L'autosuffisance alimentaire est l'aspiration basique de
toutes les activités agricoles dans nos milieux ruraux. Longtemps
orientée vers l'autoconsommation, la production des champs diabolais ne
fournissait que des produits destinés à la consommation
immédiate des paysans. Aujourd'hui, c'est une agriculture tournée
vers le marché du fait d'importantes exploitations en produits de rente,
le coton notamment. Dans ce nouveau contexte, la place des vivres s'en trouve
modifiée. On pourrait alors s'interroger sur les répercussions de
cette orientation commerciale sur les disponibilités en subsistance.
IV.2.1. Du volume et de la diversité des
produits
« On ne peut pas produire du coton et produire
autant de mil que quand on ne produisait pas de coton. Ici, personne n'a son
grenier d'avant », constate un chef de ménage producteur de
coton qui prend à témoin tous les autres producteurs du GPC.
Pourtant, certains laudateurs du coton considèrent ce dernier comme
facteur d'une plus grande production céréalière.
J. PICARD et A. AL HADJI (2002) fondent leur argumentaire sur
la magie de l'arrière effet engrais. Pour ces auteurs, à la
faveur de la rotation sur parcelle, les plantes vivrières qui suivent le
coton bénéficient de l'arrière effet engrais qui contribue
à la hausse du rendement. Loin de vouloir réfuter ces effets, il
ne faut cependant pas perdre de vue que cette rotation sur parcelle n'est pas
expressément prescrite dans l'ambition de rentabiliser la production
céréalière. C'est tout simplement parce que le coton
n'aime pas ses anciens espaces. Cet
avantage collatéral correspond donc à ce que
R. BOUDON appelle le « paradoxe des conséquences
» ou les « effets pervers » de la production cotonnière
selon la terminologie weberienne. Au demeurant, cet arrière effet
engrais fait désormais partie intégrante des contraintes de
production auxquelles les cotonculteurs diabolais sont soumis. Tout porte
à croire que sans cet arrière effet engrais, la production
cotonnière serait compromise ; en tout cas elle n'aurait pas atteint son
envergure d'aujourd'hui.
En effet, de toutes les spéculations produites sur le
sol diabolais, le sorgho rouge et le maïs se présentent comme les
produits céréaliers les plus compatibles avec le calendrier
cotonnier. Ils offrent l'avantage d'une maturité précoce. Ainsi,
le producteur a le temps de mettre en lieu sûr ses moyens de subsistance
et de se consacrer à son coton qui, en ces moments, demande toute son
attention. Aussi faut-il rappeler que la première récolte du
coton a lieu au mois d'octobre, donc juste à l'issue de la
récolte du sorgho. Ce qui est également important à noter,
c'est que sur l'aire départementale, le sorgho rouge ne se produit que
presqu'exclusivement dans les champs de maison en prolongement des parcelles de
maïs, dans les bas-fonds ou encore sur les anciennes parcelles de coton.
C'est dire donc que le coton exige une certaine dose de fertilité. En
tant que tel, le sorgho tout comme le maïs s'intègrent bien dans la
logique de production cotonnière ; pas parce qu'ils
bénéficient directement de l'engrais alloué au coton mais
de l'arrière effet de cet engrais par le fait de la rotation obligatoire
qu'impose la production cotonnière. Ainsi, coton et sorgho sont
mutuellement dépendants. C'est ce qui explique que la
céréale de base est le sorgho rouge chez les cotonculteurs du
département. C'est dans cette logique que O. KABORE a
pu noter que « le petit mil est moins cultivé dans les zones
cotonnières que le sorgho et le maïs » (O.
KABORE, 2OO2, p.16). L'arrière effet engrais permet donc aux
cotonculteurs d'amoindrir le degré de concurrence du calendrier cultural
en saisissant l'opportunité de rentabiliser leur production
céréalière (sorgho et maïs).
Par moment, l'engrais destiné au coton sert
directement certaines plantes vivrières. Pratique quand même rare
chez les producteurs diabolais, c'est seulement le maïs qui en profite
parfois mais en faible dose, en tant que culture hâtive qui vient
généralement au secours des ménages en ces temps de
soudure. Les producteurs
préfèrent vendre le surplus ou simplement une
partie de leurs intrants sur le marché noir au bénéfice de
jardiniers et autres demandeurs.
Traiter de l'influence du coton sur le volume et la
diversité des produits vivriers revient aussi à mettre à
l'épreuve cette relation de cause à effet établie par le
sociologue de l'ORSTOM A. SCHWARTZ (1987). Selon lui, le
développement de la culture de rente notamment cotonnière permet
une modernisation de l'agriculture par l'amélioration des techniques
culturales ; et cela a pour corollaire une augmentation des possibilités
alimentaires, la culture attelée permettant une exploitation de surface
en un temps réduit. Il est incontestable que la culture
cotonnière a révolutionné la pratique agricole dans les
champs diabolais. Mais cette relative augmentation de la capacité du
producteur a-t-elle entraîné forcement une augmentation des
possibilités alimentaires ? L'utilisation de cette capacité
supplémentaire est orientée suivant les réalités
socioéconomiques de l'espace social. En effet, cette idée
d'augmentation des possibilités alimentaires peut être
appréhendée sous deux angles : en terme de quantité et en
terme de diversité (variété).
Parlant de quantité, il est à noter que
l'objectif d'une campagne agricole chez un producteur de coton n'est pas la
production de masse. La production céréalière est beaucoup
plus dictée par les besoins de consommation immédiate. Ceux qui
ont de grandes capacités techniques ne recherchent qu'à couvrir
les besoins alimentaires du ménage. Ils préfèrent donc
utiliser leur capacité additionnelle dans la production du coton pour
avoir plus d'argent. Cela s'explique prioritairement par la faiblesse du prix
des produits vivriers qui n'incitent pas à vendre. Outre cela, il faut
ajouter les moyens de stockage aléatoires et les difficultés
d'écoulement. Du moment où le prix des céréales est
très faible, le cotonculteur préfère, même avec des
moyens techniques conséquents, stabiliser sa production vivrière
autour de ses besoins de consommation et d'augmenter son champ de coton pour
accroître son revenu. Ces productions se limitent
généralement aux anciennes parcelles de coton où la magie
de l'arrière effet engrais permet des bilans parfois
excédentaires.
Entendue maintenant en termes de variété, elle
n'est vraiment pas recherchée par le producteur diabolais dont la
production obéit à une certaine logique. La maturation des
produits vivriers se fait de façon successive et faiblement
agencée.
On assiste dans la plupart des cas à une
interférence des étapes de maturation. Ainsi, une grande
diversification des produits induit une plus grande présence continue de
produits à récolter en parallèle avec le coton, toute
chose qui se révèle nuisible pour les deux (produits vivriers et
coton) car, le producteur ne pouvant être à ces tâches
simultanément et ne voulant pas perdre entièrement sur un
côté, ne prend le temps nécessaire sur aucune parcelle.
Ainsi, la diversification agricole joue en défaveur du producteur tant
au niveau du démarrage de la campagne (périodes de semis
confondues), de l'entretien des parcelles que des récoltes. La
rationalité paysanne consiste alors à concentrer les efforts sur
un nombre réduit de produits ayant mutuellement une faible incidence au
niveau de la maturation. C'est ainsi que la production vivrière chez les
cotonculteurs diabolais est centrée sur le sorgho et le maïs ;
alors que chez les non producteurs, elle est composée principalement de
petit mil avec du maïs, du sorgho et du haricot en proportion non moins
importante. Ainsi, comme nous pouvons le constater, il est clair que la
relation de cause à effet établie par SCHWARTZ
n'est pas toujours vérifiée dans le contexte du milieu rural
diabolais. Au contraire, le coton fait obstacle à la diversification des
produits vivriers. Ainsi se trouve donc confirmée notre première
hypothèse secondaire.
IV.2.2. De la sécurité
alimentaire
L'enracinement du coton, en limitant les possibilités
alimentaires en terme de variété, constitue une menace pour la
sécurité alimentaire des producteurs diabolais. Car entendue
comme nous l'avons définie dans le cadre de la présente
étude, la sécurité alimentaire ne porte pas seulement sur
la quantité mais aussi et surtout sur la possibilité de
diversification alimentaire capable d'induire une vie active et saine. C'est ce
qu'a perdu de vue S. DIALLO, ministre burkinabè de
l'agriculture, de l'hydraulique et des ressources halieutiques quand il
soutient que « les zones cotonnières sont également
celles où la production céréalière est
structurellement excédentaire (...) ce qui contribue à la
sécurité alimentaire au niveau national » (
www.abcburkina.net,
article : pauvreté rurale et commerce international : le
cas du coton). Il faut garder à l'esprit présent
que les différentes estimations se basent sur les bilans
céréaliers ce qui ne traduit pas la situation alimentaire
réelle des populations. C'est ainsi que le 13 novembre 2007, devant
l'Assemblée Nationale, et en réponse à un
député (Norbert Tiendrébéogo), Salif DIALLO
annonçait un bilan
céréalier national excédentaire à
hauteur de 777 200 tonnes. Par la même occasion, il soutenait mettre en
oeuvre des mesures de vente de céréales à prix sociaux
dans quinze (15) des quarante-cinq (45) provinces du pays qui souffrent d'un
déficit céréalier.
Une meilleure appréhension de la
sécurité alimentaire commande que l'on aille plus loin.
O. KABORE (2002) rapporte une enquête
épidémiologique sur les carences en micronutriments dans 15
provinces du Burkina Faso qui a montré que les provinces productrices du
coton sont plus durement touchées par les carences alimentaires que les
autres provinces. La prévalence de l'anémie franche est
supérieure à 5% chez les enfants de 0-10 ans et 35,9% des femmes
en âge de procréer sont anémiées dans la
majorité de ces provinces. Pour les trois principales provinces
productrices de coton au Burkina et où la production
céréalière est très élevée, la
situation nutritionnelle des enfants de 0-5 ans est jugée très
sévère (Houet : 15,6%, Sourou : 18,1% et Mouhoun : 12,3%). Ces
résultats montrent qu'il ne suffit pas de disposer de la nourriture pour
que sa sécurité alimentaire soit assurée. C'est pourquoi
l'auteur conclue que « la sécurité alimentaire dans les
zones cotonnières, malgré la disponibilité en
céréale n'est pas satisfaisante. Dans les différentes
zones cotonnières, les femmes en âge de procréer et les
enfants souffrent de carences en micronutriments dues surtout à une
alimentation non diversifiée. Il y a un antagonisme entre production du
coton et production céréalière » (O.
KABORE, 2002, p.26). Cela met en exergue la
place primordiale de la diversification alimentaire, condition indispensable.
Car les carences constatées dans ces zones s'expliquent par le fait que
les producteurs de coton, s'inscrivant dans une logique de non diversification
céréalière, fondent leur alimentation sur une gamme
très limitée de produits dont la production est compatible avec
les exigences du coton. Dans notre milieu d'étude, ce produit se trouve
être le sorgho rouge qui, sur toute l'aire départementale, se
démarque aussi comme le produit alimentaire le plus
dénigré. Mais c'est quasiment le seul produit qui nourrit les
ménages cotonculteurs toute l'année, le maïs ne tenant que
de septembre à décembre au plus tard. Cela nous conforte dans
notre conception selon laquelle la non diversification alimentaire est un
obstacle à la sécurité alimentaire.
Au regard de tout ce qui précède, nous pouvons
affirmer que la production cotonnière constitue un obstacle à la
production vivrière et une menace à la sécurité
alimentaire. Et en orientant l'objectif de la campagne vivrière vers la
production d'une gamme très limitée de variétés, le
coton fragilise la capacité de réaction des paysans face aux
aléas et autres imprévus les rendant plus vulnérables sur
le plan alimentaire que les céréaliculteurs. Le constat de ce
producteur est sans équivoque. En fait, « les
céréaliculteurs ont cet avantage que méme si la pluie n'a
pas été bonne et que les champs ne produisent pas bien, la
pluralité de leurs produits finit par les sauver. Même si chaque
variété donne un peu, ils finissent par couvrir leurs besoins de
consommation, en tout cas mieux que les producteurs de coton. Les petits champs
vivriers des cotonculteurs font que si par quelque événement le
cycle est perturbé, il n'y a pas d'espoir possible. Le problème
chez nous c'est que quand la campagne est un peu compromise, nos soucis portent
d'abord sur le coton. Dans la panique, les champs de mil sont de plus en plus
abandonnés pour pouvoir apporter le moindre soin au coton dans l'espoir
qu'il résistera mieux ».