déstabiliser l'opposition binaire
présentée implicitement dans le texte. La théorie
derridienne permet une investigation dialectique dont le résultat serait
la synthèse de la grandeur et de la déchéance. Dans notre
approche d'identification de l'opposition binaire, nous ne visons pas la
destruction de l'être textuel. En effet, l'un des risques de cette
théorie est le fait qu'elle peut nous plonger dans l'absurde. S'il faut
détruire les structures traditionnelles ou déjà
existantes, rien à priori ne serait accepté comme valable, comme
solide, comme structurellement bien élaboré.
A l'instar de toute théorie, la déconstruction a
des forces et des faiblesses. Sa tâche consiste à rechercher
à travers tout texte, les présupposés dont l'absence
déforme toujours l'objectivité dans la quête de la
vérité. En permettant de prendre conscience de ce qui est
insoupçonné dans un discours, la déconstruction restitue
en entier passé et présent dans un ordre hiérarchique.
Au regard de son ambition, ne serait-il pas logique d'admettre
une de ses limites à cause de l'aspect dynamique de
l'objectivité ? L'objectivité, si elle n'est pas
contextualisée, peut-elle s'étendre sur le temps ? La
déconstruction, à défaut de présenter toutes les
présuppositions se contente de livrer quelques unes et l'on ne peut
qu'obtenir une objectivité relative. Elle ne peut prendre en compte
qu'une partie des présuppositions de peur de se retrouver dans
l'impasse.
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