Approche comparative de la conception des droits de l'homme dans la philosophe africaine et dans la philosophie politique contemporaine en occident( Télécharger le fichier original )par Julien Rajaoson Sciences Po Grenoble - Master 2008 |
2°) La justice chez NozickTout comme Rawls, Nozick écarte l'Utilitarisme et il pense également sa théorie contemporaine de la justice à l'intérieur de l'économie capitaliste et dans un cadre démocratique. Nous allons voir quelle est la particularité de la thèse nozickéenne comparée à celle de Rawls, et quel est son apport sur les réflexions à propos des sociétés démocratiques. « Nozick, tout comme Hayek, cherche bien à démontrer que la justice est liée à un certains type de relations économiques, à savoir le capitalisme. Son oeuvre majeure, Anarchy, State and Utopia, peut ainsi être lue comme une nouvelle tentative de fondation de cette théorie du libre marché et de l'Etat minimal dont l'objectif est d'établir qu'il y a un rapport d'équivalence et d'implication entre le fait de vouloir la justice et le fait de défendre le marché contre toute ingérence gouvernementale »125(*). D'après Nozick, le capitalisme est un système économique autonome qui ne nécessite pas une intervention étatique particulière. En effet, l'idée du libre échange126(*) est relative à sa conception de la justice, comme l'indique Jean Jacques Sarfati dans son article consacré à Nozick, « Pour savoir à qui appartient un bien, il suffit de s'intéresser aux modalités de son acquisItion. Il n'y a injustice que dans les hypothèses où les règles posées pour la transmission ou l'échange ont été violées par l'un des protagonistes »127(*). En ce sens, la conception de la justice pour Nozick n'est pas pure mais historique, car l'échange en soi est juste sauf si auparavant l'un des protagonistes en a violé les termes par un acte frauduleux ou par une escroquerie. Nous nous devons de préciser que c'est par l'idée de Libre-échange que Nozick peut justifier son Etat minimal128(*), entendu comme le garant des biens et des personnes ; pour illustrer son propos, il prend un exemple on ne peut plus convaincant. Wilt Chamberlain est un joueur de basket dont le talent attire les foules, si dans le courant de la saison ces personnes décidaient de donner un supplément sur le prix du billet d'entrée afin qu'une part de cette somme lui soit reversé. Au terme de la saison la richesse du joueur sera donc augmentée légitimement sans fraudes, et la question que pose Nozick aux éventuelles objections des sociaux-démocrates est la suivante : « Par quel processus un tel transfert entre deux personnes pourrait-il donner naissance à une revendication légitime de justice distributive sur une portion de ce qui a été transféré, par une tierce personne qui n'avait aucun droit de justice sur la moindre possession des autres avant le transfert ? »129(*). Nozick veut montrer en quoi l'acquisition légitime d'un bien procure à l'individu un droit absolu sur ce bien ce qui invalide par ailleurs une redistribution éventuelle de ce genre de richesses produites. Comme l'indique Patrick Savidan au sujet du même exemple, « L'idée finalement assez effective dans cet exemple est de dire qu'il est absurde, d'un côté, d'exiger que chacun ait une juste part des richesses disponibles et d'empêcher, d'un autre côté, que chacun dispose pleinement des richesses qui lui reviennent »130(*). Ce que récuse Nozick dans l'idée de justice redistributive des sociaux-démocrates, n'est pas seulement la légitimité de l'intervention étatique dans les échanges qui selon lui n'a pas lieu d'être, mais bien son caractère préventif qui induit une forme de contrainte sur la liberté individuelle. En effet, pour Rawls une société n'est juste que si elle prend en compte le sort des plus défavorisés ce qui induit l'idée de compensation des inégalités. Or, comme le montre Nozick un peu ironiquement, c'est que « Rawls consacre une grande partie de son attention à expliquer les raisons pour lesquelles ceux qui sont le moins dotés ne devraient pas se plaindre de recevoir moins. Son explication, dans sa forme simplifiée, repose sur le fait que, parce que l'inégalité travaille à son avantage, quelqu'un de moins favorisé ne devrait pas s'en plaindre ; il reçoit plus dans le système inégal qu'il ne recevrait dans un système égal »131(*). Cependant ce que Nozick répond à cet argument est qu'il est plausible pour un bon nombre de raisons132(*), que les plus défavorisés ne préfèrent au contraire une égalité radicale des conditions matérielles qu'une réduction des inégalités. Par conséquent, la compensation dont il est question ne peut pas être assez satisfaisante pour améliorer suffisamment leur sort, de plus celle-ci nuit à la liberté de ceux qui contribuent à ce système redistributif. La difficulté soulevée par Nozick peut prendre la forme interrogative suivante : « Pourquoi certains devraient-ils supporter le poids et le coût de la liberté des autres ? »133(*). Nozick situe la liberté comme point de départ de sa pensée, « Un examen plus approfondi de la théorie nozickéenne des droits de propriété montre que celle-ci s'articule essentiellement autour de trois principes : 1) un principe définissant » échange légitime : ce dont on dispose légitimement peut être librement transmis ; 2) un principe établissant la légitimité de la répartition initiale des droits de propriété sur des choses qui alors peuvent être transmises conformément à 1) ; et 3) un principe de correction de l'injustice qui cherche à résoudre le problème de la réattribution des droits de propriété sur des choses ayant fait l'objet d'une appropriation illégitime »134(*). Cependant, l'individualisme de Nozick est borné par ce qu'il intitule la clause lockéenne135(*) où il précise que nulle ne peut détériorer le Bien des autres par l'acquisition d'un bien. Il emprunte à Locke un exemple : « Une personne n'a pas le droit de s'approprier le seul trou d'eau dans un désert et faire payer à sa guise »136(*). * Ces deux conceptions de la justice et de l'Etat s'inscrivent dans la continuité du débat gauche/droite en Occident, à cela près que leurs divergences ne portent que sur des présomptions à propos du primat de l'égalité sur la liberté, ou l'inverse. Cette question de configuration intellectuelle ne pouvant être tranchée d'une manière absolu, du fait de la multiplicité des situations possibles dans lesquelles elle s'introduit, puis au regard de la complexité des sociétés démocratiques actuelles, il revient aux responsables politiques d'apporter des réponses conformément à l'étymologie du terme respondere. La polarisation des deux tendances idéologiques vers un certain nombre d'idées semble nécessaire afin que le clivage gauche/droite ne soit pas appréhendé comme une simple convention formelle dans la vie politique ou une antinomie se suffisant à elle même. La valeur Internationaliste de gauche devrait être réactualisée afin de pouvoir intégrer un aspect inédit de notre époque contemporaine, celui de la postcolonisation. Il semble important d'être à même de pouvoir établir un rapport de confiance et tenter de contredire le paradigme de la domination énoncé par les théoriciens de la postcolonisation pour qui le néoréalisme est indépassable. * 125 Ouvrage collectif d'Alain Renaut, op. Cit, p. 362 sur La philosophie politique anglo-américaine contemporaine dans la partie intitulée Le libertarisme de Nozick rédigée par Patrick Savidan * 126 Jean-Yves Capul, Olivier Garnier, Dictionnaire d'Economie et de sciences sociales, éd, Hatier, Paris, juin 2002, p. 136 sur le Libre-échange où dans la partie portant sur Les fondements, il est dit que « Le libre-échange correspond à une doctrine économique, née au tournant du XVIIIème et XIXème siècles, qui préconise la liberté du commerce entre les nations et la suppression de toutes les entraves aux échanges (droits de douanes, contingentements). (...) David Ricardo, avec Les principes de l'économie politique et de l'impôt (1817), est le fondateur des théories libérales de l'échange internationale qui montrent que le commerce ne désavantage aucun des participants, chacun ayant tout à y gagner ». L'idée de Libre-échange présente dans cette définition n'est qu'un fondement intellectuel sur lequel s'appuie le libertarianisme de Nozick, ce qu'il garde de cette assertion du Libre-échange c'est son caractère intrinsèquement autonome. * 127 http://www.philagora.net/droit/rawls-anarchie-etat1.htm se reporter à son Exposé préalable de la philosophie politique de R. Nozick * 128 Robert Nozick, op. Cit, p. 187 il définit l'Etat comme « celui dont les pouvoirs les plus étendus peuvent être justifiés. Tout Etat aux pouvoirs plus étendus viole le droit des gens ». * 129 Robert Nozick, Anarchie, op. Cit, p. 202 dans la deuxième partie intitulée Au-delà de l'Etat minimal ? au moment qu'il nomme Comment la liberté bouleverse les modèles * 130 Ouvrage collectif d'Alain Renaut, op. Cit, p. 369 se référer à L'argument pragmatique * 131 Robert Nozick, op. Cit, p. 243 * 132 Comme l'indique Jean-Jacques Sarfati dans son article à travers l'exemple des étudiants * 133 Robert Nozick, op. Cit, p. 105 * 134 Ouvrage d'Alain Renaut, op. Cit, p. 363 * 135 Robert Nozick, op. Cit., p. 223 dans La clause restrictive * 136 Robert Nozick, op. Cit., p. 225 |
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