B- L'organisation religieuse et socio-économique
Lorsque les missionnaires arrivent à Nlong comme
partout ailleurs, ils trouvent dans la localité une organisation
religieuse et socio-économique établie. C'est celle des Beti qui
nous intéresse ici.
1-Les rites et traditions religieuses
Comme tous les Beti, les Ewondo et les Eton de Nlong croient
à l'existence d'un créateur suprême ; car le Beti ne
connaît pas une société civile, la sienne étant
toujours religieuse, c'est-à-dire rattachée à des forces
religieuses13. C'est dans le contact avec la puissance invisible que
l'homme beti agit avec efficacité dans son milieu de vie. La nature de
cette puissance est qu'elle peut être partout présente, dans la
matière organique ou non, dans l'ici bas et dans
l'au-delà14. Cette puissance se manifeste et se communique
dans la liturgie de la religion Beti à travers des rites. Nous nous
proposons ici d'analyser quelques rites importants :
13 I. Tabi, Les rites Beti au christ. Essai de
pastorale liturgique sur quelques rites de nos ancêtres, Paris, St.
Paul, 1991, p. 6.
14 E. Dammann, Les religions de l'Afrique,
Paris, Payot, 1978, p. 16.
a- Le so
Ce rite de démonstration, de courage, de ruse et de
débrouillardise était réservé aux hommes. En effet,
comme le dit P. Laburthe Tolra : « Tout garçon beti était
tot ou tard admis par sa famille à devenir un homme complet en subissant
le grand rituel d'initiation connu sous le nom de so »15
Le so se déroulait en plusieurs étapes
qui se faisaient à des intervalles plus ou moins longs. Ce rite
était vécu par les Beti comme le centre de leur vie. Le rituel
consistait à amener des jeunes garçons en brousse. On choisissait
alors un arbre sous lequel on construisait une voûte. Celle-ci avait au
dessus, des arbustes ayant des fourmis et des insectes qui piquent. Et le long
de cette voûte, qui mesurait une centaine de mètre, le jeune
garçon devait marcher nu pendant que les initiés tenus aux abords
secouaient les supports. Les insectes, les épines tombaient sur le jeune
garçon qui ne devait ni courir, ni crier, ni pleurer, mais devait dire
so, je serai un homme »16 tout au long de sa marche.
Au sortir de la voûte après un aller-retour, un initié
ayant un objet pointu venait tracer les balafres sur le dos du garçon.
Après cette phase, d'autres cérémonies suivaient. A la
fin, le jeune garçon sortait de la brousse sous les acclamations de joie
qui signifiaient que ce dernier était déjà un homme
accompli selon la tradition beti.
Cette pratique fut interdite par les autorités
coloniales car selon les missionnaires, elle détournait les populations
des règles religieuses. Les femmes avaient à leur tour un rite
le mevungu.
b- Le mevungu
Réservé aux femmes, le mevungu
était très différent du so dans la mesure
où les femmes se mariaient très tôt et allaient loin de
leur famille d'origine. Le
15 P.Lburthe Tolra, Initiation aux
sociétés secrète au Cameroun. Essai sur la religion
Beti, Paris, Karthala, 1985, p.229
16 Ibid.
mevungu se présentait pour ses adeptes comme
une célébration du clitoris et de la puissance
féminine17.
Le rituel consistait à amener les jeunes filles dans
une brousse. La mère du mevungu réclamait un secret
absolu, elle se mettait alors nu en invitant l'organisatrice et les candidates
à l'imiter. Elle allumait un grand feu autour duquel on plaçait
un paquet à réchauffer. Ensuite, on passait à la
cérémonie des invocations en transperçant le paquet
d'aiguilles de raphia en disant : « Si je suis une mère coupable,
mevungu emporte moi », « si j'ai donné l'evu à
tel ou tel enfant, mevungu emporte moi », « celui qui m'a
fait telle ou telle chose mevungu tue le moi ou bien couvre-le
d'abcès ».
Après cette phase, les femmes mangeaient ce qu'elles
avaient préparé et dansaient toute la nuit en sautant au dessus
du feu18. Nous devons mentionner ici que le mevungu
était célébré quand le village était
dur, aled en beti, c'est-à-dire quand rien ne poussait dans les
champs, aucun gibier n'était pris dans les pièges, les femmes
étaient trop malades ou stériles.
Le mevungu était l'affaire des femmes parce
qu'elles étaient assimilées à la procréation. Et
cette procréation que ce soit des animaux en brousse ou des nourritures
des champs, est rapprochée par P. Laburthe Tolra à la
fécondité de la femme, car si la femme est féconde, c'est
parce qu'elle est efficace auprès de la nature et des ancêtres.
Les autorités coloniales ont vu à la pratique de ce rite une
façon de se détourner du christianisme et l'ont interdit.
c-Le tsoo
Le tsoo est un rite de purification ou de la
prévention d'une souillure par la famille, soit à la suite du
meurtre d'un parent, soit à la suite d' un suicide ou d'une mort
violente et sanglante (accidents de travail, de circulation, noyade...). En
plus de l'accident, la souillure est parfois contractée par l'infraction
de l'interdit sexuel touchant un membre de la famille. Et pour savoir que
quelqu'un
17 Ibid, p. 327.
18 P. Laburthe,Tolra, Initiation aux
Société secrètes au Camerouni. p.330.
avait contracté cette souillure, il y avait une
augmentation des maladies, de décès des jeunes et des
stérilités dans la famille.
Pour remédier à toutes ces situations, on
pratique le tsoo. Ce mot vient du mot tsag qui signifie
écraser. Les éléments du rite étaient
écrasés et mélangés. Cette potion était
alors bue par les membres de la famille et les participants du tsoo.
Le reste était versé dans un cours d'eau qui devenait zone
interdite appelée en Eton bina jusqu'à la levée
de l'interdit, deux à trois ans après.
Par ce rite, les Beti de Nlong voulaient prévenir le
mal. Nous pouvons dire de ce fait que le beti était conscient qu'au
départ, il vivait en harmonie avec Dieu et il lui a manqué de
respect. Et pour se libérer de cela, il fallait faire le tsoo
et suivre ses interdits. C'est pourquoi, nous pouvons rapprocher le
tsoo à la liturgie chrétienne qui veut que le
pécheur reconnaisse sa faute et par la suite qu'il fasse
pénitence pour que ses péchés lui soient pardonnés.
En plus du tsoo nous avons également l'esié
d- L' esié
L' esié est un rite de pénitence et de
réconciliation par la purification en vue de libérer un malade et
en obtenir une guérison dans une échéance
brève19. Dans ce cas, chaque membre de la famille entretient
avec le malade des plaintes et des griefs qu'il porte contre lui. Après
cela, l'enquête se tourne vers le malade lui-même pour comprendre
les causes de sa maladie, car il en sait lui-même peut être quelque
chose. En suite l'initiateur du rite donne publiquement le résultat et
dit que justice soit faite. Le malade est alors envoyé se faire soigner
là où il veut. La guérison prompte est indiquée. Le
« oui » que toute la famille professe est la réconciliation
des coeurs et toute la famille dit unanimement : « qu'il vive, dans tant
ou tant jours qu'il se relève »20 . Ensuite on
égorge un cabri (bouc) dont le sang est mêlé à l'eau
et servira au bain du malade. Pour ce qui est de la viande, elle est
partagée à tous les assistants et le coeur est
réservé au malade.
19 I. Tabi, Les rites Beti au christ. Essai de
pastorale liturgique. p. 21.
20 Ibid.
L' « ésié » se rapproche dans la
liturgie chrétienne, à la confession et à l'onction du
malade pratiquée par les prêtres. La confession
générale après laquelle, on procède au sacrifice de
réconciliation, prépare le malade donc le pécheur à
recevoir l'eau de la purification de la paix et de la santé.
Nous constatons que les rites religieux des populations de Nlong
sont pour la plupart semblables aux cultes catholiques. Qu'en est il de la
société Beti ?
2- L'organisation socio-économique
A l'arrivée des missionnaires catholiques les habitants de
Nlong menaient dans chaque famille des activités économiques.
a- Une société patriarcale
Les Beti de Nlong ont une société où
l'autorité se transmet de père en fils. Dans chaque famille
(Mvog), il y a le père fondateur qui a une autorité sans
contestation au sein de la famille. Ce chef de famille est appelé
mot dzal c'est- à-dire l'homme du village comme le prouve ce
proverbe Beti : « A chaque bosquet son écureuil
mâle»21. Au dessous de ce chef de famille, il y a ses
épouses ; car la famille est essentiellement polygamique. En 1955, la
pratique de la polygamie persistait à Nlong alors que les missionnaires
combattaient énergiquement ce fléau qu'ils qualifiaient de
social. Pour abolir ce régime matrimonial des mesures avaient
été prises avec la création des sixa et l'isolement des
familles polygamiques.
Ces épouses connaissaient entre elles une
hiérarchisation basée sur le rôle que chaque femme au sein
de la famille.
On avait alors :
- l 'Ekomba qui est la femme dont le travail a enrichi
l'homme ;
- l 'Ebeda-ekomba, celle qui a été
dotée par le père ;
- la troisième Mpeg désigne la
préférée. C'est elle qui réside dans la case du
père de famille ;
- la dernière catégorie est constituée des
femmes délaissées qui vivent dans la concession.
Après les épouses, il y a les enfants qui sont
aussi hiérarchisés en fonction du sexe et de l'âge. Nous
avons également les dépendants mintobo. Ce sont les gens
venus s'installer dans le village ; ils travaillent au compte de la famille.
Nous avons enfin les esclaves beloua ou les esclaves.
b- L'agriculture de subsistance
Les populations de Nlong pratiquaient l'agriculture sur
brûlis qui est un système agricole qui consiste à
défricher un pan de la forêt ou de la brousse et à mettre
le feu sur les friches desséchées avant de labourer et enfin
semer. Il y avait ici une répartition du travail entre les hommes et les
femmes22. En fait les hommes défrichaient les zones
destinées aux cultures, mettaient le feu sur les friches. Les femmes
quant à elles venaient alors labourer et semer. On cultivait le macabo,
le manioc, l'igname, la patate, le plantain, la banane douce, le maïs,
l'arachide, etc, et les fruits comme les oranges, les mangues,... La production
agricole était complétée par la chasse.
c- La chasse
La chasse est une activité réservée aux
hommes. Elle est pratiquée de plusieurs manières23. Il
y a d'abord les pièges appelés en Beti melam qu'on
faisait dans un coin de la brousse et on venait surveiller de temps en temps si
les animaux ont été pris. Une autre technique consistait à
creuser les trous que l'on recouvrait légèrement afin que les
animaux de passage tombent à l'intérieur.
22 Brigitte Ngah, 88 ans, agricultrice, N long le 11
mai 2007.
23 Marc Ekani, 63 ans, militaire retraité,
Nlong le 15 mai 2007.
Nous avons également une autre technique praticable
uniquement en saison sèche, qui consistait à mettre le feu dans
un pan de la brousse après l'avoir encerclé. Cette technique est
appelée en Eton nsan. Tout comme la chasse, la pêche
faisait aussi partie des activités des populations de Nlong.
d- La pêche
Elle se pratiquait aussi bien par les hommes que par les
femmes. Mais les Techniques sont différentes selon le genre qui
pratique24. Les hommes pratiquaient la pêche à la ligne
appelée nlob et les femmes quant à elles pratiquent la
pêche qui consiste à barrer une portion de la rivière
à l'aide des troncs d'arbustes, du feuillage et de la boue25.
Ensuite la partie isolée est asséchée à l'aide des
récipients et quand elle est presque sèche, les femmes attrapent
les poissons qu'elles mettent dans un type de panier appelé en Eton
nkouma. Cette pêche s'appelle en Eton alok et a la
particularité d'être pratiquée uniquement en saison
sèche.
Au terme de cette analyse, force est de constater que
l'univers socioculturel et économique des Beti est régi par ses
caractéristiques propres d'où sa spécificité. Nous
notons un peuplement disparate aux activités économiques
correspondant à une société de consommation, un
système de répartition de travail entre les hommes et les femmes.
Cette société est par ailleurs religieuse où la vie de
l'individu est marquée par l'omniprésence de l'invisible sur fond
du visible. Le dialogue avec les ancêtres se fait au moyen des rites. Le
ntondo obé, seul Être suprême est l'expression
d'une religion traditionnelle monothéiste. C'est dans cet état
d'équilibre parfait que les missionnaires vont arriver.
24 Entrtien avec Brigitte Ngah.
25 Entretien avec Marc Ekani.
CHAPITRE II. L'EVANGELISATION DE NLONG, DES ORIGINES
A 1955
L'idée de la création d'une mission catholique
à Ngulmakong vient du chef Tsanga Manga II1. En effet au
cours d'une de ses tournées pastorales, Monseigneur François
Xavier Vogt2 s'arrêta à Mbama à
Ngulmakong chez le chef Tsanga Manga II. Ce dernier profita de l'occasion pour
demander à l'évêque la création d'une mission
catholique dans son territoire3. Emerveillé par l'accueil et
par l'hébergement, Monseigneur F.X. Vogt garda un bon souvenir de son
séjour à Ngulmakong. De retour à Yaoundé, il
exauça la demande du chef en créant un poste catéchiste
dans la localité en 1923. Ce poste fut dirigé par Joseph
Zoa4 . Par la suite, il procéda à la création
d'une mission catholique autonome en 1926. Cette mission avait un double
objectif : la conversion des populations de Nlong au catholicisme et la
création des oeuvres à caractère social et
économique.
I. L'ARRIVEE DES MISSIONNAIRES A NGULMAKONG
L'arrivée des missionnaires à Ngulmakong fut
précédée par l'arrivée du chef catéchiste
Joseph Zoa.
1 Tsanga Manga II était le chef des Eton Il
s'était installé à Ngulmakong grâce au chef Bassa,
Matip. Ce dernier était en conflit avec les Ewondo. Le chef Tsanga Manga
II aurait empêché l'attaque de ce dernier par les Ewondo. Par
reconnaissance, les Bassa vont céder à Tsanga Manga II leur
territoire de Ngulmakong faisant de lui le chef de ce territoire.
2 Monseigneur F.X. Vogt est né le 3
Décembre 1870 à Marlenheim. Il arrive au Cameroun après la
Première Guerre Mondiale avec la nouvelle congrégation des
Pères du Saint Esprit. Il coiffe cette congrégation des
Pères du Saint Esprit au Cameroun.
3 Abbé Théodore Léandre
Nzié, 40 ans, curé actuel de la paroisse de Nlong, Nlong le 6
Décembre 2007.
4 Joseph Zoa est né vers 1885 à Simbock
près de Mendong à Yaoundé. Jeune diplômé de
l'école supérieure des moniteurs de Yaoundé, il arrive
à Ngulmakong avec le titre de chef catéchiste.
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