Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
b) L'isolement dans un établissement hydrothérapiqueSollicité par les parents de la jeune fille, J.-M. Charcot leur conseille de placer l'adolescente dans un établissement hydrothérapique à Paris pour qu'elle guérisse. Comme nous l'avons mentionné, le traitement à base d'eau était relativement courant à cette époque. Les anorexiques n'étaient pas placées dans des asiles mais dans des établissements spécialisés dans l'hydrothérapie et tenus par des religieuses. J.-M. Charcot décrit le traitement qui y était administré aux anorexiques hystériques : « Les malades sont placés sous la direction de personnes compétentes et expérimentées : ce sont habituellement des religieuses devenues par une longue pratique généralement très expertes dans le maniement de ce genre de malades. Une main bienveillante mais ferme, beaucoup de calme et de patience sont ici les conditions indispensables. Les parents sont systématiquement éloignés jusqu'au jour où, une notable amélioration s'étant montrée, on permet aux malades, à titre de récompense, de les voir, d'abord à intervalles éloignés, puis de plus en plus rapprochés, à mesure que la guérison s'accentue. Le temps et l'hydrothérapie, sans compter la médication intérieure, font le reste »128(*). La façon dont doivent se comporter les religieuses n'est pas sans rappeler les conseils de C. Lasègue : patience et calme. Cependant, J.-M. Charcot semble plus entreprenant dans le traitement : la main bienveillante mais ferme laisse penser que les religieuses usaient de leur autorité pour se faire obéir. Nous pouvons relever un point commun avec les descriptions précédentes mais également un aspect novateur. Comme W. Gull, J.-M. Charcot délègue le soin de guérir les patientes à une tierce personne, à la différence près que W. Gull s'adressait à des nurses et J.-M. Charcot à des religieuses. Leur présence dans un hôpital est fréquente à l'époque. Cependant, J.-M. Charcot se distingue des traitements qui avaient été conseillés auparavant en introduisant l'hydrothérapie (les textes ne disent pas si ce mode de traitement était efficace pour les anorexiques hystériques) et l'éloignement parental : l'isolement est constitué et sera pratiqué jusque dans les années soixante-dix. Nous pouvons noter que déjà J.-M. Charcot pratique le procédé de la « récompense » à la base de ce mode de thérapie. Le traitement échoue car l'état de la jeune fille empire mais J.-M. Charcot apprend que ses parents n'ont pas respecté la règle de l'éloignement et se sont installés près de l'établissement où était soignée leur fille. Persuadé que le mal réside dans la présence des parents, J.-M. Charcot les prient de s'éloigner au plus vite ou au moins de faire en sorte que leur fille ne les sache pas si près. Effectivement, peu de temps après ce nouvel éloignement, la jeune malade guérit car « l'isolement était constitué : ses résultats furent rapides et merveilleux [...]. On fit alors intervenir l'hydrothérapie et, après deux mois [...] elle pouvait être considérée comme presque complètement guérie »129(*). L'isolement ne consiste donc pas simplement à être séparé de sa famille, à n'avoir aucun contact avec elle. Il doit aussi s'accompagner d'un éloignement effectif des parents. Cette séparation physique ne doit pas laisser penser que le traitement thérapeutique de l'anorexie hystérique est un traitement uniquement physique. J.-M. Charcot a beaucoup insisté sur le facteur psychique induit par l'isolement qui est en réalité le facteur le plus important. Ainsi, au cours d'une leçon consacrée à cette « nouvelle » thérapie, il tient les propos suivants : « Je ne saurais trop insister devant vous sur l'importance capitale que j'attache à l'isolement dans le traitement de l'hystérie, où, sans contestation possible, l'élément psychique joue dans la plupart des cas un rôle considérable quand il n'est pas prédominant. Il y a près de quinze ans que je suis fermement attaché à cette doctrine, et, tout ce que j'ai vu depuis quinze ans, tout ce que je vois journellement, ne fait que me confirmer de plus en plus dans mon opinion. Oui, il faut séparer les enfants, les adultes, de leur père et de leur mère dont l'influence, l'expérience le démontre, est particulièrement pernicieuse. L'expérience, je le répète, le démontre absolument, bien que la raison n'en soit pas toujours facile à donner, surtout aux mères qui ne veulent rien entendre et ne cèdent en général qu'à la dernière extrémité »130(*). Quand J.-M. Charcot explique que l'isolement est positif parce qu'il introduit un effet psychique, il ne faut pas oublier que la psychothérapie est en train de naître. Cette discipline cherche à montrer l'interdépendance entre le corps et l'esprit : si l'esprit agit sur le corps, le corps, et les événements extérieurs qui l'affectent, agissent en retour sur l'esprit. Nous pouvons penser que J.-M. Charcot a été influencé par C. Huchard qui expliquait que toute maladie mentale appelle un traitement mental pour lequel « il est nécessaire de s'assurer du complet contrôle de la personne. Or, ce complet contrôle n'est possible que si cette personne se retrouve dans un milieu qu'elle ne peut par définition, pas maîtriser puisqu'il devra être le reflet du contrôle du médecin. De plus, l'influence néfaste des proches, parents ou non, sera abolie par cet isolement et cette influence ne viendra pas perturber l'ascendant thérapeutique du médecin, qui seul avec ses murs et la patiente, conduira, comme un père conduit sa fille, l'hystérique vers la guérison »131(*). Non seulement l'isolement révolutionne le traitement thérapeutique de l'anorexie hystérique mais en plus, il ne repose pas sur l'expérimentation comme les traitements que nous avons mentionnés auparavant. J.-M. Charcot s'oppose d'ailleurs fortement aux traitements qui n'avaient aucun fondement médical. « A propos de la pratique de la saignée qui sévissait encore, Charcot déclare : `jetons un voile cependant sur le côté thérapeutique : saigner, saigner encore, toujours saigner, c'est à faire dresser les cheveux sur la tête' »132(*). Dans une citation précédente, nous avons vu qu'il s'appuyait sur son expérience pour justifier son traitement. En ce sens, il y a certainement un progrès majeur dans la prise en charge de l'anorexie qui doit lui être attribué. Après lui, l'isolement thérapeutique est devenu « la stratégie thérapeutique fondamentale de l'anorexie mentale »133(*). Ce mode de traitement est resté dominant jusqu'à la seconde moitié du XXème siècle puisque l'isolement était encore pratiqué dans les années soixante-dix. J.-M. Charcot est également le premier à évoquer la relation mère-fille comme ayant une influence sur la maladie. En effet, W. Gull souligne juste que les parents ne savent pas s'occuper de leur fille mais ne prétend pas qu'ils sont à l'origine de la maladie. Par le terme « influence », J.-M. Charcot fait référence aux rapports entre les parents et leur fille qui sont en eux-mêmes mauvais. La relation particulièrement forte qui unie la mère et la fille est également quelque chose de nouveau et annonce un problème auquel beaucoup de thérapeutes vont être confrontés : le déni des parents et le plus souvent de la mère devant la maladie de leur fille. L'apport de J.-M. Charcot ne s'est pas limité à préconiser l'isolement comme mode de traitement pour les anorexiques hystériques, il est à l'origine de l'ouverture de presque toutes les maisons d'hydrothérapie134(*). Si l'isolement existait déjà avant, il est le premier à établir l'idée de l'isolement comme mode de soins pour l'hystérie et à mettre en oeuvre les dispositions pratiques le permettant. * 128 Idem, p. 81. * 129 CHARCOT cité par JANAS, [1994], p. 81. * 130 Idem, p. 84. * 131 JANAS, [1994], p. 84. * 132 BONDUELLE, GELFAND, GOEZ, [1996], p. 225. * 133 JANAS, [1994], p. 87. * 134 Idem, p. 86. |
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