Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
b) La famille est également accusée de déclencher la maladieLibération mentionne l'hypothèse d'un facteur familial dans deux articles. Un premier récit est consacré à l'ouverture d'un restaurant allemand dédié aux personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire. La patronne du restaurant, elle aussi anorexique, analyse les facteurs déclencheurs de sa maladie. A l'adolescence, « ses parents étaient en plein divorce » et elle a « petit à petit cessé de [se] nourrir normalement »438(*). C'est ici un problème familial qui a suscité le déclenchement de l'anorexie. Il n'est pas rare en effet, qu'une adolescente réagisse à un événement familial pesant en restreignant sa nourriture, un moyen pour elle d'attirer l'attention de ses parents. Dans un article plus récent, la famille est dépeinte comme un milieu pathogène qui serait à l'origine de l'anorexie d'une adolescente. Avant d'expliquer comment le quotidien construit la figure du destinateur, autrement dit accuse la famille, il est intéressant de se pencher sur la « nature » de ce récit. Une nouvelle fois, Libération utilise une façon détournée d'aborder le sujet de l'anorexie en publiant un article sur un reportage télévisé diffusé par France 5, qui a pour sujet la Maison des Adolescents. Le journaliste a choisi de raconter comment se déroulait un entretien entre Marcel Rufo, pédopsychiatre et directeur de la Maison des Adolescents, une jeune anorexique Caroline, et ses parents. Deux procédés, l'un narratif, l'autre scénique, sont utilisés pour désigner les parents comme le destinateur de la maladie. Au plan narratif, le discours nous révèle pourquoi Caroline est devenue anorexique. L'accent est mis sur la pression qu'exerçait le père sur sa fille. Il était « très exigeant », voulait qu'elle ait des « bonnes notes » et qu'elle réussisse. M. Rufo analyse ce comportement et conclut que Caroline est une « compensation » des échecs de son père. Nous retrouvons ici un cas de figure déjà mentionné : les parents projettent sur leurs enfants leurs désirs, souvent non réalisés au cours de leur propre enfance. En plus de cette exigence, « pendant treize ans », le père a eu « à la fois de la violence verbale et physique par rapport » à Caroline. C'est bien la famille, notamment le père qui est considéré comme le destinateur de la maladie. Le journal renforce la culpabilité du père en évoquant la faiblesse et l' « isolement » de la jeune fille qui était « une petite fille » et qui « ne pouvai[t] pas se défendre ». La mère est aussi désignée comme le destinateur mais un destinateur indirect : elle n'a pas protéger sa fille. Le dispositif scénique participe également à la désignation des parents comme destinateurs. Des détails comme « face à », « à gauche », « à droite » permettent au lecteur de visualiser la scène. A cela s'ajoutent des indications concernant la direction du regard du professeur : « regarde », « un bref regard au père », « observe le père », « regarde Caroline »... La mise en scène de l'entretien renforce la culpabilité des parents qui se trouvent en position d'infériorité face au « puissant » professeur. C'est lui qui distribue la parole. Les parents ne parlent que lorsqu'ils y sont invités et les verbes introducteurs utilisés par le journal révèlent leur infériorité : le père « glisse », « murmure » et la mère « geint ». Il faut par ailleurs préciser qu'à aucun moment, le journaliste ne mentionne explicitement l'origine familiale de l'anorexie de Caroline. L'histoire parle d'elle-même, ou plutôt le reportage. Cependant, il faut préciser que cet article annonce une émission sur la Maison des Adolescents, le journaliste a donc choisi de sélectionner cette scène et de nous la raconter. Un choix pas anodin qui laisse sous-entendre que c'est bien pour l'hypothèse du facteur familial que penche Libération. Un dernier article privilégie également l'hypothèse d'un facteur familial mais de façon plutôt implicite. Ce discours est consacré au livre de P. Jeammet sur l'anorexie à l'adolescence et la quotidien débute l'article en écrivant : « La nourriture est l'un des carrefours essentiels de la relation de l'individu à son environnement. Quand les parents disent à leur bébé : `Une cuillerée pour maman, une cuillerée pour papa', `ils contribuent sans le savoir à faire de l'alimentation le véhicule de l'amour et de la soumission à leur propre désir' »439(*). Le quotidien ne fait que citer les propos de l'expert en ajoutant « à partir de là, tout peut déraper ; qu'on se rassure cela n'arrive pas souvent ! Mais quand ça arrive... L'anorexie mentale est une maladie scandaleuse... ». Ces propos nous renvoient à la théorie psychanalytique de l'anorexie selon laquelle, la maladie trouve ses origines dans les relations entre la mère et son enfant. En commençant l'article par cette citation, le quotidien sous-entend qu'il approuve cette hypothèse. Cependant, il faut noter qu'il est beaucoup plus difficile de cerner la position de Libération, où tout se joue sur des non-dits et des allusions, que celle de La Croix qui désigne de façon explicite le destinateur de l'anorexique. * 438 Libération, A Berlin, le couvert est mis pour les sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est dédié aux anorexiques, 3 février 2005, p. 27. * 439 Libération, 3 février 2005, p. 10-11. |
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