Paragraphe 1. En droit public et privé (civil
law)
Le terme droit civil? englobe dans la terminologie
anglaise le droit public388 (A) et le droit privé (B). Il se
définit de manière résiduelle comme tout ce qui ne
relève pas du droit pénal. Le droit civil? constitue
dès lors un champ juridique très large389.
A. En droit public
La compétence du Comité Judiciaire en droit
public mauricien est particulièrement vaste. Aux termes de l?article
81-1-a de la Constitution, il peut être saisi d?un pourvoi contre toute
décision définitive390 du juge local dans une affaire
impliquant une question d?interprétation d?une norme
387 Article 81-5 CM dispose que: «Aucune disposition du
présent article n?affectera tout droit du Comité Judiciaire
d?accorder une autorisation spéciale pour l?exercice d?un pourvoi contre
toute décision rendue par une cour quelconque en matière civile
ou pénale».
388 Selon la conception de Albert Venn Dicey, un seul droit
régit les relations entre les particuliers et l?Administration. Les
droits public et administratif, rejetés par Albert Venn Dicey, ne sont
que des composants du droit civil?.
389 Le terme droit civil? désigne aussi les
matières du droit social. V. CJCP: 1er février 1993, Sundry
Workers c/ Antigua Hotel, WLR, 1993, vol. 1, pp. 1250 à 1259, affaire
d?Antigua et Barbuda, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt.
Par contre, la Cour Suprême indique, à tort sans doute, que les
matières de responsabilité disciplinaires ne font partie ni du
droit civil?, ni du droit pénal. V. CSM: 2 novembre 1993,
Geemul c/ Supreme Court of Mauritius, MR, 1993, pp. 226 à 230, Le
Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt.
390 Un jugement interlocutoire ne peut en principe faire
l?objet d?un recours au Conseil Privé. V. CSM: 30 novembre 1990,
Ramlagun c/ Indian Ocean International Bank Ltd., MR, 1990, pp. 229 à
231, le juge Ahmed rédacteur de l'arrêt.
constitutionnelle391. Or, la Constitution
mauricienne est excessivement abondante et comporte cent vingt-deux longs
articles. Chaque article est divisé en plusieurs paragraphes et
sous-paragraphes. La Constitution contient, comme nous l?avons
déjà mentionné, une déclaration des droit
s?inspirant de celle de la Convention Européenne des Droits de l?Homme.
Le constituant originaire a été volontairement explicite,
pointilleux et détaillé dans la reproduction des rapports entre
l?exécutif, le Parlement et le judiciaire392. La Constitution
mauricienne comporte également des dispositions qui, en France,
relèveraient de la Loi organique. C?est ainsi qu?il existe à
Maurice au moins deux modes de révisions de la Constitution, suivant la
nature de l?article en question. Les dispositions d?application des principes
fondamentaux sont révisables sur vote à la majorité
qualifiée de deux tiers des députés tandis que les
principes ne peuvent être révisés que sur vote positif de
trois quarts des députés. Aussi, nombreux corps administratifs et
institutions administratives indépendantes sont
constitutionnalisés.
En dépit de cette constitutionnalisation accrue,
l?activité du contrôle constitutionnel393 peut
apparaître faible à première vue même si le nombre de
saisine du Comité Judiciaire a considérablement augmenté
dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix394. Il
demeure, toutefois, que le Comité Judiciaire est systématiquement
saisi de toutes les grandes affaires constitutionnelles
mauriciennes395 et ses décisions ont permis de
développer à Maurice un droit constitutionnel
moderne396.
Aussi, selon l?énoncé de l?article 37-6 de la
Constitution, le Comité Judiciaire est le juge de
cassation397 du contentieux des élections
législatives398, de la déchéance des mandats
parlementaires et des élections internes à l?Assemblée
Nationale.
391 Selon la classification opérée par Monsieur
le Doyen Louis Favoreu, on peut soutenir que le Comité Judiciaire est
une juridiction constitutionnelle. V. FAVOREU Louis: «Les Cours
constitutionnelles», PUF, Que sais-je ?, 1986, 110 p., v. p. 3.
392 DE SMITH Stanley, cité note 30, p. 82 et s.
393 L?exercice du contrôle constitutionnel peut
découler de la confrontation de toute norme juridique et d?une
décision juridictionnelle ou administrative à la Constitution. V.
infra sur les modes d?exercice du contrôle constitutionnel.
394 Le Comité Judiciaire a été saisi de huit
affaires mauriciennes en 1989 et 1990.
395 COLOM Jacques: «L?exercice de la justice
constitutionnelle par le Conseil Privé», AIJC, 1987, pp. 607
à 622.
396 Certains grands arrêts mauriciens du Comité
Judiciaire sont publiés dans les recueils de jurisprudence
britanniques.
397 CJCP: 22 mars 1994, Fakeemeeah Chel Mohammad c/ Essouf
Amanoullah Ahmad, WLR, 1994, vol. 1, pp. 697 à 707, affaire de Maurice,
Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt.
398 L?article 48-A de la Loi de 1968 sur la
Représentation du peuple, qui reprend les termes de l?article 37-6 de la
Constitution, dispose que le recours à Londres peut être
intenté de droit en matière des élections.
Enfin, le juge londonien est compétent pour statuer sur
toute affaire relevant d?une importance générale ou
publique399 en vertu de l?article 81-2 de la Constitution. Cet
article, interprété libéralement, permet au juge londonien
d?être saisi de litiges purement administratifs.
B. En droit privé
Si en droit public le critère de compétence du
Comité Judiciaire est d?ordre matériel, en droit privé le
critère quantitatif intervient. La valeur de la prétention est
prise en compte selon l?article 81-1-b de la Constitution de Maurice. Le
Comité Judiciaire peut être saisi d?un pourvoi contre toute
décision rendue dans un procès civil lorsque l?objet du litige
est égal ou excède RPM 10,000400 ou lorsque le recours
implique, directement ou indirectement la revendication d?un tel
montant401. Cette disposition a une origine fort ancienne et remonte
à une Ordonnance en Conseil de 1831 qui avait fixé le montant
autorisé aux fins d?appel (appealable amount) de £ 1,000
pour les affaires mauriciennes. Ce montant fut converti en RPM 10,000 en 1894.
Le taux de compétence du Comité Judiciaire n?a pas
été revu à la hausse par le constituant en 1968. Il
représente aujourd?hui le plus petit coût d?un procès en
première instance en Cour Suprême. Ce critère quantitatif
ne joue plus son rôle de filtrage en excluant de la compétence du
Comité Judiciaire les petites affaires civiles ou commerciales. C?est
pourquoi le législateur ordinaire a, par une Loi de 1990 sur le
fonctionnement de la justice (Judicial Provisions Act), fixé le
montant autorisé de la demande à RPM 150,000402. Il y
lieu de s?interroger sur la régularité de cette Loi dont la
constitutionnalité est douteuse. La Loi est en contradiction manifeste
avec l?article 81-1-b de la Constitution même si elle n?a soulevé
aucune difficulté pratique et n?a jamais été
contestée. Le coût très élevé d?un
procès au Comité Judiciaire403 empêche de facto
qu?il soit saisi de petits litiges.
On ne manquera pas non plus de faire ressortir que cette
limitation apportée à la compétence du Comité
Judiciaire peut exclure de son prétoire des
399 CSM: 30 juillet 1993, Republic of France c/ Heeralall, MR,
1993, pp. 151 à 154, le juge Froget rédacteur de
l'arrêt.
400 Approximativement FRF 3,000.
401 Le montant de l?affaire est apprécié non en
capital mais en principal. Le principal comprend outre le capital, les fruits
et intérêts qui sont dus au jour de la demande. Toutefois, les
dépens incombés à la partie succombante ne sont pas pris
en compte dans la détermination du montant autorisé pour appel.
V. CJCP: 5 décembre 1876, The Crédit Foncier of Mauritius c/
Patureau, LT, septembre 1876 à février 1877, vo 35, pp. 869
à 870, affaire de Maurice, Sir Barnes Peacock rédacteur de
l'arrêt.
402 Article 13 de la Loi. Celle-ci réforme l?Ordonnance en
Conseil de 1968 sur les pourvois mauriciens au Conseil Privé (The
Mauritius Appeals to the Privy Council Order 1968).
403 Un procès coûte au minimum RPM 500,000.
litiges assez importants relatifs à l?état des
personnes. Le critère quantitatif privilégie les litiges de
nature commerciale. Il serait souhaitable que le juge local, qui autorise le
recours, ou le juge londonien lui-même, assouplisse les conditions de
recevabilité des pourvois dans ce secteur.
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