Initiatives diplomatiques et occupation de l'espace africain. le cas du golfe de guinée (2001-2008). une approche de usages géostratégiques de la diplomatie( Télécharger le fichier original )par Théophile Mirabeau Nchare Nom Université de Yaoundé II - DEA sciences politiques 2009 |
B- La Chine et le trompe l'oeil du ``partenariat gagnant-gagnant''Au lendemain du sommet sino-africain qualifié d'évènement historique par Hu Jintao, la Chine a publié le 12 janvier 2006, son Document sur la politique chinoise à l'égard de l'Afrique dans lequel sont évoqués différents objectifs de la coopération sino-africaine sur les plans politique, économique, militaire et culturel. Rappel du socle de cette coopération en l'occurrence l'établissement et le développement d'« un nouveau type de partenariat stratégique marqué par l'égalité et la confiance mutuelle sur le plan politique, la coopération dans un esprit gagnant-gagnant sur le plan économique » ; ce Document consacre la déclaration de Hu Jintao au sommet du 4 au 6 novembre : « La Chine restera toujours un bon ami, un bon partenaire et un bon frère de l'Afrique ».151(*) Il convient donc de décortiquer les concepts clés de ce ``nouveau type de partenariat'' pour décrypter ses enjeux. Premièrement, le substrat ``d'égalité et de confiance mutuelle'' sur lequel la Chine compte bâtir son partenariat poursuit des enjeux réalistes par un primat libéral idéaliste. Sous l'angle libéral, Hu Jintao veut faire croire aux Etats africains qu'ils sont avec la Chine dans une même catégorisation étatique en l'occurrence celle des pays du Sud. Ils doivent par conséquents conjuguer leurs efforts et se soutenir mutuellement pour résoudre efficacement leurs problèmes de développement. Or sous un angle réaliste, il s'agit d'un mirage car aucun Etat africain n'égale le niveau de développement et de croissance de la Chine. En outre, le concept de ``confiance mutuelle'' dans les relations interétatiques s'avère stratégiquement naïf puisque la diplomatie est plus l'expression de l'égoïsme des Etats que des contingences qui les contraignent à la coopération. Par ailleurs, il convient de rappeler les grandes lignes de la géopolitique africaine de la Chine pour cerner l'enjeu stratégique du ``partenariat gagnant-gagnant''. La Chine a besoin des marchés et des ressources énergétiques du continent et plus particulièrement du golfe de Guinée pour soutenir sa croissance en plein essor. Les Etats africains quant à eux ont nourri l'illusion qu'ils ne peuvent se développer qu'avec l'aide étrangère. C'est donc le postulat réaliste du ``donnant-donnant'' que la Chine a conceptualisé en ``gagnant-gagnant''. Ainsi, dans les pays du golfe de Guinée, l'impression affichée par l'activisme chinois laisse croire que ce sont les Etats de cette région qui gagnent : constructions d'infrastructures sportives; sanitaires, scolaires, routières152(*). La Chine s'exerce dans tous les secteurs d'activité et les pays du golfe de Guinée et d'Afrique153(*) en bénéficient mieux qu'ils ne le font avec les occidentaux, entent-t-on dans les discours populaires. De plus, la Chine propose aux pays africains des prêts et des crédits à taux préférentiels pour un montant cumulé de cinq milliards de dollars ; elle a effacé les prêts à taux zéro des pays africains les plus endettés arrivés à échéance en 2005154(*). Que bénéficie alors la Chine dans ce ``gagnant-gagnant''? D'emblée, il convient de dire qu'aucun homme d'Etat du golfe de Guinée n'affiche ce que la Chine tire de son pays. Ce n'est donc qu'une analyse géostratégique qui peut permettre de décrypter le gain géopolitique de la Chine dans ces pays. En ce sens, elle est la principale sinon la seule ``gagnante'' de son partenariat avec les Etats du golfe de Guinée et d'Afrique en général. Le ``partenariat gagnant-gagnant'' n'est que l'opérationnalisation du projet géostratégique chinois dans le continent et ceci pour trois raisons au moins. Premièrement la Chine entretient des relations avec les autres régions du monde avec qui elle ne parle nullement de ``partenariat gagnant-gagnant''. Si elle a forgé ce concept pour qualifier ses rapports avec le continent africain, c'est juste pour montrer aux leaders africains qu'ils sont des partenaires qu'elle respecte et que leur continent n'est pas uniquement une réserve de matières premières. De ce fait, l'enjeu est de se positionner idéologiquement dans ces pays et de mieux y réaliser ses objectifs de politique étrangère. Ainsi, dans tous les pays du golfe de Guinée et d'Afrique, la Chine y opérationnalise davantage sa politique de puissance. Certains leaders de la région n'hésitent pas à offrir leurs ressources à une Chine plus puissante et maîtresse du monde. Par exemple, lors du dîner officiel offert le 26 avril 2006 à Hu Jintao en visite officielle au Nigéria, Olusegun Obasanjo déclara: « Nous souhaiterions un jour que la Chine dirige le monde, et quand ce sera le cas, nous voudrions être juste derrière vous ! »155(*). En priori, l'hypothèse d'un langage diplomatique tendant à affriander le leader chinois pour lui signifier la volonté nigériane ou africaine de voir la Chine comme principal partenaire des pays de la région peut être avancée. Mais placé sous un stratégique, ce discours amène à s'interroger sur ce que les leaders africains peuvent tirer de leur partenariat avec la Chine quand ils reçoivent avec émerveillement les initiatives de ses plénipotentiaires. De plus, il amplifie l'imagerie d'une Afrique rétrograde et heureuse de demeurer ``derrière'' les grandes puissances. Deuxièmement, si l'on s'en tient au postulat réaliste de l'inconciliabilité des intérêts en relations internationales qui stipule que chaque acteur définit seul son intérêt et se donne les moyens de le réaliser, la ``coopération gagnant-gagnant'' représente pour la Chine un instrument de géopolitique et de prédation des richesses africaines. Et pour s'en convaincre, lorsque la Chine s'engage à construire une infrastructure dans un pays d'Afrique, ce dernier ne bénéficie que du produit fini. Le marché est gagné par une entreprise chinoise qui utilise une main d'oeuvre essentiellement chinoise et le réalise avec des matériaux chinois. C'est n'est donc qu'un exutoire pour sa population active, une stratégie pour expérimenter, perfectionner sa technologie et conquérir ainsi le monde. Enfin, en échange de ces infrastructures, les Etats bénéficiaires lui offrent des bonnes parts dans l'exploitation des ressources stratégiques156(*) et ouvre leurs marchés à ses produits hypercompétitifs157(*). La conséquence est qu'ils conduisent les commerçants locaux à la faillite158(*), élargit le fossé d'une économie africaine outrancièrement extravertie et condamnée au consumérisme ; promeut une balance commerciale déficitaire puisque la Chine exporte sur le continent des produits manufacturés à haute valeur ajoutée alors qu'elle n'y importe que des matières premières. Tous ces éléments illustrent l'affirmation selon laquelle la coopération sino-africaine est plutôt perdante pour les Etats du golfe de Guinée et d'Afrique. Elle n'est donc pas loin des modèles coloniaux et néocoloniaux institués par les puissances occidentales. Valérie Niquet avait à cet effet raison d'écrire que : La Chine apparaît donc en Afrique comme essentiellement prédatrice, selon le modèle hier mis en oeuvre par les puissances coloniales. [Une] stratégie (...) qui permet aux régimes les plus contestables de la région de reconstituer une économie de rente fondée sur l'exploitation massive des ressources naturelles, sans réel transfert de richesse ou de savoir-faire vers les populations locales (...).159(*) Partout en Afrique, les entreprises et multinationales chinoises s'imposent à leurs concurrents occidentaux et les rivalisent dans leurs marchés captifs. Par exemple en août 2004, la China Road and Bridge Corporation (CRBC) a remporté à Douala au Cameroun un marché de réfection de 13 Km de routes au détriment du consortium français SOGEA/SATOM/RAZEL)160(*). En 2006, 900 entreprises chinoises de toutes tailles étaient déjà installées en Afrique embauchant plus de 800 000 travailleurs chinois. Ces chiffrent sont à maximiser si on tient compte des particuliers qui envahissent jour après jour tous les secteurs d'activités africains. Le cas des principales villes du Cameroun plus près de nous l'illustre fort à propos. La coopération gagnant-gagnant se révèle de ce fait être l'opérationnalisation de la stratégie d'occupation et de contrôle de l'espace africain par Pékin. Le Brésil et l'Inde ont suivi eux aussi, ce canevas géostratégique. * 151 Voir le discours d'ouverture du sommet en annexe. * 152 Les cas les plus illustratifs sont la construction d'un palais de sport, d'un hôpital gynéco-obstétrique à Yaoundé au Cameroun, des infrastructures routières au Gabon, en Guinée Equatoriale et en RDC. Lire Antonio GARCIA, « Chine-Afrique : La boulimie pétrolière de Hu Jintao », in rfi.fr, 27 avril 2006, http://www.rfi.fr/actufr/articles/076/article_43353.asp, consulté le 25 mai 2009. * 153 Même les dirigeants jugés peu recommandables par les occidentaux tels le Président soudanais, Omar El-Béchir, accusé d'orchestrer un véritable génocide des populations du Darfour et frappé d'un mandat d'arrêt international de la CPIJ et le Président zimbabwéen Robert MUGABE, connu pour ses dérives racistes et antidémocratiques. Actualisation de la realpolitik à la chinoise, tous les pays susceptibles de promouvoir ses intérêts sont fréquentables pourvue qu'ils « respectent le principe d'une seule Chine » rappelait encore le chef de la diplomatie chinoise, Li Zhaoxing. De plus, La Chine n'entend nullement se préoccuper des problèmes politiques internes des pays avec qui elle coopère suivant son fameux « principe de la non ingérence ». « La Chine ne pose aucune condition politique à sa coopération. (...) Nous ne voulons pas exporter nos propres valeurs et notre modèle de développement » a plusieurs fois déclaré Hu Jintao lors de ses tournées africaines. Voir Barthélémy COURMONT, « Chine- Afrique : Après le sommet historique de Pékin », op.cit., p.2. * 154 Ibid., p.3. * 155 Cité par Barthélémy COURMONT, « Chine- Afrique : Après le sommet historique de Pékin », op.cit. p.3. * 156 Près de 30% du pétrole importé par l'Empire du Milieu en 2005 provient des pays du golfe de Guinée ; soit plus de 38 millions de tonnes, l'équivalent de 760.000 barils par jour. L'Angola est devenu en février 2006 le premier fournisseur de pétrole de la Chine, devant l'Arabie Saoudite, avec plus de 450.000 barils de brut par jour, ce qui correspond à 15 % du total des importations chinoises d'hydrocarbures. Voir Heinrich KREFT, « La diplomatie chinoise de l'énergie », in Politique étrangère N°2/2006, p. 350. * 157 Fabriquant 12% des produits manufacturés mondiales, la Chine est devenue en 2005, le premier fournisseur de l'Afrique devant la France et l'Allemagne et son deuxième client derrière les Etats-Unis. Ses produits sont pour toutes les bourses et englobent à la fois l'industrie d'habillement, l'ameublissement, les produits électroménagers, les appareils électroniques, les produits pharmaceutiques, la quincaillerie et l'industrie automobile. * 158 A Dakar par exemple, l'Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (UNICOIS) a depuis 2002 dressé contre les commerçants chinois une série de chefs d'accusation : travail illégal, déclaration de produits en pièce détachées en lieu et place de produits finis et monopolisation des places de marché au détriment des vendeurs sénégalais. « Nous voulons éviter ce qui s'est passé à Kampala (Ouganda) ou Nairobi (Kenya), où les commerçants chinois ont mis quasiment tous les locaux au chômage », expliquait alors le secrétaire permanent de ce syndicat au journal Afrik. Voir le numéro du 9 février 2009, http://www.afrik.com/article10646.html, consulté le 22 juillet 2009. * 159 Valérie NIQUET, « La stratégie africaine de la Chine », in Politique Etrangère, N°2/2006, p. 33. * 160 Wullson MVOMO ELA, « Pétrostratégie et appels d'empire dans le golfe de Guinée », op.cit. p. 10. |
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