Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
I. Qui est anorexique ?L'anorexie mentale est un trouble grave du comportement alimentaire qui déroute encore de nombreux médecins. Cependant, la compréhension de la maladie a beaucoup progressé depuis le début du XXème siècle et le diagnostic ne pose guère plus de problème aujourd'hui. Le corps médical constate une augmentation de la fréquence des cas d'anorexie depuis quelques années. Cette évolution soulève la question de savoir qui peut-être affecté par cette maladie et pourquoi. Nous allons nous attacher à décrire les critères médicaux qui permettent aujourd'hui de diagnostiquer l'anorexie mentale, ensuite nous aborderons la répartition géographique et socioculturelle de la maladie, puis nous terminerons en présentant les caractéristiques mentales des anorexiques. A partir des précisions médicales que nous aurons fournies dans une première partie, nous analyserons les discours de presse pour voir comment est désigné l'actant sujet. A. Une définition médicale de l'anorexie et les caractéristiques des anorexiquesIl y a encore quelques années, il était courant de lire que l'anorexie mentale était une maladie qui touchait principalement les jeunes filles issues des classes aisées, dans les pays développés. Aujourd'hui, la littérature scientifique nuance cette affirmation : l'anorexie mentale masculine est plus fréquente, la pathologie commence à apparaître dans des pays en voie de développement et s'étend à toutes les couches de la population. 1. L'anorexie, une maladie grave qui touche principalement des fillesa) La définition médicale de l'anorexieLe syndrome clinique de l'anorexie est maintenant connu et considéré comme une entité distincte. L'anorexie mentale appartient à la catégorie des troubles du comportement alimentaire (TCA) qui regroupe également la boulimie ainsi que des comportements variés comme la compulsion alimentaire, l'hyperphagie... L'anorexie correspond à un tableau clinique très précis, elle affecte généralement une jeune adolescente entre 14 et 20 ans qui présente la triade symptomatique : amaigrissement-anorexie-aménorrhée. L'anorexie, l'amaigrissement et l'aménorrhée sont les trois symptômes principaux qui permettent de diagnostiquer une anorexie mentale. L'anorexie, c'est-à-dire la restriction alimentaire est le symptôme principal et annonce le début des troubles143(*). Cette restriction est volontaire, tout du moins au début. L'amaigrissement lui est secondaire et se traduit par une perte de poids supérieure à 25% du poids initial. Il peut atteindre 50% dans les cas les plus graves. Enfin, l'aménorrhée (arrêt des règles) peut précéder l'anorexie ou suivre de quelques mois le début de la restriction alimentaire. Les médecins parlent d'aménorrhée primaire si la jeune fille n'est pas encore réglée et d'aménorrhée secondaire dans le cas contraire. L'anorexie mentale peut être plus ou moins grave selon les cas, la forme la plus dangereuse étant lorsqu'elle se chronicise. Outre cette triade symptomatique, le DSM IV144(*) est fréquemment utilisé par les médecins pour déceler une anorexie. Les différentes révisions dont il a fait l'objet ont contribué à modifier les critères de l'anorexie mentale. Elle a progressivement été considérée comme une maladie à part entière et les critères retenus pour la définir ont évolué en faveur d'une plus grande place pour les critères corporels. Le DSM IV inclut l'anorexie mentale dans la catégorie des troubles des comportements alimentaires et définit les critères cliniques suivants : - Le refus de maintenir un poids corporel au niveau ou au-dessus d'un poids minimum normal pour l'âge et la taille. - La peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale. Comme le précise H. Chabrol, la peur de grossir n'était pas mentionnée par C. Lasègue et W. Gull alors qu'elle est aujourd'hui un critère central dans la sémiologie de l'anorexie145(*). - L'altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, l'influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l'estime de soi, ou le déni de la gravité de la maigreur actuelle. - Chez les femmes post pubères, l'aménorrhée c'est-à-dire absence d'au moins trois cycles menstruels consécutifs146(*). C'est à partir de ces quatre critères que le DSM IV établit le diagnostic de l'anorexie mentale. Le DSM IV distingue deux formes d'anorexie : l'anorexie mentale restrictive (l'amaigrissement est provoqué par la restriction alimentaire, le jeûne ou l'hyperactivité physique) et l'anorexie mentale avec crises de boulimie et comportements de purge (vomissements et/ou prise de laxatifs). Les médecins sont de plus en plus confrontés à ces formes d'anorexie-boulimie ou la boulimie succède ou coexiste avec l'anorexie mentale. Environ 50% des anorexiques présenteraient des conduites boulimiques au cours de leur maladie147(*). C'est pourquoi l'anorexie et la boulimie sont souvent présentées comme les deux facettes d'un même trouble. Encore aujourd'hui, nous trouvons des divergences dans la littérature scientifique. P. Jeammet par exemple évoque « un couple paradoxal » car « l'anorexique est dans la maîtrise, la boulimique, elle, est dans la compulsion. Ces deux comportements, apparemment si opposés, sont en réalité profondément semblables et le symptôme alimentaire entraîne toujours des conséquences physiques et psychiques »148(*). De même, H. Chabrol explique qu' « anorexie et boulimie ne s'opposent que superficiellement » car « elles s'associent ou se succèdent souvent, alors que les adolescentes qui en sont affectées partagent les mêmes craintes obsédantes de la perte du contrôle du comportement alimentaire »149(*). L'anorexie est considérée comme une pathologie par le corps médical cependant, certaines personnes réfutent s'opposent à cette qualification. Par exemple, J. Maîstre définit l'anorexie comme « une manière anorectique d'être au monde »150(*) qui traduirait un refus d'occuper la place assignée à la femme dans la société actuelle et la volonté de nier ses besoins corporels pour atteindre un au-delà. Dans un autre registre, les sites pro-anorexiques récusent également l'idée que l'anorexie est une maladie. Le plus souvent, ces sites se présentent sous la forme d'un blog créé par une jeune fille anorexique. Elle y détaille ses pratiques et fait l'éloge de son comportement alimentaire qu'elle considère comme un mode vie acceptable. Grâce à des photos révélant la maigreur de son corps, les conseils qu'elle prodigue, elle encourage les personnes qui viennent visiter le site à l'imiter. La plupart des professionnels de santé s'insurgent contre l'existence de tels sites, certains ont donc été interdits. Cependant, des chercheurs comme Maria Mastronardi trouvent qu'ils ont un côté positif car ils permettent de mieux comprendre le fonctionnement et les pensées de ces jeunes filles151(*). * 143 Il faut distinguer le symptôme qui est la manifestation d'un trouble, du syndrome qui est l'affection en elle-même. L'anorexie mentale est un syndrome dont l'un des symptômes est l'anorexie. * 144 DSM = Diagnostical and Statistical Manual of Mental Disorders. C'est une classification psychiatrique américaine. Le DSM I date de 1952, le DSM II de 1968, le DSM III de 1980, le DSM III-R (revised) de 1987 et la version la plus récente, le DSM IV de 1994. * 145 CHABROL, Henri, L'anorexie et la boulimie de l'adolescence, Paris, Editions Presses Universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 1991, p. 8. * 146 ALVIN, Patrick, Anorexies et boulimies à l'adolescence, Paris, Doin Editeurs, Collection « Conduites », 2001, p. 13. * 147 ALVIN, Patrick, revue Soins, « Anorexie mentale et boulimie nerveuse à l'adolescence », p 33-36 dans le dossier Les troubles du comportement alimentaire, p. 31-52, revue Soins n°694, avril 2005. * 148 JEAMMET, Philippe, Anorexie, boulimie, les paradoxes de l'adolescence, Paris, Editions Hachette Littératures, 2004, p. 11. * 149 CHABROL, [1991], p. 5. * 150 MAÎTRE cité par TONNAC (DE), Jean-Philippe, Anorexia, une enquête sur l'expérience de la faim, Paris, Editions Albin Michel, 2005, p. 144. * 151 TONNAC, [2005], p. 96. |
|