I-2-2- L'expérience d'un pays d'Amérique
latine : le cas du Chili
La libéralisation financière chilienne,
amorcée au milieu des années 70, ne s'est pas limitée
à un simple abandon de la fixation des taux d'intérêt. Elle
visait à promouvoir une logique globale de marché dans le secteur
financier. La libéralisation des taux d'intérêt s'est donc
accompagnée d'une privatisation des banques publiques, de la disparition
de toute espèce de restriction à l'entrée dans le secteur
(suppression du capital social minimum) et, plus généralement, de
toute les formes de surveillance de l'activité bancaire par les
Autorités Monétaires. Au niveau externe, toutes les restrictions
à l'entrée ou à la sortie de capitaux furent abolies.
Les résultats furent catastrophiques. Dès les
premiers mois, les faillites bancaires à répétition
conduisirent le gouvernement à instaurer à nouveau un capital
social minimum. Mais, il fut annoncé que la banque centrale ne
garantirait en aucune manière les dépôts du public et qu'un
établissement bancaire en situation de faillite latente ne recevrait
aucun secours de la part des
Autorités. Cela revenait à interdire à la
banque centrale chilienne de jouer un rôle de prêteur en dernier
ressort. Pourtant, à la suite des graves difficultés connues par
une des banques les plus importantes du pays (Banco Orsono) au cours de
l'année 1977, le gouvernement, revenant sur ses déclarations,
décida d'intervenir pour la soutenir dans la crainte que la faillite
d'un établissement d'une telle importance ne ruine la confiance dans le
secteur financier. Ce n'est qu'en 1981 que la pérennité du
système fut confié à une "super intendance" bancaire, ce
qui revenait à réintroduire une réglementation
bancaire.
Les faillites ne se limitèrent malheureusement pas
qu'au seul secteur bancaire. Villanueva et Mirakhor (1990) rapportent
que le nombre de faillites d'entreprises s'est multiplié de
façon importante entre 1974 et 1982. Par ailleurs, la
privatisation ne permit pas l'émergence de la concurrence dans
le secteur bancaire. En 1982, les deux plus grandes entreprises chiliennes
contrôlaient les principales compagnies d'assurance, les principaux
fonds mutuels et les deux plus grandes banques commerciales du
pays.
Qu'en fut-il des effets bénéfiques sur
l'épargne, l'investissement et la croissance économique? Dans une
étude récente, Burkett et Dutt (1991) montrent que le processus
de libéralisation financière entrepris au Chili n'a permis ni la
croissance de l'investissement ni la croissance économique. S'il y a
bien eu un effet positif sur l'épargne dû à l'accroissement
de la profondeur financière (négligeable selon Aranello
(1983)), celle-ci semble s'être essentiellement dirigée vers
des activités non-productives du type "actifs immobiliers et
spéculation sur les marchés d'actions, acquisitions d'entreprises
par des holdings bancaires ou importations de biens de consommation de luxe".
Quant à l'ouverture du marché des capitaux domestiques aux
capitaux étrangers, elle se traduisit, selon Mac-Kinnon (1989),
par une appréciation telle du taux de change qu'elle vint annuler les
quelques rares effets bénéfiques qu'avait eu la politique de
libéralisation financière.
On le voit, les résultats obtenus au Chili vont
largement dans le sens des opposants à la libéralisation
financière. Pourtant, au début des années 80, la
Corée du Sud et Taiwan entrèrent, eux aussi, comme nous l'avons
déjà mentionné dans un processus de libéralisation
financière. Toutefois, celle-ci ne fut que partielle. Si elle se
traduisit bien par une libéralisation des taux d'intérêt,
elle laissa à l'Etat un rôle prépondérant en tant
que régulateur du système financier et elle n'ouvrit pas le
marché des capitaux domestiques à l'extérieur.
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