Contrairement aux idées répandues et
généralement développées a priori dans certains
milieux, la production cotonnière ne semble pas se justifier par son
importance financière (importance du revenu), du moins dans le
département de Diabo. En effet, ce n'est pas parce que le coton permet
d'avoir beaucoup d'argent que les paysans s'adonnent à sa production.
« Les gens croient que nous produisons du coton
parce que nous gagnons beaucoup dedans. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas
l'importance intrinsèque de l'argent qu'on reçoit à la fin
de chaque campagne de commercialisation qui fait que les gens continuent de
cultiver du coton. Sinon les gens l'auraient abandonné depuis longtemps
car il y a des fois où tu es complètement déçu
à la perception de ton argent au regard de la souffrance de ton
ménage sur le champ. Ce qui fait que les gens continuent de produire,
c'est le fait que le coton s'achète globalement et qu'ils sont sUrs
qu'il va s'acheter quoi qu'il arrive. Et ce qui est important encore c'est que
l'argent est perçu globalement. En une journée, tu as l'argent de
ce que tu as produit hors subsistance entre les mains. Cela permet de faire
quelque chose de bon et de chasser tes soucis pendant quelque temps. Sinon en
mettant toute la quantité de
travail et les sacrifices qu'exige le coton dans la
production d'un autre produit agricole, je suis sUr qu'on gagnerait plus. Mais
tu n'es pas sUr de pouvoir le vendre. Tout le problème réside
dans l'écoulement. Si tu dois aller au marché chaque trois (3)
jours avec un sac sur ton vélo, tu risques d'atteindre la saison
pluvieuse sans même avoir tout vendu, doublé de la
fréquente fluctuation des prix ; sans oublier que tu dois bouffer dedans
chaque jour de marché, tu vas gâter et réparer ton
vélo vu l'état des routes et que tu vas résoudre au fur et
à mesure tes petits problèmes financiers. A la fin de ta vente,
tu ne te retrouveras plus avec quelque chose de conséquent et tu auras
le sentiment de n'avoir rien eu. Voilà pourquoi les gens produisent du
coton, il ne faut pas croire que c'est pour des millions ». Le
témoignage de ce producteur de la quarantaine d'age à la
tête d'une UP de six (6) actifs et entamant sa sixième campagne
cotonnière nous permet de pénétrer les logiques de
production et de percevoir la véritable assise du coton en milieu rural
notamment diabolais en dépit d'une rémunération
jugée franchement faible par tous les enquêtés au regard
des investissements du ménage autour de cette production. En
réalité, c'est parce que le coton s'inscrit dans une
stratégie de rassemblement de ressources qui s'avère plus
efficace dans ces milieux. Les motivations à la production ne sont donc
pas à rechercher dans l'importance de ces revenus mêmes, mais dans
certaines des caractéristiques du milieu qui rendent le coton plus
compétitif que n'importe quel autre produit agricole. La production
cotonnière obéit donc à une logique de mobilisation de
ressources qui ne s'avère plus efficace que dans le cotexte d'une
certaine défaillance structurelle de l'économie rurale. Ainsi, la
production cotonnière dans le département de Diabo repose
plutôt sur une option stratégique qu'économique. D'ailleurs
certains producteurs ne déclarent-ils pas user de ces intrants agricoles
pour faire face aux dures périodes de soudure en vendant une portion sur
les marchés locaux, pratique que confirme le CC du
département.
V.2.2. Le mirage cotonnier : la MARI
De prime abord, notons que dans le contexte
socioéconomique du paysan, le coton constitue une source de revenu
attrayante. La liquidité qu'il procure suffit à maintenir dans le
système un certain nombre de producteurs accoutumés à
boucler chaque campagne agricole avec des billets de banque. C'est le cas de ce
producteur dont les propos sont sans équivoque : « je ne sais
pas si je pourrai cesser un jour de
produire du coton. A chaque année où, au
regard du caractère harassant du travail et de ce que j'ai gagné
l'année passée je déclare produire ma dernière
campagne de coton, l'année suivante, je me retrouve plus motivé
que jamais avec le sentiment que j'aurais plus. En réalité, je
n'ai jamais gagné comme j'espère mais ce que je gagne aussi c'est
seulement au niveau du coton que je peux le gagner. C'est pas suffisant mais
ça résout mes petits problèmes ». Pour une
meilleure appréciation des retombées économiques du coton,
nous allons essayer d'évaluer le revenu du coton au producteur par
unité d'exploitation.
Evaluer le revenu du coton revient à déterminer
le compte d'exploitation au producteur ou, selon la terminologie de G.
RAYMOND14, la marge après remboursement des intrants
(MARI). Comme nous l'enseigne l'auteur, la MARI est calculée en
déduisant du revenu brut du paysan le coût des intrants à
sa charge. Signalons que les intrants agricoles sont mis à la
disposition des GPC avant le démarrage de la campagne agricole par la
société (SOCOMA pour ce qui est de notre zone d'étude)
à crédit déductible automatiquement sur la valeur de la
production du groupement à l'issue de la campagne de
commercialisation.
La MARI peut être appréhendée de deux (2)
manières. Cet indicateur peut l'être par référence
à une situation réelle : il correspond donc au revenu
monétaire dont dispose concrètement le paysan après avoir
déduit du revenu brut de sa production le coût des intrants
effectivement utilisés. On l'appelle MARI réelle. Il peut aussi
faire l'objet d'un calcul purement théorique : il correspond donc au
revenu monétaire dont peut espérer disposer le paysan dès
qu'il aura déduit du revenu d'une production escomptée le
coüt des intrants virtuellement nécessaires, en application des
recommandations techniques en vigueur, pour atteindre cette production. C'est
la MARI théorique. Ici, nous utiliserons cette MARI pour
apprécier, à l'échelle du paysan diabolais et pour la
campagne agricole 2006/2007, la rentabilité économique de la
culture du coton, aussi dans l'optique de faire connaître le
mécanisme par lequel on définit la valeur d'une production.
14 Nous empruntons cette technique a Alfred SCHWARTZ
qui l'a utilisée pour évaluer le revenu du coton (A SCHWARTZ,
1993b, p.8).
Le premier élément du calcul est le produit
brut de la production. Il est fonction de deux variables : la production
escomptable et le prix d'achat au producteur. La production escomptable est
aussi fonction du rendement : pour la campagne 2006/2007, le rendement fut de
900kg/ha. Le prix d'achat du kg de coton fut fixé à 165 FCFA pour
le coton premier choix, 145 FCFA pour le deuxième choix et 135 FCFA pour
le troisième choix. En admettant que la totalité de sa production
fut classée en premier choix, pour la campagne de
référence, le producteur diabolais pouvait espérer tirer
d'un hectare de culture cotonnière un produit brut de 148 500
FCFA.
Second élément du calcul : le coût des
intrants. Le producteur diabolais engage sur un hectare de coton, selon les
prescriptions officielles, les dépenses suivantes en intrants agricoles
:
· Un sac de semence à raison de 900 FCFA
· 4 sacs de NPK et Urée à raison de 12 950 F
CFA/sac de NPK et 14 400 F CFA/sac d'urée soit 66 200 FCFA
· 6 litres d'insecticides à raison de 4 342 F CFA/l
soit 26 052 FCFA
· 1 appareil à pulvériser à raison de
29 442 FCFA
· 4 sachets d'herbicides à raison de 1 370
FCFA/sachet soit 5480 FCFA Soit un total de dépense (crédit)
s'élevant à 128 074 FCFA.
Avec un produit brut de 148 500 FCFA par
hectare et des dépenses en intrants de 128 074 FCFA, la
MARI théorique s'établit à 20 426
FCFA15. Ainsi, un hectare de coton exploité par un
paysan diabolais lui rapporte un bénéfice de 20 426 F CFA. Une
telle marge fait du coton une culture attrayante.
Cette marge correspond à la MARI théorique
obtenue sur la base des prescriptions officielles. L'utilisation de la MARI
réelle apporterait plus de précision, mais le fait pour les
producteurs de ne pas pouvoir déclarer avec exactitude la
quantité des intrants effectivement utilisée dans la production,
le refus de déclarer le revenu perçu et l'absence de fiches
individuelles complètes chez les partenaires techniques ne
permettent pas cette évaluation. Ce qui est sür,
c'est qu'en situation réelle, les choses sont moins roses.
Rappelons que la MARI théorique se base sur une
observance stricte des recommandations et sur la propriété
privée des autres facteurs de production ; les dépenses ne
relevant que des intrants spécifiquement. Aussi, se base-t-elle sur le
principe selon lequel toute la production est classée premier choix.
Toutes ces considérations ne font pas recettes dans le milieu paysan
diabolais. Ainsi, notons que la "stratégie de dispersion des risques"
décrite par des experts du monde rural dont CHAMBERS
(1990) est omniprésente dans toutes les sociétés paysannes
surtout africaines et l'aire diabolaise n'en fait pas exception. Partant,
notons qu'il nous a été donné de constater que :
· il existe toujours un écart entre les
quantités d'intrants utilisées dans les champs et celles
recommandées, tous les enquêtés déclarant
posséder un restant à la maison. Selon les techniciens du coton,
les intrants livrés aux producteurs se retrouvent en quantité non
négligeable sur le marché noir, pratique que les producteurs
expliquent par les disettes et autres besoins financiers pressants, les paysans
témoins qui utilisent de temps en tant l'engrais pour corriger le
comportement de leur champ de mais déclarent s'en procurer chez les
voisins cotonculteurs ;
· le fait même de produire du coton
génère des besoins financiers. L'insuffisance de la force de
travail fait recourir à des prestations dispendieuses telle la gestion
de l'entraide lors du sarclage ou de la récolte. Il autorise aussi la
contraction d'autres crédits connexes ;
· certains réalisent des semis après les
dates indiquées, la déficience des moyens de production ne
permettant pas une navigation efficace entre les champs vivrier et cotonnier.
Ils finissent parfois par s'attacher les services d'un tiers.
conseillées entraîne la chute des capsules,
futures porteuses. Le non respect du calendrier influe sur la croissance des
plantes et de leurs ramifications (donc peu de capsules), alors que
l'endettement auprès des dépositaires des moyens de production et
des commerçants, payable après vente ne fait que grossir les
coûts de production. Ainsi, les producteurs s'inscrivent dans une logique
qui, tout en tirant le rendement vers le bas, révise les coûts
à la hausse. Ce qui est notoire, c'est que le "coton deuxième
choix" est non négligeable sur les marchés de coton du
département où les producteurs sont tiraillés par de
nombreuses sollicitations en cette période de maturité
générale des produits champêtres. Au regard de cela, il
faut noter qu'aux antipodes des chiffres affichés plus haut et fort
alléchants, beaucoup de producteurs diabolais se retrouvent avec des
miettes en fin de campagne à côté d'autres qui produisent
à perte. En réalité, le coton ne profite qu'aux
très grands exploitants. Chez les dix-huit (18) producteurs
excédentaires que nous avons enquêtés, la MARI
réelle varie entre 1430 FCFA et 182 215 FCFA (en ce qui concerne les
onze (11) enquêtés qui ont accepté déclarer leur
revenu ; le reste ayant marqué un refus par le biais de propos du genre
« en tout cas on s'en est tiré mieux que certains »).
Chez les petits producteurs (producteurs déficitaires), leur dette varie
entre 7865 FCFA et 134 425 FCFA (en ce qui concerne les six (6)
enquêtés qui ont accepté déclarer leur revenu).
L'ampleur des problèmes posés par cette dernière situation
nous renseigne sur la place du coton dans la lutte pour la survie de certains
ménages. Il ne leur reste plus rien après que la
société ait recouvré ses créances. Des cas existent
où la SOCOMA est incapable de recouvrer le coüt de ses intrants,
des créanciers se relayant à l'entrée de concessions
à greniers à moitié vides après seulement trois
mois de récoltes car, dit-on communément dans ce milieu, «
quand un champ de coton va mal, ce sont les vivres qui souffrent à
sa place ». C'est conscient de cette situation de déficit que
la société cotonnière ne travaille pas avec l'individu
mais avec la collectivité (le GPC) pour être sûr que le
surplus de certains producteurs comblera le déficit des autres. C'est la
caution solidaire. Des ménages se dépouillent de leurs
matériels pour combler le vide laissé dans leur GPC par leur
production déficitaire. Alors que le coton fait l'affaire de quelques
grands exploitants, il cause ruine et famine dans certains ménages et
affecte les rapports sociaux de certains groupes (groupements).