Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
e) Les aspects spécifiquesL'analyse des discours du corpus nous a permis de mettre en lumière deux spécificités propres au traitement médiatique de l'anorexie par La Croix. Il est le seul quotidien à parler de l'anorexie prépubère. Même si nous avons choisi d'aborder uniquement la forme la plus classique de l'anorexie, il est intéressant de souligner cette différence. Il semble que cette précision aille de pair avec la posture préventive qu'adopte le journal. Nous trouvons les phrases suivantes : « on trouve aujourd'hui des conduites anorexiques avant la puberté », ensuite l'anorexie touche « une jeune ou très jeune fille »203(*) et des filles « plus jeunes, très jeunes parfois »204(*). Dans un dernier article205(*), un expert « souligne » que « depuis quelques années on assiste à une augmentation du nombre de cas chez des enfants de moins de très ans » alors qu' « il y a trente ans cela représentait un cas par an » et aujourd'hui deux à trois par mois. Le verbe introducteur « souligne » indique qu'en citant ces propos le quotidien veut insister dessus. Encore une fois, toutes les citations qui font référence à l'anorexie prépubère sont des propos d'experts rapportés au discours direct. De cette façon, La Croix met en valeur un phénomène bien réel auquel sont confrontés les médecins aujourd'hui. La Croix est également le seul journal à souligner la faillibilité des statistiques concernant les cas d'anorexie. En effet, il précise que « le dénombrement des patientes varie notablement selon que l'on considère des critères stricts ou plus larges »206(*). Il est vrai qu'une grande partie des malades ne sont pas prises en charge, et donc exclues des statistiques. Cette précision témoigne là encore du souci de rigueur dont fait preuve le quotidien. f) Le passage de la sphère privée à la sphère publiqueLa Croix parle de l'anorexie comme d'un problème public, une maladie avant « vécue dans le secret, aujourd'hui sur la place publique ». L'anorexie aurait basculé de la sphère privée où les problèmes particuliers sont du ressort des individus, à la sphère publique dans laquelle elle serait l'objet de débats et donnerait lieu à des interventions politiques. Cette idée d'un passage de l'anorexie du statut de sujet tabou à celui de problème public revient à deux reprises. Un médecin souligne que « l'anorexie est une maladie dont on n'hésite plus pas parler ce qui est un point positif »207(*) et le quotidien écrit que « des parents célèbres [...] ont mis sur la place publique une maladie que les familles vivent d'ordinaire dans le secret »208(*). Ces propos rejoignent ceux des auteurs déjà cités qui considèrent que l'anorexie fait l'objet d'une médiatisation. Certes, cette maladie est plus connue qu'avant et de nombreuses émissions télévisées lui sont consacrées cependant, cette médiatisation doit être relativisée. Le reste de nos analyses nous fournira des éléments supplémentaires qui nous permettrons de conclure sur cette question à la fin de notre étude. La Croix considère l'anorexie comme une maladie très grave qui touche aujourd'hui tous les milieux sociaux. L'anorexique, ou l'actant sujet, est généralement une adolescente, mais le quotidien n'omet pas de préciser que les garçons sont aussi touchés. La prévalence que les discours nous fournissent est similaire à celle que nous avons trouvée dans la littérature médicale. Les quelques éléments concernant les caractéristiques mentales des anorexiques reflètent assez bien les deux facettes de leur personnalité. En outre, nous avons remarqué que dans plusieurs discours l'anorexique est individualisée. Le quotidien nous parle de Solenn ou encore de Laurence en nous précisant leur âge. Cette stratégie discursive est commune à tous les quotidiens, nous conclurons à la fin de notre analyse sur l'utilité d'un tel procédé dans un discours portant sur une maladie. Enfin, il faut souligner que La Croix rapporte fréquemment des paroles d'experts ce qui indique la rigueur avec laquelle il entend aborder ce sujet grave. En outre, les précisions d'ordre médical, les indications chiffrées ne font que confirmer ce souci d'exactitude. * 203 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28. * 204 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13. * 205 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14. * 206 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6. * 207 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28. * 208 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13. |
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