Le paysage champêtre diabolais présente deux
(02) types de cultures : les plantes vivrières et celles commerciales ou
de rente. Au titre des cultures de rente, nous nous focaliserons sur le coton
qui constitue l'objet de ce travail.
IV.1.1. Le calendrier cotonnier
La campagne de production cotonnière s'inscrit dans un
cadre rigide qui conditionne sa réussite. C'est dire donc que le coton,
en tant que culture de rente, mobilise un encadrement technique du fait des
gros enjeux financiers que cette production soulève. Ainsi, il est
clairement codifié que pour « le démarrage de la
campagne les semis doivent être réalisés entre le 20 mai et
le 20 juin. Plus tôt, ils risquent de voir leur levée et leur
départ compromis et qu'en fin de campagne, leurs capsules s'ouvrent sous
la pluie. Plus tard, leur départ risque de subir des excès d'eau
et leur fin de cycle manquer d'eau à la suite de l'arrêt des
pluies » (INERA : Programme coton. Fiche coton n°3). Dans un cas
comme dans l'autre, la production s'en trouve négativement
affectée et les gros crédits contractés ne laissent pas de
choix aux producteurs. Aussi, ces semis doivent-ils impérativement avoir
lieu sur un sol propre, suffisamment ameubli et récemment affiné
en surface ou encore sur un sol suffisamment humide mais sans excès
d'eau. Ce sont là les recommandations du programme coton. Tous ces
impératifs constituent des conditions sine qua non d'une campagne
agricole réussie et le Correspondant Coton (CC) et ses Agents
Techniques Coton (ATC) veillent à l'application de
cette prescription. Une séance de fertilisation précède
ces opérations de préparation de sol et de semis. Mais ces
apports en fumier et autres terres de parc ne sont pas toujours effectifs chez
les producteurs diabolais qui se contentent d'un simple défrichage.
Après les semis à proprement parler, les resemis ou les
remplacements interviennent à partir du 10e jour dans le but
de corriger la densité du champ. C'est donc la dernière chance
pour avoir une densité correcte, et faits trop tard ils ne
réussissent pas. La phase d'entretien débute exactement
après cette séance de remplacement. La première
opération est le démariage11 qui doit être
terminé 20 jours après la levée. Après le
démariage, il faut recourir au binage même en l'absence d'herbe.
Le nombre de fois est dicté par la capacité du producteur. Puis
suivent les sarclages, d'abord manuel et attelé par la suite. C'est
aussi une opération décisive car tout sarclage tardif se traduit
par un irrémédiable effet dépressif sur le cotonnier.
Enfin interviennent les buttages.
Il faut garder à présent l'esprit que toutes
ces opérations ne sont pas aussi superposées comme ici
présentées. C'est ainsi qu'une seconde séance de
fertilisation commence avec l'apport de l'engrais NPK entre le 10e
et le 20e jour et celui de l'urée entre le 35e et
le 45e jour. Les opérations de traitement sont aussi
présentes à tous les niveaux de la production. En effet, comme
l'indique le Programme coton, guide des encadreurs, le cotonnier est une plante
très parasitée. Tous les efforts et toutes les dépenses
des producteurs seront perdus si les traitements (insecticides) ne sont pas
parfaitement exécutés. Ainsi, il est impératif que le
premier traitement intervienne dès le 50e jour, et à
partir de ce premier traitement, répéter l'exercice toutes les
deux (02) semaines. Outre ce chronogramme, il faut envisager des séances
de reprise en cas de survenance d'une pluie dans les douze (12) heures suivant
le traitement.
Les récoltes commencent donc au 5e mois
après les semis, c'est-à-dire à la fin de la phase
d'entretien. Selon le programme coton de l'INERA, le premier passage de
récolte a lieu vers le 130e jour (correspondant au mois
d'octobre), c'est-à-dire période où 50% du coton est bien
ouvert. Le second passage quant à lui a lieu vers le 30e jour
après, donc vers le 160e jour du cycle (correspondant au mois
de novembre), âge auquel, sauf cas exceptionnel, tout le coton est
ouvert. La récolte du
coton est une opération minutieuse car c'est elle qui
définit la qualité du coton à livrer sur le marché.
Ainsi, « il faut trier à chaque fois au fur et à mesure
de la récolte sur pied le coton parfaitement propre (première
qualité à coup sûr) du coton jaune ou gris (2e
qualité) ; faire systématiquement sécher sur des claies
qui isolent du sol et installer le coton récolté sur des nattes
tant au champ que chez le producteur ou au marché. Le producteur ne doit
pas se donner l'occasion d'avoir à ramasser du coton par terre (ce qui
implique un nettoyage qui ne sera jamais parfait) » (INERA :
Programme coton. Fiche coton n°7). C'est seulement au bout du
sixième (6e) mois (vers le 181e jour correspondant
au mois de décembre) que le producteur est à mesure de livrer son
coton sur le marché.
Cet agencement constitue la grille d'observation des champs
de coton par les agents d'encadrement qui prescrivent ces opérations en
temps opportun. Les techniciens veillent à l'application stricte de ce
canevas, et les producteurs déclarent le suivre autant que faire se peut
car, disent-ils, ils n'ont pas trop le choix.
Alors que concurremment, le producteur doit s'employer sur des
parcelles vivrières généralement plus vastes encore.
IV.1.2. Le calendrier vivrier
Si la production cotonnière obéit à une
codification officielle, le démarrage de celle vivrière est
individuel et certains rituels suivant les groupes sociaux sonnent le
début de la campagne. Il faut noter que les
céréaliculteurs ne se donnent aucun impératif mais se
guident seulement de l'avènement des premières pluies. A l'entame
de la saison hivernale, les paysans Diabolais commencent par apporter aux
terrains à exploiter de la fumure et autres ordures provenant des
poubelles. Ce sont notamment les champs de maison qui bénéficient
de ces apports. A cela s'ajoute le fumage des champs par les animaux, le gros
bétail notamment. La migration saisonnière étant
très développée dans cette zone du fait de
l'éloignement des champs, les champs de brousse n'ont d'autres
privilèges que le défrichage du moment où les paysans n'y
vont qu'à l'annonce de la saison des pluies. La préparation des
sols se fait de deux façons. Il y a d'une part le non labour si le sol
n'est pas trop envahi d'herbes ou si les disponibilités en force de
travail n'offrent pas d'alternative. Le semis se fait alors directement sur un
sol non travaillé. Nonobstant le fait qu'une part importante des paysans
du département disposent et utilisent la
force de traction animale, le semi direct occupe encore une
place très importante dans les champs diabolais. Ils ont
généralement lieu vers le mois de mai et pendant les deux (2)
premières décades du mois de juin. Après cet intervalle de
temps, la densité de l'herbe ne donne pas grande chance de succès
à ces semis dont les jeunes plants sont vite étouffés
dès leur apparition. Sur ces espaces non labourés, les semis
peuvent se réaliser à la volée ou en ligne par
l'utilisation de cordes, d'un triangle ou sur les anciennes buttes. D'autre
part, il y a le labour du terrain à ensemencer. D'entrée de jeu,
notons une quasi inexistence sur l'aire départementale de paysan
disposant d'un tracteur. De façon générale, le labour se
fait à la charrue. L'araire est tiré par une paire de boeufs. Il
permet un travail rapide mais exige un sol déjà ameubli par les
premières pluies. Le labour peut se faire aussi à la daba. La
houe manuelle exige une quantité plus importante de travail. Sur ces
espaces, les plants peinent à grandir par rapport aux autres espaces
labourés à la charrue ; ils sont plus sensibles à la
sécheresse et le rendement y est plus bas. Cette dernière
pratique est de plus en plus abandonnée, les paysans
préférant payer un labour à la charrue ou semer
directement sans labour quand ils ne disposent pas d'animal de trait. Il faut
noter aussi l'usage important des ânes comme force de traction.
L'attelage aux boeufs ou à l'âne offre les mêmes conditions
de réussite des semis.
La préparation des sols se fait en même temps
que les semis. De façon générale, les hommes labourent au
moyen des animaux pendant que les femmes et les enfants sèment à
leur suite. Le semis de toutes les variétés produites se font
presqu'au même moment ou du moins à un intervalle très
réduit. Tout commence avec le sorgho aux premières heures de la
campagne agricole et du riz dans les bas-fonds avant que ces derniers ne
s'engorgent d'eau. Suivent ensuite le petit mil qui se sème dans la
plupart des cas en association avec le haricot et enfin les autres
variétés.
Après le stade des semis vient celui de l'entretien.
Comme le témoignent les paysans du département, il n'y a pas de
date pour commencer le désherbage. C'est la levée des plants et
la disponibilité du paysan qui dictent tout. Les espaces semés
sans labour sont ceux qui accueillent les premiers le ménage. Le
sarclage dure autant de temps que le ménage peut prendre pour faire le
tour de ses parcelles. Après le sarclage, l'opération de buttage
est allégée dans la plupart des cas par la
participation des animaux. Anes et boeufs attelés sont
utilisés pour le buttage en ligne. Cette opération commence avec
les pluies torrentielles d'aoüt et ne prend fin que lorsque le paysan aura
fait le tour de son champ ou lorsque de nouveaux produits demandent à
être cueillis. De là commence la phase des récoltes. Le
maïs annonce les couleurs, suivi des arachides hâtives vers
mi-septembre. Ensuite suivent le sorgho et le haricot ainsi que le poids de
terre dès le mois d'octobre. A partir de cette date, la maturation
devient générale sur l'espace agraire excepté le petit mil
qui est encore à l'épiaison. De nouvelles granges (ou greniers)
sont alors construites pour ranger la nouvelle production.
IV.1.3. Les logiques de gestion
Comme nous le rappelle ce producteur, « on ne mange
pas le coton. Le producteur de coton est en même temps
producteur de céréales». C'est dire donc que les
cotonculteurs ont à gérer concurremment deux calendriers
culturaux dont les exigences sont à première vue difficilement
conciliables. Il est opportun de noter que dans les GPC où nous sommes
passés, personne ne produit exclusivement du coton et les techniciens du
coton du département nous confirment l'inexistence de cotonculteurs
exclusifs sur l'aire départementale. La gestion concurrentielle de ces
calendriers culturaux est donc un phénomène récurrent chez
tous les cotonculteurs du département. Pour faire face à cette
concurrence, des stratégies ont été
développées par ces paysans.
Un premier groupe de producteurs déclare semer d'abord
le sorgho dès l'entame de la saison des pluies, dès le
début du mois de mai et parfois même avant le début des
pluies. Ces producteurs réalisent à cet effet un semis direct sur
un sol non labouré généralement sur les anciennes lignes
dressées par le buttage de la campagne dernière. C'est une
stratégie qui permet de garantir un minimum de produits de subsistance
avant de se tourner vers la culture de marché qu'est le coton. Notons
que de toutes les variétés produites sur l'aire
départementale, seul le sorgho peut être semé à
cette date et résister dans de telles conditions. En paysans avertis,
ils ne sèment que ce produit. Quand l'hivernage s'installe normalement
et qu'ils entrent dans le calendrier normal, ils quittent ces champs de sorgho
pour commencer à labourer les parcelles de coton. « C'est quand
la pluie s'arrête pendant
quelques temps et que les conditions ne sont plus
favorables au semis du coton que l'on complète les champs de vivre
», témoigne un producteur. Dès lors, il est opportun de
noter que selon cette logique de gestion, en cette période
d'installation des cultures, une priorité est accordée au
programme du coton, celui vivrier occupant les intervalles de temps mort
correspondant aux périodes d'incertitude d'une réussite des
semis. Cette option est sous-tendue par les gros enjeux économiques que
la production cotonnière soulève, les milliers de francs de
crédit que le producteur porte sur ses épaules. Cela explique
aussi la forte pratique du semis direct sur un sol non labouré dans les
champs diabolais même chez les ménages disposant de charrue et
animaux de trait. Tous ceux qui déclarent pratiquer le semis direct
disposent d'au moins un âne ou une paire de boeufs qui lui sert de force
de traction. Par contre, dans tous les GPC qui nous ont servi de champ
d'observation, personne ne soutient avoir déjà planté du
coton sur un sol non labouré ou sec.
Un second groupe soutient réaliser le semis du coton
en même temps que celui des vivres. « Dans la matinée,
pendant que certains labourent les champs de coton, le reste des membres de
l'UP s'active en semis direct sur les parcelles de mil. Le soir, l'UP se
retrouve sur les parcelles de coton pour l'ensemencement »,
expliquent ses praticiens. Mais, précisent-ils, cette méthode
n'est praticable que dans les ménages nucléaires ou dans ceux
où l'autorité du chef de l'UP est très respectée.
Car les dépendants exploitent ces soirées pour ensemencer leurs
propres champs d'où ils tirent leurs revenus. Dans tous les cas, le mil
n'a d'autres privilèges que le semis direct car on ne laboure les champs
de mil que « quand le temps le permet. Quand on finit de fixer le
coton, on se tourne vers le labour des parcelles de vivres, avant que le coton
nous réclame à nouveau », explique ce jeune producteur
de plein pied dans sa troisième campagne cotonnière. La logique
qui anime ces producteurs c'est que vaut mieux un déficit en vivres
qu'un déficit en coton. Cet ordre de priorité se reproduit
à tous les niveaux de la production. A la phase d'entretien, on ne
cultive les champs de mil que « quand on attend une date pour
commencer une opération sur le champ de coton pour la plupart des temps
ou que lorsque l'herbe du champ de mil menace de neutraliser le
champ», soutient un producteur avant d'établir le constat
selon lequel « le mil ne craint pas l'herbe comme le coton
», certainement en référence à cette disposition
du programme coton qui prescrit un sarclage répété et
régulier car « tout sarclage tardif entraîne
irrémédiablement un effet dépressif sur le cotonnier
» (INERA : Programme coton. Fiche coton n°4). Au
titre de ces opérations d'entretien, les cotonculteurs
déclarent réaliser au minimum trois sarclages sur les champs de
coton, le tout couronné par un buttage. Sur les champs vivriers de ces
mêmes producteurs, la tendance est à un seul passage, soit une
opération de sarclage, soit un simple buttage. Quant aux non
producteurs, toutes leurs parcelles sont sarclées et le buttage conclut
le travail sur les parcelles de sorgho, du petit mil et du maïs.
La période de récolte est la plus
épouvantable pour les cotonculteurs qui « souffrent de voir
» certains produits menaçant de s'abîmer sous la
pression des différentes sollicitations. En effet, les produits vivriers
mürissent presqu'au même moment, mieux, à un intervalle de
temps très réduit. « Pendant que le producteur
récolte tel produit, il abandonne momentanément le coton. Au
moment où il est en passe de finir ce premier produit, un autre a
mûri alors que dans le même temps, le coton attend un sarclage ou
un buttage », explique un groupe de producteurs. Les cotonculteurs
diabolais prisent la production du sorgho parce que c'est un produit qui
résiste mieux à l'herbe et sa maturité a lieu
précocement par rapport au coton. Ainsi, le producteur peut le
récolter sans trop de difficultés du moment où
l'opération peut s'étaler dans le temps sans que le champ ne soit
menacé. La situation est plus délicate quand la maturation d'un
produit coïncide avec celle du coton. C'est le cas du petit mil. A ce
niveau, en dépit des entraides en oeuvre dans ces périodes,
témoigne un céréaliculteur, « il n'est pas rare
qu'un producteur arrivé dans son champ de mil n'ait plus grand-chose
à couper du moment où tout est à terre, les épis
à moitié rongés par les termites et transportés par
les fourmis, doublé des incursions animales en ces temps de vaines
pâtures » avec les conséquences dont nous traiterons
dans le sixième chapitre.
En somme, la concurrence des calendriers culturaux joue au
détriment du calendrier vivrier qui ne remplit que le temps non
indispensable aux champs du coton dont le calendrier est scrupuleusement
respecté, du moins autant que possible. Le démarrage vivrier est
centré sur les périodes post-semis du coton, période
où les conditions pluviométriques sont moins favorables à
une bonne levée des plants quelqu'ils soient. L'entretien de ces plants
vivriers se trouve aussi entravé par l'agencement codifié des
opérations dans les parcelles cotonnières. Les vivres, parfois
ensemencés sur un sol non labouré sous la menace d'une
révolution du
calendrier de semi, se contentent d'un seul désherbage
et le buttage devient un luxe pour certaines parcelles. A ce niveau, il nous
parait opportun de noter la multiplicité des prestations et le long
temps de travail qu'exige la production cotonnière, long temps qui
harasse proportionnellement le producteur annihilant les efforts de celui-ci
à investir d'autres parcelles. Le cotonculteur arrive sur son champ de
céréales tout incapable d'action significative. Le rendement
céréalier s'en trouve négativement affecté. Ainsi,
nous pouvons établir le constat selon lequel le coton constitue une
menace pour la culture céréalière chez les cotonculteurs
qui se trouvent être aussi des céréaliculteurs.