Partie I : L'intercommunalité et
l'aérodrome : les « choses »
des communes.
I) Le SIGAL, une « créature municipale
»
Il est possible d'entrevoir des indices nous autorisant
à dire que le SIGAL, par des processus de routinisation
administrative et de communication externe différenciée ,peut
paraître autonomisé par rapport aux communes. Ceci dit, nous
montrerons que la tendance lourde est bien à la neutralisation de
l'échelon intercommunal par les exécutifs municipaux, notamment
par les maires.
A) Une (toute) relative autonomisation du niveau
intercommunal
1) L'acquisition progressive d'une certaine autonomie
administrative
Le SIGAL est un syndicat à vocations multiple
dont la naissance remonte à l'hiver 1995. Dès 1996, va se mettre
en place l'édifice politico-institutionnel intercommunal mais il a alors
été acté par les délégués des quatre
communes partenaires que la gestion juridico-administrative au quotidien,
liée à la mise en forme de ce nouvel échelon territorial,
nécessiterait les services d'administrateurs locaux. Les
délégués intercommunaux ont alors accepté la
proposition du président du SIGAL, maire de Bondues, de
détacher à cette fin un agent administratif de la mairie de
ladite commune. Il nous faut préciser que si la naissance du
SIGAL remonte à fin 1995, la convention de mutation domaniale
transférant la gestion de l'aérodrome à
l'intercommunalité ne sera signée qu'en octobre 1999, transfert
de gestion qui entraine de fait une augmentation des charges administratives
intercommunales. Dès décembre 1999, un comité
syndical21 est l'occasion pour les délégués de
discuter d'un projet d'embauche de deux emplois-jeunes pour « suivre la
vie quotidienne » du SIGAL. Afin de préparer
l'installation de ces futurs agents, les années 2000 et 2001 vont
être notamment consacrées à négocier avec les
représentants de l'État, légalement propriétaire
des infrastructures, l'utilisation du bureau de piste pour en faire le
siège administratif du SIGAL,
21 Comité syndical du 9/12/99.
jusqu'alors situé en mairie de Bondues. Ce bureau
était jusqu'à cette période investi par un agent de la
direction de l'aviation civile (DAC Nord), affairé à suivre et
organiser le trafic aérien autour de l'aérodrome de loisirs le
plus actif du Nord-pas-de-Calais.22
Ainsi, avant même d'entreprendre l'embauche effective
des agents, les délégués se mettent d'accord pour
préparer les assises mobilières du futur siège social. Il
s'agit là selon nous d'une première étape décisive
pour envisager la progressive autonomisation administrative du niveau
intercommunal. Les membres du SIGAL ont convenu d'une division des
tâches entre les deux futurs salariés intercommunaux; une personne
serait en charge des affaires administratives générales tandis
que la seconde serait plus spécifiquement occupée à
l'animation et à la communication. Le comité syndical du 17
octobre 2001 permet aux délégués élus d'assister
à la présentation des deux premiers agents permanents du
SIGAL dont la sélection s'est faite au niveau de celui-ci et
non pas par des accords des conseils municipaux des quatre villes. Le
système de détachement d'un agent bonduois prend alors fin pour
une gestion quotidienne des affaires du SIGAL dans un bâtiment
spécifique qu'est le bureau de piste de l'aérodrome. A partir de
l'installation de ces permanents dans des locaux propres aménagés
en bureaux de travail, s'amorce un processus d'échappement de
l'ingénierie administrative « au jour le jour » par rapport
aux administrations intégralement communales. Si, comme nous l'avons
évoqué ci-dessus, les délégués avaient
définis dans les grandes lignes les grandes missions
conférées à ces agents, dans les faits, il nous semble que
la définition des missions effectives s'est surtout opérée
progressivement, selon les besoins :
« On est deux permanentes au niveau du SIGAL. Ma
collègue s'occupe de tout ce qui est animation- communication et
relations avec les usagers et moi en gros je m'occupe du reste; ça va
aussi bien de la partie administrative, les délibérations, le
suivi des comités syndicaux, les arrêtés, les conventions,
relations avec la préfectures, les finances, la comptabilité au
quotidien, le suivi des travaux, les aménagements de l'aérodrome
: ça va de l'entretien des espaces verts ,la voirie ,l'entretien des
pistes. C'est assez vague en fait. »23
Les agents du SIGAL, sans même objectiver ce
processus, vont peu à peu investir « leurs » bureaux
jusqu'à les personnaliser avec des objets personnels. Aujourd'hui, cette
autonomie effective dans le fonctionnement quotidien de
l'intercommunalité se donne plus que jamais à voir par
l'observation du travail hebdomadaire des permanents, aujourd'hui
titularisés dans leurs
22 En terme de mouvements annuels, l'aérodrome de
Lille-Marcq reste parmi les plateformes les plus actives du Nord.
23 Entretien avec une des permanentes, 20/03/09.
fonctions. Lorsque qu'une personne contacte le numéro
de téléphone du SIGAL, l'appel vient au bureau de piste
où un des permanents répond avant tout par un systématique
« SIGAL bonjour ». Ceci pourrait à priori relever de
l'anecdote si ce n'était pas en fait révélateur d'une
probable intériorisation par ces fonctionnaires de leur action au
service du SIGAL, structure administrative spécifique.
L'observation montre que ces administrateurs du quotidien deviennent les
interlocuteurs premiers et incontournables pour qui souhaite nouer des
relations avec les gestionnaires de l'aérodrome. Il est
intéressant de noter que le représentant de l'association
pour la promotion du champ d'aviation de Lille-Marcq, association des
usagers du terrain, nous citait sans hésiter et à plusieurs
reprises les noms des deux fonctionnaires du SIGAL lors d'un
entretien24. Quelque soit le vecteur utilisé pour contacter
le SIGAL, ce sont ces fonctionnaires qui répondent.
Si nous en restions à une lecture superficielle, nous
pourrions dire que les fonctionnaires ne sont que de simples courroies de
transmission entre interlocuteurs divers et élus, seuls maîtres
à bord. Seulement, des travaux de sociologie de l'action publique ont
montré, depuis les premières entreprises25 de
recherche et de théorisation du comportement des agents publics, que les
employés publics situés au plus bas de la hiérarchie des
administrations pouvaient, dans des logiques de routines à ressorts
multiples, opérer des redéfinitions de leurs tâches et
par-là-même, étendre leurs compétences et leur
autonomie. Parmi ces re-qualifications du travail et du rôle des
fonctionnaires, nous proposons ici les opérations de filtrage, de tri,
de légitimation ou dé-légitimation des demandes venues de
l'extérieur. Nous évoquons ici le fait que les fonctionnaires du
SIGAL, quand ils sont confrontés à des sollicitations
extérieures visant à rencontrer des élus membres du
syndicat intercommunal, font un travail de hiérarchisation des demandes
et peuvent ainsi rétorquer au solliciteur que tel ou tel élu ne
s'occupe pas de cela ou que le dossier peut-être géré
directement par l'administration intercommunale. Ainsi, ces administrateurs
détiennent aussi le pouvoir, important s'il en est, de donner
accès à d'autres acteurs locaux, les élus étant les
premiers d'entre eux. Nos périodes d'observations du fonctionnement
régulier du SIGAL nous ont donné maintes occasions de
constater ce travail d'ouverture-fermeture de portes institutionnelles
par les deux fonctionnaires intercommunaux. A titre d'illustration, la personne
chargée des affaires générales s'est proposée, par
courriel et sans sollicitation de notre part, pour organiser un rendez-vous
avec un des viceprésidents du SIGAL...
24 En date du 11/05/09.
25 Notamment les travaux de LIPSKY Michael : « Street Level
Bureaucracy », Russell Sage Foundation, 1983.
Alors que ces postes ont été créés
par les élus délégués au SIGAL, les
processus de routinisation de l'appareil administratif ont offert à ces
employés intercommunaux des possibilités nouvelles d'action et
affectations non définies à l'avance. Si des « attentes de
rôle » sont parfois définies, nous voyons par cet exemple que
des re-qualifications de rôle sont tout à fait possibles.
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